Tous les jours, sauf le vendredi, des centaines d'hommes et de femmes, mais surtout des hommes, se collent sur la grande clôture de métal de Ganj, un endroit qui n'est ni l'Afhganistan ni l'Iran mais un espace entre les deux où se mélangent les Hazaras, les Tajiks, les Pachtounes, les Ouzbeks et les Baluchis.
Ils veulent tous faire partie de la prochaine livraison d'étrangers à sortir du secteur, trop près de la guerre Afghane, et idéalement se rendre en Turquie, en Grèce, dans l'Europe de l'ouest. La plupart n'en demandent pas tant et se contenterait de simplement vivre en Iran et se tailler un poste de poseur de brique, d'ouvrier ou d'homme à tout faire. Tant qu'ils sont loin de la guerre.
Si seulement un de ses camions, de type pick-up, peut choisir de les prendre dans leur boîte arrière.
C'est seulement une vingtaine d'entre eux, et ceux qui paient le mieux, qui seront de la randonnée. Celle-ci n'est pas exempte de passer sur une mine plantée sur le trajet et de faire périr tout le monde. Le trajet passe de l'Afghanistan au Pakistan à l'Iran.
La ville la plus près de Ganj est Zaranj en Afghanistan. La route vers la frontière de l'Iran serait alors une randonnée de 10 minutes. Mais elle est si dangereuse qu'on préfère passer par le désert, faire 10 heures, 10 heures, en trois étapes. Conduire ce pick-up est une grosse business. Ce sont 300 conducteurs différents qui se partagent cette tâche à travailler une journée par mois.
Il y a quelques fois des tireurs embusqués qui leur tirent dessus de loin. Ils ratent toujours leur cible. Mais ils ont installé la peur. Les passagers passent de l'envie à l'excitation, à la peur, à l'angoisse, à l'anticipation, à l'excitation. Et l'anticipation encore. Quelque chose qu'on pourrait peut-être appeller l'espoir. Ils ont un sac comme seul bagage. Tout un passé dans un sac sale. Tout un futur dans une randonée de 10 heures dans le désert. Ce désert qui leur faisait gagner des guerres contre les russes. Comment pouvaient-ils se cache ceux-là quand ils attaquaient quand il n'y avait rien sinon un désert sans fin? Les Russes devenaient des cibles faciles.
Maintenant ce sont eux, tâches brunes dans le derrière d'un pick-up, les cibles faciles.
Depuis les années 90, l'Iran s'est opposé au régime Taliban installé en Afghanistan. Ce régime a massacré des milliers de shiites ainsi que 9 diplomates iraniens. L'Iran et l'Afghanistan sont sur un pied de guerre depuis. Étrangement, ça ne ralentit en rien les espoirs de ses déserteurs, plus Afghans qu'Iraniens et qui foncent dans la gueule du loup. La plupart survivent mais plusieurs autres foncent vers la mort.
Ce ne sont pas des statistiques que les chauffeurs de pick-up leur livreront si ils veulent garder leur business.
Il n'y a pas que la religion qui tue là-bas.
Il y a aussi la naiveté et l'ignorance.
Religon, naiveté, ignorance, ça va ensemble de toute façon.
À la suite des évenements du 11 septembre, quand les États-Unis ont envahi l'Afghanistan, l'Iran a appuyé le pays de l'oncle Sam dans un rare (unique?) geste de solidarité. Même si l'Iran subventionne par en dessous l'insurrection talibane.
Il n'y a de fidélité qu'à de pieuses métaphores dans ces pays-là.
Les troupes des États-Unis resteront en Afghanistan jusqu'en 2014.
Instabilité assurée jusqu'en 2014 alors.
Aussi bien déserter en pick-up vers un nouvel avenir.
Fait d'autre choses que de sable et de sang.
Si ils avaient la télévision que nous avons ils verraient toutefois que l'attention est ailleurs.
À Gaza dans la valse des horreurs.