Yihaa ! Comme on dit dans le Lone Star State, notre famille dysfonctionnelle texane préférée est de retour pour le meilleur et on espère pour le pire. Pour beaucoup d’entre nous Dallas est une madeleine qui nous rappelle nos samedis soirs chez Papy et Mamie, mais peu sont ceux qui finalement ont vu la série, ben oui c’était l’heure d’aller se coucher. Et c’est bien dommage car la série de David Jacobs est remarquable à plus d’un titre. Distillation du soap qui a changé la télévision.
Le soap opera est encore plus ancien que la télévision puisqu’il est né à la radio. Créés par les grandes marques de lessive (d’où le nom de soap) ces feuilletons quotidiens destinés à la ménagère, étaient jusqu’à la fin des années 1960 diffusés exclusivement pendant la journée. C’est un genre considéré comme ringard et souvent méprisé car pour garder le public en haleine quotidiennement sur des dizaines d’années, ces séries ont souvent recours à des rebondissements abracadabrants ou parfaitement absurdes. Personnages qui reviennent d’entre les morts après leur enterrement, amants qui découvrent qu’ils sont frères et sœurs le jour de leur mariage ou jumeaux qui font leur apparition au moment du partage de l’héritage, tous les moyens sont bons pour surprendre et faire durer. Les thèmes sont quasiment toujours les mêmes, la famille, les conflits de génération, le sexe, l’argent, et la structure narrative est immuable, plusieurs intrigues se jouent en parallèle sur plusieurs épisodes et chaque épisode se conclut par un cliffhanger. Premier soap hebdomadaire en prime-time, Dallas a révolutionné l’histoire de la télévision en inspirant les plus grands scénaristes, qui loin de mépriser le genre, vont dés les années 1980, intégrer les éléments caractéristiques des soaps, intrigues sur plusieurs épisodes, nombreux personnages principaux plutôt qu’un héros unique et fins d’épisode ou de saison ouvertes, dans des séries policières, judiciaires ou médicales. C’est la naissance de séries d’un nouveau genre qui dominent depuis le marché. Hill Street Blues (Capitaine Furillo) de Steven Bochco est la première d’entre elles mais des séries comme Urgences, Friends, Lost, Six Feet Under ou Revenge sont nées de cette hybridation et sont en fait des « soaps nobles ».
A la fin des années 1970, le succès de Peyton Place, le premier soap du soir poussent les chaines américaines à vouloir installer le genre en prime. David Jacobs propose alors à CBS une série racontant le quotidien de quatre couples voisins en Californie. Mais les dirigeants de la chaine veulent quelque chose de plus glamour, une saga familiale. David se met donc ce qui deviendra Côte Ouest sur l’oreille et crée Dallas. A ses débuts, elle se présente comme une mini-série de 5 épisodes dont les intrigues, sont indépendantes (et parfois incohérentes entre elles) car les dirigeants à l’époque craignaient que le téléspectateur ne puisse pas suivre les intrigues sur un rythme hebdomadaire. Peyton Place était diffusée à la cadence bizarre de 3 ou 4 épisodes par semaine pour ne pas perturber la ménagère et sa mémoire de Dory. Argent, sexe, trahisons, luttes de pouvoir, conflits familiaux tous les ingrédients d’un bon soap sont là et comme le téléspectateur semble disposer d’une mémoire tampon de plus de 24 heures, il ne reste plus aux créateurs qu’à appliquer les bonnes vieilles recettes de la mi-journée à 22h. Dallas est née.
Une famille formidable. Au départ le héros de la série est le gentil Bobby (Patrick Duffy), un cow-boy aux valeurs simples et un mari fidèle qui protège les terres de Southfork, le ranch de Maman. Mais le téléspectateur va lui préférer son frère démoniaque, JR (Larry Hagmann). L’ainé de la fratrie dont la soif de pouvoir n’a d’égal que son appétit sexuel, dirige sans scrupule la compagnie pétrolière de Papa et prend un malin plaisir pendant 356 épisodes à faire subir les pires outrages à son petit frère qu’il accuse d’avoir trahi la famille. Comment ? En épousant Pamela (Victoria Principal) qui n’est autre que la fille de Digger Barnes (Keenan Wynn), l’ennemi juré de leur père Jock (Jim Davis) qui non content d’avoir ruiné Digger, lui a volé sa fiancée Ellie (Barbara Bel Geddes) et l’a épousé. En unissant les deux familles rivales Bobby est donc responsable aux yeux de son frère de tous les maux qui frappent les Ewing. Un peu comme Wile E. Coyote, l’ignoble JR passe la plupart de son temps à fomenter des plans machiavéliques pour gagner encore plus d’argent, satisfaire son insatiable libido et persécuter ses ennemis mais contrairement au canidé animé, il parvient souvent à ses fins, c’est très énervant mais on en redemande. C’est pas très subtile, mais c’est efficace et à la fin de la première saison le public est conquis. Si la série n’est pas un carton, elle est populaire et les audiences augmentent progressivement. Mais au printemps 1980 un événement inattendu va faire entrer Dallas dans l’histoire.
« Let’s shoot the s.o.b »1, Le cliffhanger accidentel. Alors que la 2e saison est bouclée et doit se conclure sur un twist classique, (Hutch McKinney est en fait le vrai père de Pamela ta-daa !) CBS commande au dernier moment deux épisodes supplémentaires. Pris de cours, les auteurs n’ont pas le début d’une idée pour un autre rebondissement quand l’un des producteurs a un éclair de génie, tirer sur JR et décider plus tard de l’identité du tireur. Ce manque d’inspiration est à l’origine du cliffhanger le plus célèbre de l’histoire. Les audiences de la saison 3 s’envolent. L’épisode Who done it ? révélant (enfin) l’identité du tireur sera vu par 90 millions d’Américains et par 360 millions de téléspectateurs à travers le monde. Battu aux Etats-Unis par le dernier épisode de la série M*A*S*H, au niveau international, il est encore à ce jour, l’épisode le plus regardé de tous les temps. Jusque là réservé aux daytime soaps le cliffhanger venait de faire son apparition en soirée et allait devenir un passage obligé pour la quasi totalité des séries.
Pamela l’a rêvé, Dallas l’a fait. En bon soap qui se respecte Dallas n’est pas à une énormité près mais la saison 1985-1986 détient la palme. Patrick Duffy a quitté la série, et emmené avec lui une partie des auteurs, Lucy (Charlene Tilton) a définitivement rejoint la Côte Ouest et Barbara Bel Geddes vient de reprendre le rôle d’Ellie Ewing à Donna Reed qui l’avait remplacée l’année d’avant. Jusque là rien de très inquiétant si ce n’est que dans le sillage de Dallas, les nightime soaps ont envahi la télé. Plus glamours, plus riches et plus méchants, les Carrington (Dynastie) et les Colby (son spin-off) menacent l’hégémonie des Ewing en prenant régulièrement la tête des audiences. En tuant Bobby à la fin de la saison précédente, suite à un désaccord financier avec le comédien, les producteurs vont vite comprendre qu’ils ont fait une erreur. La saison 8 sera un échec. JR est certes plébiscité par le public, mais son personnage n’existe pas sans son frère. Dallas est une histoire de famille basée sur leur rivalité, ils ne sont rien l’un sans l’autre. Il faut trouver un moyen de faire revenir Bobby et pas seulement un clône, genre ha ha il avait un jumeau caché. La série a besoin du vrai. Les producteurs vont alors trouver un subterfuge inédit, faire disparaître l’intégralité de la saison. Bon ok, on s’est trompé, on efface tout et on recommence. Dans le dernier épisode alors que JR a été assassiné, que les bureaux de la Ewing Oil Company ont explosé et qu’elle vient de se remarier, Pamela se réveille tranquillement. Et qui voit-elle sortir de la douche ? Je vous le donne en mille. Bobby tout guilleret, tout propre et tout vivant. Toute la saison n’était donc qu’un rêve. Même si on trouve que ses cheveux ont drôlement poussé en une nuit et qu’elle a beaucoup rêvé de JR quand même, on est tellement content que tout le monde soit réuni qu’on ne se pose pas trop de questions. C’est aussi pour ça qu’on aime Dallas et que la série est devenue mythique.
On prend les mêmes et on recommence. On avait quitté Southfork sur un coup de feu et encore une fois sur une question « JR s’est-il suicidé ? » Dans le final de la série originale, à la manière de La Vie Est Belle de Capra, JR est invité à regarder ce que la vie de ses proches auraient été s’il n’avait pas existé. Bobby serait devenu un accro au jeu fauché, Sue Ellen (Linda Gray) une actrice ratée, Southfork aurait été transformé en logement HLM et la Ewing Oil Company aurait disparu. Bref, heureusement qu’il était là. La série s’achève sur un coup de feu et seul Bobby qui entre dans la pièce à ce moment sait si son frère a commis l’irréparable. Dallas 2012 répond enfin à cette question, après le break le plus long de l’histoire (plus de 20 ans !). On va dire qu’on a rêvé les téléfilms catastrophiques Le Retour de JR et La Guerre des Ewing, c’est mieux pour tout le monde. Dés la scène d’ouverture du pilote on sent bien que Dallas encore une fois n’a pas peur d’en faire trop. Après une avancée en hélico au dessus des terres de Southfork, quelle n’est pas notre surprise de découvrir un forage au milieu des veaux. Un cow-boy de dos fait sa sieste (normal !), on l’appelle, il se lève et se retourne c’est John Ross III (Josh Henderson). Comme on ne s’y attendait pas du tout, le pétrole jaillit de terre et John Ross prend une bonne douche d’or noir, ben oui, il aime le pétrole, il a ça dans le sang, c’est un Ewing (comme on nous l’a déjà fait remarquer 3 fois depuis 5 minutes). Générique. Les personnages et les enjeux sont dévoilés en 10 minutes avec une efficacité redoutable. John Ross et son cousin Christopher (Jesse Metcalf) tous les deux sortis tout droit d’un catalogue Abercrombie se détestent autant que leurs pères et grands-pères. Le joli et gentil fils de Bobby cherche des énergies alternatives (il a été adopté alors forcément il a pas d’hydrocarbure dans les veines, lui) et John Ross a visiblement hérité de l’honnêteté de son père et de la descente de whisky de sa mère, Sue Ellen (qui est le seul membre du cast original à ne pas avoir vieilli, comme quoi grâce au botox, tu peux picoler !). C’est bien beau tout ça mais ça ne nous dit pas où est JR ? Mauvaise nouvelle, il est en totale dépression, traine en peignoir dans une maison de repos, n’a visiblement pas décroché un mot depuis 20ans et a remplacé le whisky par de la Jell-O fraise. Mais quelque chose nous dit que ça ne va pas durer. Le pilote multiplie clins d’œil à l’original et second degré tout en restant fidèle aux fondamentaux qui ont fait le succès de la série. Après la compagnie de Papa, c’est le ranch de Maman qui est l’objet de toutes les convoitises. On y a trouvé du pétrole mais Bobby avait promis à Miss Ellie qu’on ne forerait jamais à Southfork. On notera au passage que John Ross a construit un derrick et foré pendant des mois sur les terres familiales sans que personne ne s’en rende compte. Se poser et en parler n’étant pas vraiment le genre de la famille, ils préfèrent comploter les uns contre les autres, ou se donner des rendez-vous secrets la nuit au milieu du stade des Dallas Cow-boys pour imaginer des plans diaboliques en vue de récupérer le ranch. Sexe, famille et trahison, la recette est toujours la même mais elle est plus efficace que jamais puisqu’avec près de 7 millions de téléspectateurs la semaine dernière, TNT a enregistré le meilleur score pour une série du câble cette année . Preuve que c’est encore dans les vieux barils qu’on fait les meilleurs soaps.
1 « On a qu’à tirer sur ce fils de P**** »