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Clinton Fearon se confie au journal Le Point, "On ne se débarrasse pas du roots comme ça !

Publié le 29 octobre 2012 par Davibejamaica
Exceptionnellement reconstitués pour une tournée, Clinton Fearon du groupe jamaïcain Gladiators se confie au journal Le Point. 

Clinton Fearon se confie au journal Le Point,

Clinton Fearon est l'un des piliers des Gladiators. Il a été membre du groupe comme bassiste et choriste entre 1969 et 1987. Une longue histoire d'amour jamaïcaine qui s'est finie après treize albums, quand Fearon a quitté le groupe en 1987 pour s'installer aux États-Unis où il a poursuivi une carrière solo. Vingt-cinq ans plus tard, les Gladiators sont à nouveau réunis pour une tournée européenne. Si Albert Griffiths est hospitalisé à Kingston, Clinton Rufus et Gallimore Sutherland, les deux autres membres fondateurs du groupe, ont répondu à l'appel de Clinton Fearon de remonter (une dernière fois ?) sur scène. Alors qu'ils sont installés pour quelques jours en région parisienne, Le Point.fr les a rencontrés.

Le Point.fr : Vous avez vécu la naissance du reggae...

Clinton Fearon : C'était un moment historique. J'étais très jeune, je jouais de la basse et j'observais tout ce qui se passait autour de moi avec émerveillement. C'est vraiment une petite île très douée, la Jamaïque. J'espère que les musiciens de demain protégeront sa culture et sa façon de vivre et qu'ils ne jetteront pas tout ça à la poubelle. J'ai l'impression qu'ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils ont entre les mains.

Comment définiriez-vous le reggae ?

Le reggae, c'est la justice, l'égalité, le vivre ensemble, l'unité des peuples, le retour aux sources, l'amour. C'est un engagement politique aussi, un message contre les inégalités dans le monde, le crime, la haine et la guerre.

Comment jugez-vous l'évolution de la musique jamaïcaine entre 1969 et aujourd'hui ?

Dans les années 70, il y a eu un afflux, les musiques roots étaient vraiment au premier plan. Les courants mento, ska, rocksteady et reggae ont explosé dans ces années-là. Dans les années 80, après la mort de Bob (Marley), beaucoup de gens ont cru que c'était la fin du roots reggae. Je ne pense pas que ce soit vrai, mais le marché l'a ressenti comme ça. Pour moi, le roots est toujours là, on ne s'en débarrasse pas comme ça ! Car il s'adresse à l'âme, et, quoi qu'on en dise, nous avons tous une âme.

Et votre propre style, comment a-t-il évolué ?

Je suis en constante compétition avec moi-même. Quand je fais quelque chose, je veux le faire mieux le lendemain, et encore mieux le surlendemain... En travaillant sur mon album Heart and Soul (album de reprises en acoustique de ses titres avec The Gladiators sorti en mars 2012), j'ai réalisé que mon style n'avait pas vraiment changé. Je suis resté dans la même veine et je trouve ça bien.

Quelle était la vie d'un groupe de reggae dans les années 70 ?

À l'époque, pour faire un disque on devait aller en studio, passer une audition... Les musiciens étaient sélectionnés, donc ils étaient bons, ils savaient ce qu'ils faisaient. Aujourd'hui, n'importe qui peut enregistrer un disque sur son ordinateur. C'est ce qui explique la médiocrité de nombreuses productions à mon sens. Il y a plus de musique, mais moins de qualité. À l'époque, on ne pouvait pas tricher, on devait juste jouer et c'était vraiment beau. Les jeunes aujourd'hui jouent de la musique, mais ils n'en connaissent même pas l'histoire, ils veulent juste réussir le plus vite possible.

Avez-vous l'impression que la manière dont on écoute de la musique aujourd'hui soit différente ?

Quel est votre message pour les nouvelles générations de musiciens ?

Sois sûr d'aimer la musique avant de la faire. Après, tu apprends, tu travailles, tu essaies... Mais sois sûr d'aimer la musique avant tout. Il n'y a que comme ça qu'elle nourrira ton âme. Ce n'est pas juste dans ta tête mais dans tout ton corps. Apprends à t'aimer toi-même, à aimer la nature et ce qui t'entoure. Si tu creuses profondément, ça te nourrira.

Et vous, comment êtes-vous devenu musicien ?

C'était il y a si longtemps ! Déjà à l'école, je voulais quitter ma campagne et rejoindre le business de la musique. Mais je ne savais pas comment faire. Donc j'ai construit ma première petite guitare, c'était pas facile de jouer avec, mais j'ai joué quand même. Puis j'ai travaillé avec mon père, et un de ses amis avait une bonne guitare qu'il m'a donnée et j'ai continué à jouer. C'est avec cette guitare que je suis parti pour Kingston à 15 ans. Au bout de quelques mois, je me suis fait deux copains avec qui j'ai créé The Brothers. On a passé quelques auditions à droite à gauche mais ça n'a pas marché. À 18 ans, j'ai rencontré Errol Grandison, membre des Gladiators à l'époque, qui m'a proposé de le remplacer. Quelques jours plus tard, il m'a présenté à Albert (Griffiths), le reste appartient à l'histoire.

Et en 1987 vous êtes parti vivre à Seattle. Pourquoi ?

Je n'ai pas décidé de partir pour Seattle, c'est arrivé comme ça. En 1987, nous étions en tournée avec The Gladiators et étions à Seattle. Ça marchait bien pour nous et je voulais rester pour obtenir un visa. Mais ça a pris cinq ans pendant lesquels j'ai pris racine aux États-Unis... Donc je ne suis pas revenu.

Mais vous avez quand même quitté le groupe...

Oui. À ce moment-là, je ne m'amusais plus avec The Gladiators. Ce n'était plus doux comme autrefois, donc j'ai décidé d'arrêter. Ce n'est pas une question d'argent mais de coeur. Mais je ne regrette rien. Même le temps que j'ai passé avec le groupe, quand j'y pense, c'était merveilleux. La vie est un grand voyage et j'apprends encore de mes erreurs. Mais si tu peux sourire, souris, si tu peux rire, ris, car il y a des moments où il est difficile de sourire. Donc quand tu peux, fais-le, c'est un médicament !

Vingt-cinq ans après, vous remontez sur scène avec The Gladiators de nouveau. Ça fait quoi ?

Tellement de souvenirs ! On a vécu tellement de choses musicalement, amicalement. Il ne manque plus qu'Albert (Griffiths). C'est quelque chose dont je rêvais et là nous sommes là... Je suis vraiment heureux.

Propos recueillis par Anne-Sophie JAHN pour le Journal Le Point.


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