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Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

Publié le 09 octobre 2012 par Chatquilouche @chatquilouche

Destinées latentes

À chacun son arrêt de bus.  Couveuse d’âmes en veille, salle d’attente éphémère, ce soir, le nôtre n’échappera en rien à ces regards cernés, ces Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…nuques raidies, mais il sera le nôtre.  Le nôtre.  Notre toit, notre banc, nos compagnons d’une minute et plus si infinité.  Et on se sent déjà un peu chez nous, l’esprit en parallèle.  Et un presque silence se répand dans notre chez-nous, nous soustrayant subrepticement à l’effervescent brouhaha de la vie qui passe à côté.  Il n’y a aura plus que nous.  Nous et nos intimités partagées pour un instant d’errance spirituelle et d’affabulations camouflées sous d’épaisses doudounes.

Sur notre banc, cette blondinette de lycéenne, le visage dissimulé sous une vaste écharpe, qui griffonne quelques mots aussitôt rayés sur son petit carnet.  Mon Amour.  Scritch.  À toi, pour qui mon cœur ne cesse de battre.  Scritch.  Salut.  Ce tout petit bout de femme, plein de rêves et d’espoirs, au charme déjà bien prononcé.  Elle attend l’Amour.  Le premier.  Le vrai.  Elle attend ce regard qui fait vibrer un corps, cette sensation unique de se sentir en vie à travers l’autre, cette sensation cruelle d’une absence qui anéantit toute présence autre.  Elle attend.  Assise à côté d’elle, cette mamie au visage creusé, la canne coincée entre les jambes, le regard plongé en un portrait soigneusement conservé dans son sac à main.  Sur la photo, un plutôt bel homme, dont le regard pétille et le visage distribue des sourires par milliers.  Un air de famille, en fa dièse.  L’esprit égaré contre mille et un souvenirs, elle attend secrètement des nouvelles de ce fils avec qui un jour le ton a monté, bien trop haut, bien trop loin.  Ce fils dont la présence lui donnerait la force de jeter cette béquille qui octroie aujourd’hui un semblant d’équilibre à sa vie bancale.  Elle attend.  Adossé contre un corps aseptisé exhibé en un mètre sur deux, ce dynamique de jeune, pas encore encadré.  Moins dynamique que statique à cet instant-là d’ailleurs, les yeux rivés sur un écran luminescent.  Répétant inlassablement les mêmes répliques qu’il dégainera le jour adéquat, il attend un coup de fil.  N’importe lequel.  De n’importe quelle boîte.  De n’importe quel type accro aux jeunes cadres dynamiques.  Bien entendu monsieur, je suis disponible dès que vous le souhaitez, en fonction de vos disponibilités.  Il l’est bien trop lui, disponible.  Alors, il attend.  Juste à côté de moi, ce grand brun mal rasé, dont le téléphone vient de vibrer – un message – qui hésite, puis retient son pouce d’appuyer sur la touche appelJe suis à la pharmacie.  Je rentre faire le test et je t’appelle.  À plus.  Il a peur de comprendre.  Comprendre qu’elle a des doutes sur ce qui se trame dans son utérus.  Comprendre qu’elle ne lui fait pas assez confiance pour lui en avoir parlé avant.  Comprendre que, juste là, elle n’a pas vraiment envie d’en discuter, ni de partager ce moment avec lui.  Comprendre que bientôt, peut-être, sa vie va s’en trouver bouleversée avec cette impression de passer complètement à côté.  Alors il attend qu’elle daigne l’inviter à la danse, peut-être.  Il attend.  Et moi, étourdie par cette valse égoïste dans ce bout de chez nous.  Moi, je ne sais plus vraiment ce que je fous là, à attendre ce je ne sais quoi.  À attendre ce tout, ce rien.  Ce truc qui bousculerait ma vie.  Cette rencontre inopinée, ces nouvelles de fantômes du passé, ces propositions fortuites, ce grand départ pour un ailleurs.

Alors, tous, on attend.  Ce bus du hasard, rempli de tous nos rêves entrelacés.

Soudain, un doute plane.  Il est en retard.  Et s’il ne passait jamais ce bus, finalement ? Et si nous restions sur le bas-côté de cette vie qui passe ? Notre chez-nous bascule brusquement en un théâtre absurde duquel Beckett tire les ficelles.

Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…
Cette blondinette de lycéenne se lève d’un coup du banc endolori et se précipite vers le lycée où elle l’a laissée tout à l’heure, Elle.  Elle, la seule, l’unique, celle pour qui, oui, son cœur ne cesse de battre.  Cet Amour qu’elle avait enfoui par peur de.  Mais ce de, aujourd’hui, elle s’en fout à un point.  Et cette mamie au visage creusé interpelle notre dynamique de jeune.  Excusez-moi, jeune homme… Est-ce que je pourrais emprunter votre téléphone, il faut que j’appelle… L’oreille collée contre ces interminables tuuut tuuut, ses yeux se remplissent de perles lacrymales édulcorées, un sourire s’esquisse sur son visage.  Et ce dynamique de jeune se redresse, jette sur le pavé sa veste de costume et sa cravate en soie, s’en va d’un pas décidé, prêt à remodeler le monde de ses mains.  Et le pouce de ce grand brun mal rasé ripe finalement sur la touche appel.  Un temps.  Il raccroche et laisse glisser le téléphone qui se brise par terre.  C’est un homme qui a répondu.  Il laisse échapper quelques larmes qui enseveliront ce château de sable qu’il avait essayé de construire pour deux.  Je pose ma main sur son épaule et esquisse un sourire.  Vous voulez aller prendre un verre ? Il sourit à son tour.  Et nous partons, portés par ces rayons de sourires, en laissant derrière nous tous ces instants vrais cristallisés en notre chez-nous d’un temps et plus si infinité.

Le tintement de la cloche de la cathédrale attenante à notre chez-nous, nous dérobe brutalement à cette scène égarée.  Quelques regards en coin camouflent ce doute qui plane et s’évitent finalement.  Un ange passe.  Soupir désolé général.  Ce n’est pas lui que l’on attendait.

Notice biographique

Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.

C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Filed under: Myriam Tagged: autobus, Billet de Maestitia, hasard, nuit, par Myriam Ould-Hamouda…, symbolisme

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