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Raconter l’indicible : la version classe et la version trash

Par Litterature_et_chocolat @HeleneChoco

La littérature doit-elle servir d’exutoire?Raconter l’indicible : la version classe et la version trash

Le débat autour de l’autofiction est relancé à chaque rentrée littéraire. Faut-il se raconter dans un livre? Pour quoi? Pour qui? Dans quel objectif? L’an dernier, le superbe roman Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan avait marqué les esprit par la délicatesse de son écriture. Certains auteurs excellent à raconter le pire avec finesse et sensibilité. Ils ont la volonté d’amener en douceur le lecteur au bout d’un récit terrifiant; preuve que tout peut se dire mais qu’on ne peut pas tout dire

Cette année, deux romans nous offrent la démonstration éloquente qu’un même sujet peut faire l’objet de deux traitement aux effets antagonistes : la pédophilie. D’un côté, la sulfureuse Christine Angot qui s’est fait une marque de fabrique de déverser les pires atrocités dans ses livres. De l’autre, un jeune écrivain américaine, Margaux Fragoso, dont le premier roman est d’une émouvante sensibilité.

Raconter l’indicible : la version classe et la version trashDans Une semaine de vacances Christine Angot dévoile une (son?) enfance placée sous le signe de la pédophilie, voire de l’inceste. Ce qui a attiré, une fois de plus, Christine Angot sous les feux des projecteurs, c’est l’extrême crudité du langage, la description clinique des pratiques sexuelles. Le luxe de détails sur les abus dont est victime la jeune héroïne. La volonté d’écœurer, de choquer, de rebuter. N’y-a-t-il pas une forme de perversité et d’auto-complaisance dans le fait de raconter à des millions de personnes ce qu’on réserve habituellement aux cabinets des psychiatres les plus aguerris?

En témoigne ces quelques lignes dans les premières pages du livre:

[...] son buste doit s’avancer le plus possible vers le bord de la cuvette de façon à ce que la bouche arrive à contenir la longueur de membre maximum, tout en restant douce, sans mettre les dents, le plus possible jusqu’à la garde, et en utilisant sa langue à l’intérieur de sa bouche, pour faire des caresses supplémentaires, et tourner autour du membre comme un drapeau qui vole autour de sa hampe.

On se demande à quel genre littéraire appartient Une semaine de vacances : littérature classique? Érotisme? Pornographie? Manuel d’éducation sexuelle?

Raconter l’indicible : la version classe et la version trashLa question ne se pose pas avec Tigre, tigre!, le roman de Margaux Fragoso. Contrairement à Christine Angot, l’auteur ne se cache pas derrière des faux-semblants : ce roman, c’est son histoire. Ce qu’elle décide de relater, ce n’est pas tant la sexualité qu’elle a subi dès l’âge de huit ans, mais les mécanismes tortueux qui amènent une fillette à rechercher la compagnie d’un homme qui abuse d’elle. Peu importent la fréquence, la teneur des abus, ou comment Margaux doit s’y prendre pour amener Peter au plaisir. On est dans un autre registre : celui de raconter sans dire, de faire comprendre sans expliciter. Et ça fonctionne incroyablement bien : Margaux Fragoso n’entend pas, contrairement à Christine Angot, enseigner l’art de la fellation à ses lecteurs, l’intérêt est ailleurs.

On est admiratif du recul que la jeune femme a pris et qui lui permet d’atteindre une telle finesse dans l’analyse de son vécu. Car la force de Tigre tigre!, c’est l’absence de tout jugement, la volonté de ne jeter l’opprobre sur personne. Le ton n’est pas culpabilisant, il est narratif et questionne sur la possibilité de s’affranchir un jour d’un pesant héritage familial, le traitement à réserver aux homosexuels et le fait que des parents ferment les yeux sur une situation explicite, voire… l’encouragent.

Notre monde à tous les deux n’avait été permis que par le secret qui l’entourait; privés de nos mensonges et codes et regards et symboles et cachettes, nous aurions été privés de tout; à vingt ans ou à quinze ou à douze, privée de tout cela j’aurais pu me tuer et personne alors n’aurait pu entrevoir cette île minuscule qui n’existait qu’à travers ses mensonges et codes et regards et symboles et cachettes. Tous ces secrets mis bout à bout formaient comme une clé suprême.

EN CONCLUSION ?

Christine Angot semble vouloir attirer la sympathie et la pitié des lecteurs, les amener à condamner l’homme et à plaindre la jeune victime. Mais on est en droit d’exiger plus de douceur et moins de pathos. Finalement l’auteur rate son objectif. A moins que ce dernier n’ait été de faire le buzz et d’engranger un maximum de vente, auquel cas le scandale est une solution  efficace. Margaux Fragoso réussit là où Christine Angot échoue, avec à la clé une belle leçon d’humanité et de littérature. Car ce roman est également merveilleusement bien écrit, l’écriture est douce et imagée, sans que cela n’enlève quoi que ce soit à l’horreur de ce qu’a vécu l’auteur.

Et vous… quelle version préférez-vous?

JE VOUS LES CONSEILLE SI…

… vous n’avez encore jamais lu Christine Angot. A minima, vous pouvez lire les premières pages de son dernier roman ici : CLIC! Il est toujours bon se faire sa propre idée…
… vous aimé le style de Delphine de Vigan. Celui de Margaux Fragoso est plus souple et plus léger, mais toutes deux ont la même pudeur à se raconter. Un extrait est disponible ICI.

VOUS AIMEREZ PEUT-ÊTRE :

Raconter l’indicible : la version classe et la version trashRien ne s’oppose à la nuit,
de Delphine de Vigan Raconter l’indicible : la version classe et la version trashSmall favors,
de Colleen Coover

Plus dur que Tigre, Tigre! : un bel exemple d’autofiction Aussi lourd et pesant que le style de Christine Angot

Raconter l’indicible : la version classe et la version trash Raconter l’indicible : la version classe et la version trash

Tigre, tigre, de Margaux Fragoso a été lu
dans le cadre des Matchs de la rentrée
littéraire 2012 organisés par Price Minister
.
Un grand merci à Olivier pour cette organisation
bien rodée! Et comme il faut attribuer une note à sa lecture, ce sera un 14/20. Et hop! 1er livre de cette rentrée littéraire pour Tigre, Tigre!


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