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[note de lecture] "Ici en exil" d'Emmanuel Merle, par Murièle Camac

Par Florence Trocmé

MerleIl est difficile de lire Ici en exil d’Emmanuel Merle – ou plutôt, cela prend du temps – parce que presque à chaque vers, à chaque strophe, on relève involontairement les yeux de la page pour plonger dans la vision qui s’en élève, pour s’égarer dans une contemplation rêveuse. 
L’exil d’« Ici », c’est un exil généralisé, une sorte de solitude partagée : exil de l’enfant dans un monde où les arbres et les chiens peuvent mourir, exil de « l’homme » dans la « vie violente », qui est en même temps la seule vie possible, exil des éléments de la nature dans leur propre « convulsion » ou dans leur propre oubli. Exil des pierres notamment : « un morceau de nuit / une énigme de disparition » – exil des arbres : « branchies aléatoires dressées / à toute volée dans l’océan céleste ». 
L’arbre et la pierre sont de la famille des ruines 
naturelles 
chaque pierre un motif repris de l’éboulement 
chaque arbre un exil 
Au cœur de cette nature convulsée, violente, vivante, c’est aussi l’exil d’Orphée qui s’écrit peu à peu. Le poète exilé de son chant avance, sans pouvoir se retourner, dans le cri des choses, dans le cri des éléments et des animaux autour de lui, dans le cri de la naissance et de la mort. 
Ma main toujours sur le mur  
j’en palpe le cri par les doigts 
je ne me retourne pas 
pas avant 
Le poème, au fur et à mesure que le livre progresse, subit ainsi plusieurs mues discrètes, à l’image de celle du serpent qui a mordu Eurydice. Il commence sur une évocation du père, dans une scène d’enfance. Il se poursuit sur les traces d’un « homme en noir », « un homme au loin / au bout de la route ». Il s’achève enfin sur la montagne du mythe, et dans la roche même du mythe : en s’efforçant d’avancer dans « le tunnel du souffle », dans le « souterrain » où résonne un écho, et qui n’est sans doute que « l’en-creux » laissé par le chant mort d’Orphée. 
L’écriture possède à la fois la sècheresse des racines et le mouvement incessant des feuilles d’arbre dans l’orage. Les images sont en constante mutation, sujettes à métamorphose ; la « violence » qui parcourt le livre est aussi celle de l’effet produit par la puissance des métaphores :  
ma gorge se déploie et c’est un arbre  
qui déchire le temps et l’espace 
ma voix se durcit et c’est une pierre 
qui ricoche sur la mort 
On y décèle des échos de Poe (« cet oiseau noir ce corbeau au carreau »), de Du Bouchet, peut-être, dans l’image de l’homme solitaire gravissant la montagne. Le poème avance en s’accrochant aux rochers, aux branches – en s’y écorchant. Les gouttes de sang d’Orphée  
rouillent, 
notes devenues gouttes  
gouttes rouges fossilisées // 
Pierres de la mémoire et du présent  
mots qu’on n’entend plus 
Il s’agit, au bout du compte, d’une méditation sur « l’humain » qui, en exil dans la nature, cherche à se comprendre lui-même en écoutant le cri des animaux, des pierres, des arbres, de l’eau, du ciel. Pour l’homme, au début du poème, « l’humain se condense / dans l’œil de son chien au seuil de la mort ». A la toute fin du livre, après le long parcours orphique sur la montagne et sous la terre, après la lacération et le démembrement, l’homme se retrouve « nu » sous le ciel. Fin ambiguë, guère apaisée, n’offrant pas de solution facile. Si ce n’est que se rejoignent « Ton sang ta vie la rouille des rochers / la fourmi sur le mur ma main écorchée » : le contact avec le monde et les autres a lieu, même si c’est dans la violence. L’humain, peut-être, se trouve une place dans la nuit. 
[Murièle Camac]
 
 
Emmanuel Merle, Ici en exil , L’Escampette, 2012, 12€  


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