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Mai 1968 : un autre discours !

Publié le 15 novembre 2012 par Halleyjc

Le 10 novembre 2012 lors de l'inauguration de l'école Luce JOSEPH à Gourbeyre, sa fille Dany, sollicitée pour porter un témoignage, proposa de lire un extrait du discours que sa Maman prononça en mai 1968 devant celle qui fut sa maîtresse d'école. Cette lecture me fit revivre un moment cette grande dame, tante de mon épouse.

J'ai revécu les premier pas de cette jeune institutrice confrontée à ces "monstres" (le mot n'est pas trop fort) qu'il fallait chaque jour dompter tous et chacun, amadouer, éduquer en un mot aimer. Cette rencontre avec Tantie Luce n'aura que renforcer mon admiration pour les "Instituteurs du peuple".

Si vous souhaitez revivre le 10 novembre 2012 :

http://halleyjc.blog.lemonde.fr/?p=9152

Madame Luce JOSEPH fut aussi une redoutable bridgeuse et une grande mélomane collectionnant surtout les adagios !

Voici la copie de Madame l'Inspecteur d'Académie qui mérite Oh ! combien l'hommage qui lui a été rendu par la Guadeloupe entière en affichant son nom au fronton de cette école.

Dimanche 18 mai 1968

Il y a quelques jours, de passage à Pointe-à-Pitre, désirant saluer les collègues de l’école de l'Assainissement et revoir les élèves de l'établissement qui avaient été très gentilles à mon égard à une· certaine occasion, j'ai eu la joie d'embrasser madame la Directrice, dont j'ignorais le retour de la métropole. Elle m'apprit ce jour-là la distinction honorifique qui lui avait été décernée et manifesta vivement le désir que je fus présente à la petite fête organisée en son honneur aujourd'hui.

J’acceptai cette invitation avec une grande joie. Elle représentait pour moi une des nombreuses marques de sympathie qu'elle n'a cessé de me témoigner depuis le temps assez lointain où j'ai été son élève. La spontanéité du geste m'a beaucoup émue et m'a apporté la certitude que c'était même plus que la sympathie, c'était l’expression des sentiments d'affection et d’estime ce dont je lui suis infiniment gré.

J'étais élève à Dubouchage. Une de nos maitresses que nous chérissions beaucoup venait de nous laisser. Aussi cette inconnue qui nous arrivait nous ne savions d'où ne reçut pas de, notre part un accueil chaleureux. Elle nous sembla tout de suite indigne de remplacer celle qui était partie. Le visage fermé, l’ironie sur les lèvres, nous assistâmes impassibles à ses premiers cours. Nous guettions avidement la bêtise, l'erreur qu'elle ne manquerait pas de faire, pensions nous toutes sans nous être concertées cependant. « Cet Age est sans pitié! ». Parmi mes anciennes compagnes, beaucoup ont, embrassé l’enseignement et nous nous rendons compte maintenant, combien notre attitude avait pu être déprimante, ce jour-là, à celle qui était prête à nous donner tout son cœur. Comme elle,  a dû souffrir de notre accueil !  

Si elle fut peinée, nous ne l'avons pas deviné, décidées à lui faire sentir que nous n'avions que faire d’elle.

Le visage calme, la voix agréable, elle nous donna nos premières leçons. La matinée se passa sans incidents nous n’étions pas parvenues à la prendre en faute et nos questions, que nous voulions embarrassantes donnaient lieu à des réponses claires ; pourtant elle ne faisait pas étalage de sa science, mais elle nous obligeait à chercher et ne sentait pas diminuer son autorité quand elle nous aidait à trouver la réponse dans le dictionnaire ou dans le manuel.

A midi mon étonnement fut grand quand je la vis s'approcher de moi et me demander mon nom. Elle chemina à mes côtés et nous constatâmes que nous habitions la même rue. Elle n'hésita pas à me demander certains renseignements : nos programmes, nos habitudes, mes goûts personnels; les réponses, d’abord réticentes par timidité, le furent de moins en moins. Elle me pria de lui communiquer certains manuels scolaires, mes cahiers, ce que je fis avec un réel plaisir. L’après-midi, mes compagnes n'approuvèrent pas beaucoup ma nouvelle attitude. Pour certaines, j'étais devenue « une lâcheuse » : Heureusement pourtant que la majorité trouva que j'avais bien agi. Bientôt toute la classe, sauf de rares irréductibles, se mit à la considérer comme une grande sœur qui s'intéressait à nos problèmes et avec laquelle nous pouvions discuter amicalement. Elle ne nous imposait pas ses goûts, ses avis; elle cherchait à nous comprendre et nous aidait à élucider les questions qui nous préoccupaient. Toujours simple et calme, modeste et compréhensive, elle ne s’affolait pas quand nous nous désespérions de trouver la solution désirée ou désirable, elle nous invitait à faire une analyse plus approfondie de la situation et n'hésitait pas à mettre en lumière les coins sombres que nous évitions de prospecter par lâcheté ou par ignorance ; Ainsi nous étions conquises.

Dans la classe, désormais il n'y avait qu'une seule âme. Sauf à de rares moments, point n'était besoin d'employer la discipline de contrainte ; notre maitresse nous ayant montré le but à atteindre, nous cherchâmes ensemble les moyens d'y parvenir. Nous fûmes bien obligées de constater que notre avenir ne pouvait se fonder que grâce à nous et par nous. Sa présence ne se justifiait que parce qu'elle nous apportait son aide efficace son soutien de chaque instant.

Vous ne nous avez pas jugées indignes de votre attention. A notre aspect rébarbatif, hostile même, vous avez répondu par votre cœur; vous avez deviné que des jeunes ne pouvaient être franchement méchantes et en cherchant à les comprendre vous parviendrez à les apprécier et à les aimer.

Vous ne nous avez pas jugées indignes non plus des connaissances que vous étiez chargée de nous inculquer ; vous ne nous avez :pas "écrasées" de votre jeune science !

Vous n'avez pas comparé votre grande intelligence avec les moyens plutôt limités de certaines de vos élèves ; vous n'avez pas fait de ces parallèles si décourageante qu’ils enlèvent à la dédaignée tout désir de se rapprocher de la dédaigneuse, (méthode qui incite l’élève « mauvais »' à ne faire aucun effort qui le rend irrécupérable).

Vous ne nous avez pas jugées indignes ni de votre affection, ni de votre dévouement.

Au contraire, vous nous avez appris que l'humanité avait le droit de compter sur nous et que nous devions apporter notre contribution à l'œuvre universelle, qu'il ne nous était pas permis de nous désintéresser de la société dont nous étions une partie intégrante.

Par vous, nous avons su que donner de sa personne, de son temps, de son argent vous procure une joie beaucoup plus grande que celle de recevoir•

Nous avons su aussi que la vie n'était pas une partie de plaisir mais une longue route semée de fleurs et de ronces, que nous ne devions nous laisser égarer ni par le doux parfum des premières ni par les épines des secondes mais nous laisser toujours guider par de nobles sentiments tels que l'amour du prochain, le travail, la justice......

A celles qui se plaignaient d'avoir trop de travail et qui aspiraient à une vie de loisirs (n'est-ce pas une telle vie que certains font miroiter à nos jeunes?), vous avez su leur montrer qu'une vie semblable ne pouvait leur apporter aucune grande joie et ne contribuerait qu'à ramollir notre volonté et à créer de funestes occasions de nous rapprocher de la bête, que le travail nous permettait de réaliser de grandes et belles choses et nous procurait parfois la satisfaction d'extirper nos semblables de la misère morale, intellectuelle ou physique.

Enfin vous nous avez mis en garde contre la vie moderne qui cherche à annihiler notre vie intérieure ; grâce à vous nous avons su apprécier le silence, source de réflexion et qui rend possible la confrontation avec notre moi intérieur, ce qui est indispensable à tous ceux qui veulent atteindre un haut idéal.

Et quel plus haut idéal que celui de l'instituteur. Notre mission n'est-elle pas l'une des plus nobles ? Comment ne pas nous sentir pénétrés profondément des sentiments les plus élevés, les plus complexes devant la grande responsabilité qui nous incombe ? De notre action sur nos Elèves, il en sortira une société diminuée ou régénérée ; de toutes façons, elle sera notre œuvre et nous pourrons nous en réjouir ou nous en repentir.

Nous, vos anciennes élèves, jeunes et moins jeunes, la meilleure récompense que nous donnerons à celle qui nous a aidés à devenir ce que nous sommes, c'est de suivre l’exemple qu'elle n’a cessé de nous donner ; exemple de dévouement, exemple d'une vie qui n'a jamais été en contradiction avec son enseignement et ses pensées.

Indulgentes envers les fautes des autres, sans être faibles, sévères dans certaines circonstances sans nous départir de notre bienveillance, nous poursuivrons la route que vous nous avez tracée avec tant de sollicitude ! Nous tâcherons de poursuivre l'action que vous avez si bien commencée, sachant que notre démission d'enseignant ne pourra aboutir qu'à une catastrophe mondiale.

Pour terminer, après avoir renouvelé mes profonds remerciements à notre lauréate du jour, après avoir sollicité l’indulgence de 1'audiditoire, je me permettrai de m'adresser à toutes les anciennes élèves de Mme BOMHAMPS : quand 1'heure de la retraite sonnera pour notre bienfaitrice et qu'elle ira gouter un repos bien mérité, n'oubliez pas que 1'isolée qu’elle sera devenue aura besoin des manifestations de votre affection, ne la délaissez pas.


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