Il y a quelques temps, nous vous parlions de Territoires (critique ici), un film d’horreur impressionnant au fort sous-propos politique. Mis en scène par Olivier Abbou, un réalisateur français déjà fortement remarqué grâce à la fiction diffusée sur Canal Plus, Madame Hollywood, Territoires se démarquait notamment par sa faculté à faire passer un message puissant, par le biais d’une ambiance travaillée et d’une écriture au cordeau.
Aujourd’hui, c’est Olivier Abbou, lui-même qui nous parle de son film. De Territoires donc, mais pas seulement, car le réalisateur a aussi accepté de revenir sur ses débuts, sur Madame Hollywood ou encore sur sa vision du cinéma de genre. Let’s go !
Vous avez étudié à L’ESEC, une école de cinéma parisienne. Maintenant que vous commencez à avoir quelques kilomètres au compteur en tant que metteur en scène, pensez-vous que cette formation, en somme toute cadrée, a joué un grand rôle dans la construction de votre style ? Avez-vous, à un moment donné, été tenté de suivre une voie plus libre, en parfait autodidacte ?
Forger mon style à l’ESEC ?! Non, non ! C’était une bonne façon d’atterrir en douceur à Paris (je viens de Lyon), de faire de l’Histoire du Cinéma, de la théorie, du son (avec l’excellent Michel Chion, spécialiste de Lynch), de tourner tout un tas de petits trucs pour se faire la main, et surtout de rencontrer des gens avec qui j’ai travaillé plus tard : le producteur improvisé de mes premiers courts, un monteur, etc…
Ensuite, quand on se lance dans son premier court avec les moyens du bord, qu’on squatte la place de la Bastille pendant 3 nuits, avec 50 figurants et pas mal de matos, hors du système, sans l’aide du CNC, sans structure de production, on se sentait tous pas mal autodidactes !
C’est après avoir réalisé plusieurs courts-métrages que vous atterrissez sur le projet de Canal Plus, Madame Hollywood. Peux-tu nous en toucher deux mots ?
J’ai rencontré Gilles Galud en 2006, le producteur de la Parisienne d’Images, responsable de la Nouvelle Trilogie sur Canal+ avec Bruno Gaccio, sorte de laboratoire à série de la chaîne.
Ils ont tout de suite accroché à un synopsis que nous leur avons remis, Delphine Bertholon (excellente romancière par ailleurs aux Editions Lattès) et moi : un giallo 2.0 autour de la dictature de la beauté dans lequel deux mannequins interprétés par Delphine Chanéac et Liza Manili se font séquestrer et torturer par un mystérieux Madame Hollywood…
Nous avons eu énormément de liberté, le projet était vraiment trash, on s’est bien éclaté ! Il y a eu pas mal de presse, généraliste et spécialisé (Mad Movies avait fait 4 pages, j’étais content !)
Madame Hollywwod, avec Delphine Chanéac.
Vient ensuite Territoires. Au risque de vous poser une question à laquelle vous avez dû répondre plusieurs fois, pouvez-vous revenir pour nous sur la genèse de ce premier film ?
Après Madame Hollywood, j’avais envie de poursuivre dans la voie du film de genre. Avec comme ligne de mire le cinéma des années 70’s : radical, politique et pas particulièrement gore. Thibault Lang-Willar, mon co-scénariste, m’a lancé l’idée des jeunes américains qui se retrouvent brutalement, après un simple contrôle douanier, en combinaisons oranges et j’ai trouvé ça vraiment fort. Cela nous permettait en plus de tourner en anglais, ce qui culturellement et relativement au film de genre, était important pour moi.
Lorsque j’ai vu Territoires, le caractère politique m’a vraiment frappé. En cela, j’ai senti une connexion immédiate avec les grands films d’horreur des années 70 et 80, de réalisateurs comme George A. Romero, qui assortissaient toujours l’hémoglobine avec un discours politique engagé et contestataire. Qu’en pensez-vous ?
Que du bien ! Je pense que le film de genre permet de parler de notre monde, tel qu’il va mal, sans pour autant tomber dans le discours. Il remplit deux fonctions essentielles pour moi dans un film : raconter quelque chose sur le monde dans lequel nous vivons et utiliser les outils de la mise en scène pour créer une sismographie de sensations. S’adresser en même temps à l’intelligence et aux émotions du spectateur. Le bousculer et le faire réfléchir. Lui faire ressentir des émotions et provoquer la réflexion.
Comment un réalisateur français en vient à tirer à boulets rouges sur l’Amérique Républicaine de Bush, en montrant du doigt -avec tout ce que cela implique- les dérives de la prison de Guantanamo ?
Ce qui se passe à Guantanamo et qui continue de s’y passer (à Bagram aussi, en Afghanistan, beaucoup moins médiatisé) regarde les habitants de toute la planète.
Une salle de torture géante à ciel ouvert, allant à l’encontre de toutes les conventions internationales, au vu et au su de la planète entière, sans que cela ne provoque plus de réactions que ça… ! Les USA, chantre de la liberté et de la démocratie, justifiant officiellement la torture (comme l’a fait Obama en prétextant que les informations obtenues dans ses prisons secrètes avaient permis l’arrestation de Ben Laden…) est une attitude qui nous regarde tous. La stratégie du choc qui a suivi le 11 septembre 2001 a permis de faire avaler au monde entier des politiques totalement inacceptables, tant du point de vue de la politique extérieure qu’intérieure. Je pense que pour les américains aussi, la gueule de bois a été énorme.
Avez-vous eu l’occasion de recueillir des impressions outre-Atlantique à ce sujet ?
Oui, quelques spectateurs, journalistes ou bloggeurs qui ont eu l’occasion de voir le film et de l’apprécier. Mais, le film n’a pas été distribué aux USA (alors qu’il l’a été dans une vingtaine d’autres pays)… On peut donc en conclure que les professionnels américains ne l’ont pas aimé outre mesure !
Dans ma critique de Territoires, je fais référence à l’arrivée du détective, lors de la dernière partie. Un personnage intéressant, mais qui selon moi, aurait presque mérité un film à lui tout seul, tant il semble parachuté et aussi vite expédié. Qu’en pensez-vous ?
Dans le scénario, le personnage de Brautigan était plus développé qu’il ne l’est dans le film. Mais des choix de montage, de rythme, de radicalité de structure nous ont poussé à le traiter ainsi.
Je ne le regrette pas, même si je comprends que l’on puisse être un peu frustré. Cette façon de le faire apparaître et disparaître explicitait plus fortement sa fonction. Il est celui qui doit sauver les victimes, comme le code le veut, il oppose un système de valeurs différent de celui des « méchants », mais il n’arrivera à rien, car, regardez autour de vous, les méchants gagnent toujours à la fin… !
Sur un niveau purement horrifique, Territoires ne verse jamais dans le gore cradingue. Pourtant, le film est souvent à la limite de l’insoutenable. Comment avez-vous instauré cette pression psychologique ?
Je ne sais pas exactement… J’ai beaucoup travaillé autour de l’aspect réaliste des situations, étiré le temps et les scènes, joué du hors-champ. Massacre à la tronçonneuse, Funny Games et Punishment Park m’ont accompagné tout au long de la fabrication de Territoires.
Yes we can, que vous avez réalisé pour Arte, avec notamment Vincent Desagnat, parle lui aussi dans un certain sens, de politique américaine. Cette fois-ci, c’est l’Amérique d’Obama que vous abordez, via l’histoire de deux types qui décident de kidnapper la grand-mère du Président. Le tout, sur un ton résolument loufoque et comique. Comment passe-t-on de la torture en pleine forêt à ceci ?
Dans le fond, ce qui m’intéresse vraiment ce sont les codes, quel que soit le genre. Jouer avec, se les approprier. Je suis très fan de comédies américaines régressives, des Farrelly par exemple (j’ai trouvé leur dernier film, The Three Stooges, extraordinaire). Mais aussi de Will Ferrell. À leur manière ce sont des films très subversifs et je pense que la comédie permet de pousser très loin, via des situations ou des dialogues extrêmes, les limites du politiquement correct. Mais la comédie est certainement ce qu’il y a de plus difficile à réussir.
Avec Yes We Can, j’avais envie de rendre hommage à ce cinéma là (à une certaine tradition des comédies françaises des 80′s aussi), tenter d’y faire une incursion en poussant tous les curseurs à fond et parler de l’Obamania qui s’est emparé du monde en 2008, sur un ton délirant et très ironique.
Yes We Can sur une chaîne comme Arte est une sorte de petit attentat dadaïste ! Et c’est déjà en soit bien réjouissant.
Qu’en est-il de vos projets ? Un retour au cinéma d’horreur ?
Je travaille sur un film noir, Enlèvement avec rançon. Un film qui tente le mariage entre le thriller contemporain et une certaine tradition du polar français à la Manchette. Avec une certaine dose d’humour noir et d’ironie.
Il y a aussi Théâtre Bizarre 2 avec pas mal d’autres réalisateurs français (Gens, Laugier, Maury/Bustillo, Hadzihalilovic, Selhami), film à sketches qui, j’espère, verra le jour en 2013.
Et maintenant, pour finir, le petit questionnaire maison :
Votre dernier frisson au cinéma
Despues de Lucia.
Votre cinéaste favori
Hitchcock.
Votre acteur ou actrice favori
En ce moment : Clive Owen.
Votre film de chevet :
Vertigo.
Votre devise
Ce qui dépend de toi, c’est d’accepter ou non ce qui ne dépend pas de toi.
Votre modèle
Naomi Klein.
Le pire des navets
Inception.
Le film que vous affirmez détester mais que vous aimez en secret
Je crois avoir ressenti ça quand je regardais en douce sur TF1 la série Jamais deux sans toi avec la délicieuse Emma Colberti !!!
Le film que vous revoyez encore et encore
Les 12 Salopards.
Votre héros de cinéma
Cary Grant dans La Mort aux trousses.
Votre musicien/groupe préféré
Ennio Morricone.
@ Propos recueillis par Gilles Rolland