Ils s'opposent en tout mais chacun est fasciné par l'autre. Il y a d'un côté le paysan de montagne, qui vit dans la ferme du haut, attaché au lieu par le travail et les bêtes, vivant dans des conditions qui n'ont rien à voir avec le luxe et le confort. De l'autre côté, un écrivain suisse allemand à succès, auteur de livres de voyages, séducteur, riche, nomade.
Des années plus tôt, l'un, pas encore connu, a demandé s'il pouvait installer une caravane sur un coin du domaine de l'autre. Et depuis, l'auteur est revenu régulièrement, pour se reposer, se ressourcer, écrire. Une amitié est née petit à petit. Chacun est fasciné par l'autre et envie son existence. L'écrivain place dans le paysan une sagesse, un équilibre, des valeurs profondes que celui-ci ne se trouve pas. Et le paysan rêve de cette vie de luxe, de voyages, de conquêtes féminines.
C'est ce dont parle Jean-Pierre Rochat dans L'Ecrivain suisse allemand. Plus précisément, le roman commence à la mort du littérateur, décédé dans sa caravane, entre les bras de sa jeune femme. La suite du livre est un composé de remémorations et d'implications. Des rappels du passé décrivent quelques épisode de leur amitié. On assiste à l'enterrement. Une fugue avec l'épouse suit : elle trouve une compensation à son chagrin dans cette aventure avec l'ami rustique du défunt.Tout ça est rythmé par la vie paysanne, le soin des animaux, la traite, ou l'évocation de la femme du paysan qui vit dans une autre ferme, la ferme du bas, avec sa sœur.
Voilà pour le contenu. Mais on ne dirait rien de ce livre si on ne parlait pas de son écriture et de sa force. Jean-Pierre Rochat travaille en pleine pâte, comme un peintre qui privilégierait l'épaisseur des matières, la force des couleurs, la consistance, la profondeur. Son style est dense, solide, rythmique, goûteux. Un exemple : le début du livre.
« Pour écrire un roman il faut être tellement souffrant que je n'y arriverai jamais.
« Horriblement seul. Pour la fiction, pas une petite branlette de fiction, non, pour avoir le souffle de traverser mille millions de paysages intérieurs. Avec des personnages que tu inventerais, même avec un gros rhume, le nez bouché, sans bouger.
« Non, je le jure, j'essaierai de me surprendre, de labourer tout le champ, vous savez comment, avec des chevaux, en levant à chaque bout la charrue qui pèse des tonnes... »
Lisez la suite, vous ne le regretterez pas.
Sinon, Jean-Pierre Rochat, né le 24 novembre 1953 à Bâle, est vraiment paysan. Jeunesse insoumise, dit Wikipédia, passage en maison de correction, puis berger en Suisse alémanique et dans le canton de Vaud : « à l'alpage l'été et comme journalier en plaine l'hiver. Depuis 1974, fermier, il exploite avec sa famille un domaine au sommet de la montagne de Vauffelin et assouvit sa passion des chevaux Franches-Montagnes dont il est un éleveur réputé, participant aux célèbres courses d'attelage du Jura. Il écrit depuis la fin des années 1970. »
Il a publié neuf ouvrages, notamment en France (notamment Berger sans étoile aux Editions La Chambre d'échos). C'est son deuxième livre aux Editions d'Autre Part.
Jean-Pierre Rochat, L'Ecrivain suisse allemand, Editions d'Autre part.