Quand Anne, une présbytérienne rencontre Norman, un méthodiste, en 1955, elle le trouve très beau, joyeux, candide et naïf mais déterminé. Ensemble ils deviendront amoureux et quakers.
Unis dans leur idée de pacifisme par rapport à l'implication des États-Unis au Vietnam, ils se marieront et auront trois enfants: un garçon et deux filles. Norman Morrison pouvait facilement se sentir mal à l'aise en société. Fier écossais, il était très intense et son humour en public laissait quelque fois les gens perplexes. Anne aussi.
Déçu par le secrétaire de la défense Robert McNamara qui n'annonçait jamais ce qu'il voulait entendre: la fin de l'implication des États-Unis dans le conflit au Vietnam, Norman Morrison, quitte son domicile et roule en voiture 65 kilomètres jusqu'à Washinton le 2 novembre 1965.
À quelques mètres du Pentagone, il prend sa fille de un an, la laisse entre les mains d'un inconnu, s'assoit en indien au sol, se répand du kérosène partout sur le corps et allume calmement une allumette.
Il s'immole ainsi et meurt le coeur, le corps, en feu. Il avait 31 ans.
Il a laissé une lettre à l'intention de sa femme, qu'elle ne lira que le lendemain, où il lui demande de ne pas le juger et demande à ses enfants d'être brave. Il souligne qu'il a posé ce geste afin de sauver la vie des enfants du Vietnam et pour mettre fin à la guerre. Il pointe aussi Robert McNamara comme seul coupable du désastre du moment.
Anne, à la maison avec ses deux plus vieux, Ben 6 ans et Christina, 5 ans, est dans l'ignorance absolue du destin funeste de son mari. Un journaliste qui la rejoint en soirée lui suggère d'entrer en contact avec l'hôpital. On lui remet sa fille et elle doit maintenant expliquer que "papa est mort pour sauver les enfants du Vietnam, pour arrêter la guerre". Erreur. Anne le regrettera. Elle s'empêche de vivre un deuil normal et quand sa fille lui dit des années plus tard "que papa n'a pas réussi à arrêter la guerre", elle est sans mots.
Le secrétaire de la défense des États-Unis, Robert McNamara, est lui aussi sans mots. Il sera incapable de parler du drame à quiconque, noie sa peine dans la bouteille, et son mariage ne survivra pas non plus.
Morrison devient un héros folk, desespéré et beaucoup trop intense, certes mais une figure "populaire" dans certains cercles. Le poète Vietnamien Tò Hùu écrit un poème, Emily, My Child, comme si c'était Morrison qui écrivait ses mots à sa fille de un an, témoin involontaire de l'horreur du 2 novembre 1965. Le poème sera appris par coeur par les enfants de certaines écoles primaire du Vietnam. Une rue, Mo Rix On sera nommée en son honneur là-bas aussi et un timbre commémoratif à son effigie est lancé pour honorer la mémoire de celui qui s'est sacrifié pour une cause plus grande que lui-même. Toujours au Vietnam.
McNamara donnera un coup de fil à Anne-la-veuve afin de partager sa peine avec elle. Ils se parleront comme si ils s'étaient toujours connus. Anne perdra l'autre homme de sa vie, son fils,que le cancer fauche au tendre âge de 16 ans en 1975.
En même temps que la guerre du Vietnam prend fin...
Anne maudira son défunt mari de ne pas l'épauler dans cette inimaginable épreuve.
Norman, avec toute sa fragilité émotive, aurait-il été capable de tenir la route face à la maladie de son fils?
Norman Morrison commet son épouvantable geste aujourd'hui à Washinton, il y a 47 ans.