Chronique Vanille ou chocolat ? (Jason Shiga) - Cambourakis

Changer le cours de l’histoire, voilà le fantasme partagé par bien des gens que Jason Shiga (Bookhunter) vous propose de réaliser avec Vanille ou chocolat ?. Mais pas seulement. Il serait en effet bien réducteur, et même trompeur, de classer son dernier album dans la catégorie des "Livres dont vous êtes le héros". Même si ce livre vous propose de choisir étape par étape, voire parfois case par case, le déroulement de l’histoire, Jason Shiga a choisi de mettre de côté toute possibilité d’aléatoire (on n’aura donc pas besoin de dés à jouer pour profiter de la lecture), en laissant à chaque fois le choix à son lecteur de suivre l’une ou l’autre piste. Basé sur un système de segments colorés renvoyant à la case suivante, qui quelque fois se trouve quelques pages plus loin, jouant sur le principe des allers-retours malicieux, des boucles scénaristiques dont il faudra sortir ou des conclusions brutales (parmi toutes les possibilités, la plupart se terminent tragiquement ; une seule d’entre elles, qu’il faudra trouver, formant un happy end), Vanille ou chocolat ? est en quelque sorte un exercice de style narratif.

En mathématicien aguerri, Jason Shiga est parvenu à présenter sur une surface plane une multitude de strates narrative, une histoire multidimensionnelle qu’il réduit à deux dimensions. Proche des théoriciens de l’OuBaPo par sa formation et son travail habituel, il s’en écarte pourtant ici ; faisant fi des contraintes de forme et de style, il choisi d’explorer l’aspect combinatoire de la narration. On le croit donc sur parole lorsque cet as du dénombrement assure que son livre recèle exactement 3 856 histoires possibles. Le lecteur nous pardonnera de ne pas avoir refait son calcul.

Au-delà de l’exploit scénaristique évident, il faut également souligner la prouesse technique qui a permis de réaliser cet album. Si son aspect extérieur ne le distingue en rien du commun des ouvrages de bande dessinée, chacune de ses pages, imprimée sur un papier plastifié très résistant habituellement utilisé pour les livres destinés aux plus petits, possède ses propres onglets, adroitement décalés par rapport à la précédente. Le casse-tête destiné au lecteur l’a aussi été pour l’imprimeur, pour un résultat qui convaincra les adeptes de combinatoire.