A propos de César doit mourir de Paolo et Vittorio Taviani
Sur une proposition des frères Taviani, plusieurs détenus des hauts-quartiers de sécurité de la prison de Rebibbia, à Rome, ont accepté de jouer la pièce de Shakespeare, Jules César, en adaptant la pièce selon chacun des dialectes italiens qu’il parlait. Le film revient sur le succès de la représentation, sur sa genèse comme sur ce qu’il a pu apporter à chacun de ces prisonniers…
Les acteurs qui incarnent César, Brutus et consorts ne sont pas des tendres. Ce sont pour la plupart des grands criminels, des trafiquants de drogue, etc… Le projet de les faire jouer ensemble est né suite à un appel que les frères Taviani ont reçu d’une amie qui leur parlait de son engouement pour un spectacle qu’elle avait vu, où des prisonniers de Rebibbia récitaient des vers de L’enfer de Dante.
La première originalité de ce documentaire est qu’il est le fruit d’un projet entièrement imaginé et monté par les deux frères Taviani. César doit mourir fait évidemment penser à Reality, qui était joué, on s’en souvient, par un acteur qui purge actuellement une très longue peine de prison.
Salvatore Striano
Le film s’ouvre sur des plans en couleurs de la représentation publique de Jules César et du succès qu’elle rencontre auprès d’un public venu nombreux. Au bonheur ressenti par ces apprentis comédiens s’oppose le dur retour à la réalité quand ils sont tous reconduits à leur cellule. Volontairement, les frères Taviani choisissent des couleurs chaudes, rouge, orange, jaune et une lumière vive pour filmer de près ces visages, ce jeu tout en expressionnisme des comédiens, qui bien au-delà de la représentation, semblent jouer leur propre vie.
C’est ce qui préoccupera tout au long du film les frères Taviani : montrer non seulement la corrélation, l’imbrication entre le théâtre et la vie de ces prisonniers mais plus loin, comment le théâtre s’est fondu dans leur quotidien. La place qu’a pris par exemple le théâtre pour l’acteur qui joue Brutus (Salvatore Striano), l’enthousiasme que suscite son rôle, le bouleversement qu’il produit en lui, vont bien au-delà du théâtre. Striano est tellement investi de son rôle qu’il le répète partout où il passe, dans les couloirs de la prison, ce qui donne lieu à des moqueries parfois méchantes d’autres détenus qui lui demandent pour « qui il se prend ». L’anecdote que Striano raconte en plein milieu d’une répétition et qui l’oblige à s’interrompre est assez bouleversante au passage. Dans un générique final, on apprend que Salvatore Striano a été gracié depuis et est devenu comédien. Les autres ont écrit des livres et continuent de purger leur peine.
Giovanni Arcuri au second plan
Mais revenons à nos moutons, et à cette étonnante mise en scène, tout en stylisation formelle. Après les plans de la représentation publique de Jules César, le documentaire revient, par le biais de flashs-back en noir et blanc, sur le casting de la pièce, où l’on remarque d’emblée le talent du futur César (Giovanni Arcuri). Les images sont très léchées. Le noir et blanc très contrasté donne le sentiment d’une sophistication extrême et étrange (pour ne dire incompréhensible) de l’image. Plus tard, cette sophistication de l’image viendra trouver une lumineuse justification. Car ces forts contrastes de lumières sur le visage des acteurs font certes ressortir l’exagération de leur jeu et dans les expressions de leur visage, mais bien au-delà, aident à comprendre que tous ces acteurs jouent bien plus qu’un simple personnage dans une pièce de théâtre jouée dans une prison. L’équilibre est idéalement trouvé entre ce traitement « léché » de l’image et le jeu expressionniste des acteurs.
La grande force de César doit mourir, c’est de permettre au spectateur de lire dans l’inconscient de tous ces acteurs, au fil des répétitions que le documentaire égrène dans les décors de la prison, répétitions qui deviennent peu à peu le quotidien de tous ces apprentis comédiens. Bientôt, on parvient à imaginer tout ce qu’ils ont dû puiser en eux, dans les erreurs qu’ils ont commises dans leur passé et qu’ils doivent amèrement regretter sans pouvoir revenir en arrière ni même changer le cours de leur destin, puisque ces prisonniers encourent pour la plupart des peines de prison à vie.
Les compositions de Giuliano Taviani (neveu des frères) et de Carmelo Travia donnent d’ailleurs au film une connotation nostalgique (saxo) voire sinistre parfois, comme pour mieux rappeler que même le théâtre ne fait pas oublier la dure réalité de la prison. Un conflit passé et personnel éclate d’ailleurs entre Arcuri et un autre comédien, venant cruellement rappeler que la violence des rapports qui existent entre les hommes dans la pièce est la même que celle qui existe dans la prison.
Mais il faut voir la libération et le bonheur que procurent la représentation chez tous ses acteurs ressemblant soudain à une bande de gosses dans une cours de récréation, au moment de saluer le public. De retour dans sa cellule, l’un des prisonniers s’adresse à la caméra et dit : « Depuis que j’ai connu l’art, cette cellule est devenue une prison. » Quoi de plus beau et d’émouvant ?…
http://www.youtube.com/watch?v=DkuQE3HzUPE
Film documentaire italien de Paolo et Vittorio Taviani avec Cosimo Rega, Salvatore Striano, Giovanni Arcuri, Antonio Fresca, Juan Dario Bonetti (01 h 16).
Scénario de Paolo et Vittorio Taviani, Fabio Cavalli d’après la pièce de Shakespeare :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Giuliano Taviani et de Carmelo Travia :