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La survivance de Claudie Hunzinger

Par Sylvie

Editions Grasset, 2012

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Il y a des oeuvres rares, précieuses, magiques, qui ne se laissent pas apprivoisées du premier coup d'oeil. La survivance est de ceux là....

Claudie Hunzinger nous livre son deuxième opus ; elle est artiste plasticienne et tout comme les personnages de son roman, elle vit en haute-montagne dans les Vosges. Comme pour eux, le livre occupe une place centrale dans son oeuvre : elle fabrique des livres de cendres, des livres d'herbe : http://www.claudie-hunzinger.com/spip.php?rubrique3  

Le point de départ du livre : un couple de libraires sexagénaires, Jenny et Sils, s'expatrient dans une vieille maison délabrée sur le plateau de Brezouard, à 1000 mètres, au coeur du Massif Vosgien. Un climat rude, âpre, des conditions de vie rudimentaires...Ils y sont contraints car leur librairie de la plaine a fait faillite, ils ne peuvent plus payer leurs locaux.

Tels des nomades du 21 e siècle, des "expulsés d'Egypte", ils partent avec leur chienne, leur ânesse et leurs livres sur la route. 

Puis vient la "réparation" de la Survivance, la lutte pour la survie, la coupe du bois, le jardinage....

Mais s'arrêter là serait trop simple : nous ne sommes pas dans un roman du terroir décrivant le simple quotidien de retraités rénovant leur vieille bicoque.

Il s'agit de trouver une nouvelle manière d'être au monde, de décrypter des signes donnant un sens à cette nouvelle vie. Et c'est dans l'Histoire, l'Art et les livres que  Sils et Jenny vont trouver des correspondances à leur propre destin. 

Il sera question de génies de la Renaissance, de peintres (Duhrer, Cranach, Grunewald...), d'Hemingway, d'Aby Warburg....

Certes les références sont nombreuses, ce roman est très érudit. Mais il ne s'agit pas d'érudition "froide" : au contraire, elle contribue à donner une atmosphère magique à l'histoire, qui oscille toujours entre conte merveilleux et désespérance métaphysique. 

C'est Jenny qui nous raconte l'histoire au passé ; ses mots transcrivent une atmosphère étrange, le fait d'habiter un autre monde ("Malgré la neige qui la piégait, et peut-être grâce à sa cargaison, la maison à l'intérieur se dilatait, se transformant lentement en un immense territoire : la lune. j'aurais pu la cartographier avec son lac des chimères, sa mer des désirs extravagants et sa face cachée abritant le désert des explorations les plus poussées, les plus précises, les plus savantes....") transfiguré par l'imaginaire, et en même temps voué à la disparition, à la mort ("Quand il parlait de cargaison à sauver, j'avais l'impression qu'il se prenait pour un Noé galactique. Que nous étions dans une sorte d'arche en compagnie des restes périmés, devenus incongrus, d'une civilisation de l'écrit, tandis qu'autour de nous montait l'eau d'innombrables écrans plasma et autres inventions, annonçant un monde fabuleux, bien plus fort que l'ancien. Encore plus destructeur. Encore plus dangereux")

Ce monde à part, île magique vouée au néant, va être peuplé de signes qu'il va falloir décrypter pour donner sens au monde et à sa vie; c'est ainsi que la nature, les livres et les tableaux vont se répondre, telles les correspondances de Baudelaire. Car il est beaucoup question d'alchimie, de transfiguration du réel. 

Alors que Jenny, ancienne éthologue, observe le comportement des cerfs, Sils, traumatisé par l'incendie (fictif) du monastère d'Issenheim, renfermant le célèbre Retable de Mathias Grünewald datant du XVIe siècle, va partir à la recherche des pigments que le

 

http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0333/m002804_88-rp-139-a_p.jpg

http://fr.wikipedia.org/wiki/Matthias_Gr%C3%BCnewald

peintre allemand a justement recueilli dans cette région où des mines d'argent étaient exploitées : et nous voici dans un concert alchimique de pierres précieuses et de couleurs : rouge cinabre, bleu azurite, jaune plomb. Magnifiques passages où les couleurs et matières se font musique, feu et air...

La survivance devient alors aventure intellectuelle et spirituelle qui fait se transfigurer le réel pour trouver un ailleurs. Cette recherche de "l'au delà" suffira-t-il à vaincre le néant auquel est voué le couple ? 

Laissez-vous charmés par cette écriture incandescente et très rare, mêlant érudition et alchimie, si loin de toute contamination du matérialisme ambiant. Avec Claudie Hunzingen, la littérature redevient une véritable aventure spirituelle....Laissons lui la plume...

"N'empêche, on sentait bien qu'on vivait sous la menace, guettés par la malveillance des temps. Mais c'était encore l'été. Et puis, par dessus le marché, par-dessus l'été, il y avait dans notre vie, offertes, colorées, féeriques, les miettes du trésor que Sils s'était approprié, qu'il avait broyées, et les premières poudres du pigment resplendissaient déjà dans les coupelles minuscules sous la tente de Sils"

"Si nous voulions nous en sortir, il fallait sortir de nous. Plonger direct dans les sensations, dans la peur, dans la joie, être aux aguets, se transformer en une boule de présence au monde prête à jaillir ; il y a quelque chose d'excitant, de suffocant dans la lutte pour la vie : plus d'écran entre elle et nous. On devient la vie"


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