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Chantal Sébire, c'est votre dernier mot ?

Par Topolivres

Ce que mourir veut dire


Quel est le dessein du blog topolivres ? Chroniquer l'actualité artistique, notamment livresque. Soit. Parfois, cependant, la vie va plus vite. Ou plus exactement la mort.
Voilà déjà quelques années que nous tournons vigoureusement la tête lorsque l'euthanasie pénètre notre salon. Question de confort et spirales de l'angoisse. Souvenez-vous, juste avant Chantal Sébire et son courage surdimensionné - qu'elle plaça en bouclier sur sa face extraterrestre -, on repoussait encore aux calendes grecques l'issue de vie choisie, malgré des alertes répétées et percutantes.
Chantal Sébire n'a pas eu le temps de rédiger sous la forme d'un livre son témoignage et pourtant elle a planté dans notre épiderme un testament qui nous engage, nous autres les vivants.
Elle est véritablement une Tragique, et son histoire si contemporaine, pourtant aussi vieille que le monde, a les vertus des épopées monumentales des Anciens. Nous l'avons subie malgré nous, à travers son masque de douleur, derrière lequel elle articula ses mots simples et choisis, afin que nous nous rappelions parfaitement chacun d'entre eux. Nous, qui allons lui survivre, lui répliquâmes affolés par la bouche de nos élus ce "rien" qu'elle appela un défaut de fraternité et de solidarité.
Or, nous avons bien senti à quel point Chantal Sébire aimait la vie et aima lui sourire. Cette femme-là, non pas une sainte mais une combattante, est devenue Pythie par souffrance. Elle que l'on devine très facilement gracieuse, lucide et tendre.
Car, do not forget, souviens-toi, vergiss nicht, Chantal Sébire prononça ces mots-là, entre autres, tous issus d'un lexique "instantané" d'urgence : elle pointa le manque de fraternité, de solidarité, et ce fut sa façon intelligible de dire : "Au secours". Cette femme, au moins aussi humaine que nous, demandait à ne pas être abandonnée par nous. Sur ces mots, des religions se fondèrent, nous en souvenons-nous ?
Alors sa mort demeure privée, c'est la sienne, mais nous pouvons vous et moi, au vu de ce que la presse en a formulé, retenir le caractère extrêmement solitaire, voire dissimulé, de ce passage-là qu'elle avait ardemment voulu ne pas entreprendre seule, consciente qu'elle était de n'être pas accompagnée, au final ; personne ne l'est. Mais Chantal Sébire était semble-t-il douée d'une conscience du symbolique hors du commun, exemplaire.
Je ne crois pas que Chantal Sébire demandait l'impossible, elle convoitait depuis son exigence de citoyenne et de justiciable, purement et simplement, une Loi. Ce qui la préoccupait, ce n'était guère la fin, elle en était convaincue, mais le moyen d'y parvenir, portée par ce qui nous pousse à penser, anticiper ou rire : je veux dire l'intelligence.
Diplodocus ensommeillés, nous avons ouvert un oeil. Chacun de nos mouvements est lent et lourd, pourtant nous allons avancer ; c'est désormais certain car le masque du Tragique grec nous a chuchoté à l'oreille un message que peu d'entre nous parviendront à anesthésier.
Mais pour la fraternité solidaire, qu'avons-nous à formuler, qu'avons-nous entendu ? Ces termes sont rares, peu usités. Le plus souvent on les voit osciller, ces Fraternité, Liberté et Egalité, sous les couleurs de nos drapeaux secoués par les vents, dans l'une de nos représentations légendaires de la France et de ce qu'elle engage au travers de nous.
Car sa mort, Chantal Sébire l'avait en main, elle en disposait à coup sûr. Sa mort était à sa portée. Mais elle ne voulait pas fuir, ne désirait pas s'enfuir, ne se résolvait pas à céder au chaos tant qu'elle pouvait encore décider de sa propre flèche du Temps.
Son problème c'était le seuil et la durée de la douleur et plus encore la bienveillance fraternelle des autres vivants.
Il faut avoir été juré d'assises - comme c'est mon cas -, pour soupeser très concrètement à quel point nous n'avons aucun accès direct au temps, à la durée, à ce que représente le poids long de l'incarcération, celui qui inflige et punit, exécute le châtiment et nourrit l'exclusion. Il faut avoir vécu de près les silences et les paroles incantatoires d'une cour d'assises, avoir senti au fond de soi - c'est une très éprouvante révélation -, ce que signifie la prédation, pour saisir peut-être ce qu'articule Chantal Sébire lorsqu'elle invoque ce lien de fraternité et de solidarité qui unit les hommes entre eux, lorsqu'elle réfléchit, in situ, à la durée potentiellement supportable de la souffrance.
C'est en cela, parce que nous ne maîtrisons aucunement l'épreuve du temps, parce que nous ne sommes pas démiurgiques, que nous devons réfléchir avec raison au sens de la durée, tout comme la fiction au cinéma et dans les oeuvres romanesques s'y attelle sans cesse. Au temps du tout immédiat, persistent la durée de la douleur et ses seuils inaliénables.
A ce titre, il est parfaitement non fraternel et c'est moi qui souligne, de placer en réclusion perpétuelle des êtres humains, quels qu'aient été leurs actes, comme le souhaite si follement la promesse de la loi sur la rétention de sûreté. Sûrs de quoi ?
Agir ainsi et légiférer de la sorte, c'est encore détourner la tête et ne pas reconnaître les seuils de la fraternité et de la solidarité humaine. Nous ne sommes pas des assassins.
Qu'en pensa exactement Chantal Sébire au moment de se résoudre à réaliser ce contre quoi elle s'était battue, résolument et avec tant de courage ? Franchement, il est bien difficile de ne pas comprendre que cette désespérée-là, comme on le dit communément des suicidés, ne le fût doublement.
M6 propose ce dimanche 30 mars dans Zone interdite un reportage incluant un témoignage inédit de Chantal Sébire. Par la voix du média, c'est donc désespérément "son dernier mot, Chantal" qu'elle livre.
Isabelle Rabineau
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