Avant que la bulle n’éclate
Je me sens tout petit. Que je suis bien. Au chaud je baigne dans un paradis liquide dont l’épaisseur renferme toute la douceur du monde. Je flotte. Je repense à ma vie qui me semble étrangère. Je crois que je deviens autre. Je suis tellement petit. Tellement au chaud. Tellement mieux que cette coque vide sur son lit d’hôpital, à voir les miens chialer, me parler, me retenir comme si j’étais au bord d’un gouffre, leurs pleurs comme autant de cordes qui voulaient me sauver. Je voulais leur dire, leur crier que je les aimais. J’étais déjà parti. Ne restait qu’une carcasse encore tiède au regard fixe et vide qui effrayait ma fille – dont j’ai malheureusement oublié le prénom et presque le visage. Ils ne pouvaient rien faire. On ne peut jamais rien faire. On finit toujours par mourir, la vie m’aura au moins appris ça.
Je flotte. Je m’étire doucement au son du monde qui me paraît si loin, amorti par le coton obscur qu’est le ventre de ma mère. Les voix ne veulent rien dire, s’escriment à parler, et je ne comprends rien. Une mélodie molle. Il y a du monde. Il y a une bête qui pousse des petits cris. Un chat ou un oiseau. Les sons trompent mes sens. Tout est atténué. Rien n’est grave. Je n’existe pas encore. Il me plait de donner, de temps à autre, un coup de pied rageur pour prouver que j’arrive, et je sens dans ma mère que je ne connais pas encore gonfler un bonheur fugace, une certitude qu’elle chérit : elle porte la vie. J’imagine son sourire que j’aime déjà. J’écoute sa voix, étrangère. Je sens passer sa main sur ce ventre gonflé. J’ai envie de l’embrasser. Je veux mieux la connaître. Je ne veux pas sortir. Je suis tellement bien. Tellement protégé des aléas du monde. Tellement vivant alors que pas encore. Presque. Presque seulement.
Je bouge à son rythme, me balade avec elle. Elle me met de la musique et, dans l’antre idéal où je vis, une somptueuse symphonie me ravit à en pleurer. Mon autre vie s’efface en délicats lambeaux et, si petit que je sois, je me fais une promesse à moi-même : cette fois-ci je ne passerai pas à côté.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans. Elle vit actuellement à Milan, en Italie. Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate cette année du concouJrs littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous que vous auriez intérêt à visiter :http://clemencedumper.blogspot.com/ (Clémence Tombereau vient de publier aux Éditions du Chat Qui Louche Fragments, un recueil de billets que vous pouvez vous procurer en version numérique pour un prix plus que modique à l’adresse suivante : http://www.editionslechatquilouche.com/)(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)
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