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Itw LB et Yves Huchez : la nouvelle aventure Ototo et le marché du manga…

Publié le 21 novembre 2012 par Paoru

Ototo

Aaaah, les interviews éditeurs… Ça me manquait ! Depuis la dernière en date, celle de Grégoire Hellot de Kurokawa fin mai début juin, de nombreuses entrevues avec les éditeurs de manga ont défilé sur le net (chez Bodoi est Manga-News notamment) et il y a encore beaucoup de choses à dire dans le domaine. Aujourd’hui penchons-nous sur le cas Ototo, le label généraliste qui a débarqué en début d’année et qui est dirigé par un habitué de la scène manga-japanime, Yves Huchez, aidé par son fils et assistant éditorial Louis-Baptiste, qui œuvrent depuis plusieurs années à la tête de Taifu Comics.

Ayant collaboré avec Taifu à lors de mon passage chez Webotaku, je me suis réjoui de leur retour au shōnen, au shōjo et au seinen avec (au moins) deux bons titres : Spice and Wolf et Samidare, qui est d’ailleurs à l’honneur ce mois-ci avec un concours ! Mais pourquoi et comment ce changement de cap, quel bilan dresser des années dans le yaoi, le hentai et le yuri, quel accueil pour les premiers titres Ototo… Et quid des salons et de Facebook où cet éditeur est très présent ? J’ai pu aborder ces sujets et de nombreux autres avec Louis-Baptiste puis Yves lors du dernier Paris Manga. Cette heure d’entrevue a accouché d’un échange plutôt riche en informations et pistes de réflexion sur le marché du manga et les difficultés qui vont avec…

Voici le compte-rendu… Bonne lecture

:)

De Taifu à Ototo

Louis-Baptiste - Ototo
Bonjour LB,

Avant Ototo, le « petit frère » en japonais, il y a eu Taifu, donc commençons par là. Vous vous êtes orienté vers le yaoi il y a quelques années, quel est bilan ?

On a bifurqué vers le yaoi chez Taifu parce que, au départ, on était dans une période difficile. Chez nous le shōnen, le shōjo et le seinen commençaient à s’essouffler, de manière plus ou moins prononcée.

Les seuls titres qui se vendaient vraiment étaient les titres ultra-populaires, comme Naruto par exemple. Donc on a cherché des moyens de se diversifier : il y avait le marché asiatique hors Japon (Corée du sud, Chine, etc.) que certains ont choisi, et il y avait le yaoi, la piste qu’on a privilégié.

À la base on avait très peur du résultat, on se demandait vraiment si ça allait prendre. On a donc été prudents et on a commencé par un ou deux titres, des one shots, pour tester. On s’est rendu compte qu’il y avait une énorme fanbase sur ce marché, qui n’avait pas encore de quoi se mettre sous la dent en France. Donc on s’est développé sur ce terrain là et on a pu sortir beaucoup plus de titres.

De plus, contrairement aux shōjos et aux shōnens, il n’y a pas d’overdose sur ce secteur. Au contraire, les lecteurs nous en demandent toujours plus. Même si d’autres éditeurs arrivent sur ce marché ce n’est pas forcément problématique, car on est en face de séries plutôt courtes. Donc quand quelqu’un fait une série à 3 tomes, il la termine assez rapidement et il redevient tout de suite demandeur d’un autre titre.

C’est donc un marché qui ne s’essouffle pas vraiment. Un peu tout de même, forcément, car il est lancé depuis 4 ou 5 ans, mais c’est toujours en vogue et dynamique. Ça reste en tout cas nos meilleures ventes.

En termes de ventes justement, on se situe à quel niveau ?

Alors je n’ai pas les chiffres sous le nez mais en moyenne on tourne autour de 3 000 exemplaires et sur les plus gros succès comme Stupid Story, c’est aux alentours de 4 000 et 5 000.

Sur Paris Manga nous avons parlé avec Yoko Hanabusa (la mangaka de Georgie) d’une évolution dans le lectorat féminin et elle, qui suit ce public depuis plusieurs décennies, constate un déclin du shōjo. Et c’est vrai que, dans les tops des ventes français on voit que derrière le shōnen, le seinen prend la place du shōjo…

C’est vrai que le shōjo est en déclin, notamment face au yaoi et au yuri parce que le lectorat de ces deux catégories est essentiellement féminin… Au point que l’on sait, à l’avance, que nos futures sorties shōjos n’arriveront sans doute pas au même niveau, en termes de ventes,  que ceux que l’on sortait il y a quelques années.

Yoko Hanabusa ajoutait qu’en fait les filles ne rêvent plus de devenir des princesses, et que les shōjos qui surfaient sur cette thématique ne peuvent plus rencontrer le même succès…

Exactement, et ça explique le basculement vers le yaoi. Elles veulent du concret ! (Rires)

Ensuite une part du lectorat féminin français a grandi depuis le lancement du shōjo au début des années 2000. Celles qui ont continué ont aujourd’hui 10 ans de plus et ne cherchent plus la même chose. Et celles qui arrivent sur le marché du shōjo sont tellement noyées sous les titres qu’elles vont uniquement vers les plus populaires.

Et du coup, à quoi correspond l’arrivée d’Ototo : l’envie de faire autre chose, une nécessité économique ?

En fait on a toujours une âme de lecteur de manga au sens large donc on continue d’aimer les shōjos, shōnens et seinens. L’envie de sortir des petites séries pas forcément très connues en France était toujours là, on voulait faire découvrir des coups de cœur. Mais avec l’arrivée du yaoi on ne pouvait plus le faire chez Taifu.

Ça faisait 3, 4 ans qu’on travaillait sur le yaoi et on avait envie de revenir tester le marché pour voir s’il avait évolué. On se lance donc sur Ototo avec des titres qu’on a trouvé après pas mal de recherche, qu’on a bien sélectionné.

Il  y a par exemple Samidare, un gros coup de cœur shōnen et à coté il y a des shōjos d’une auteure qu’on connait déjà bien, Takako Shigematsu, qui a signé Tout sauf un Ange !! et Big Bang Venus. L’idée c’était de repartir sur des coups de cœur et des bonnes bases, et de voir comment le marché avait évolué.

Pour repartir sur les secteurs shōnens/shōjos/seinens, pourquoi ce nouveau label Ototo était nécessaire ?

Quand a décidé de relancer ce genre de collections on s’est dit qu’on ne pouvait pas garder Taifu Comics comme étendard, parce que ce nom est maintenant associé au yaoi, au yuri et au hentai.

Le stand Taifu se trouve facilement sur les salons !

Donc, changer de nom, ça nous a permis d’arriver avec un bol d’air frais et d’aller au-delà des préjugés que certains acheteurs peuvent avoir, comme une mauvaise qualité d’édition, des fautes d’orthographes, des couvertures pas terribles…

Par exemple je connais une personne qui avait un avis très négatif sur Taifu Comics et qui ne savait pas que nous étions responsables d’Ototo. Il est arrivé et nous a dit « Ototo c’est trop bien, des supers titres, une super qualité, etc. ». Il a été très surpris de voir que nous étions aussi Taifu Comics ! (Rires)

Alors tu m’expliques que vous fonctionnez au coup de cœur mais, sur un plan plus pragmatique, quels sont les objectifs ?

En fait le yaoi est toujours en cours d’évolution et, sur le long terme, on ne sait pas où ça va nous mener. Donc on cherche à ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier et à avoir quelque chose d’autre si le yaoi se casse la figure.

Ototo et Taifu sont côte à côte et nous offrent deux portes de sorties différentes selon l’évolution du marché. Et ça évite aussi que les difficultés de l’un n’entrainent la chute de l’autre.

Sur votre rythme de sorties mensuel : 3-4 chez Ototo et 7-8 chez Taifu, en moyenne. Est-ce que c’est un équilibre qui va évoluer avec un développement d’Ototo ou rester tel quel ?

Pour le moment on va rester sur ces rythmes parce qu’il y a toujours une demande énorme de yaoi donc on essaye d’en sortir un maximum chaque mois chez Taifu.

Alors qu’à l’inverse chez Ototo on cherche à ne sortir qu’un nombre limité de titres, sur lequel on a eu un coup de cœur.

Une démarche à la Kurokawa, avec peu de titres mais qui sont bien défendus…

Voilà. On veut vraiment soigner la sélection de nos titres, être sur qu’ils nous plaisent et qu’ils peuvent plaire au public français. C’est pour ça que le rythme est plus faible, on veut se tourner vers le qualitatif.

Ototo : premiers titres, accueil variable…

Spice_Wolf tome 3
Ototo a débarqué début 2012 et depuis les deux œuvres dont on a le plus parlé sur la toile sont Samidare (4 tomes, le cinquième fin novembre) et Spice and Wolf (2 tomes, le troisième fin novembre)… Quels sont les premiers retours ?

Alors, pour commencer par Spice And Wolf

C’est un titre qui est posé sur notre bureau depuis… (réfléchit) 2007-2008 et on n’a jamais osé le sortir chez Taifu. C’est vraiment grâce à Ototo qu’on a pu le faire.

C’est une série qu’on adore tous, avec un gros potentiel et une bonne base de lecteurs grâce à l’anime et au roman. Mais c’est assez compliqué parce que c’est un manga sur le commerce et sur l’argent, c’est une histoire pas simple, dans la catégorie seinen… C’est pour ça qu’on a beaucoup réfléchi avant de le lancer.

Et finalement… La popularité est encore plus forte qu’attendue, il y a beaucoup de bouche à oreille qui se fait dessus et on a reçu un très bon accueil lors de sa sortie en avant-première, à Japan Expo. Il y avait même un bouche à oreille à l’intérieur du salon avec des gens qui arrivaient sur le stand en nous disant « on vient tout juste de me parler de cette série, qu’est-ce que c’est ? ». Et quand on leur explique le pitch ils sont séduits.

 C’est un manga assez différent -  c’est la première fois que j’en lis un sur le commerce d’ailleurs – et très bien mené.

On s’interroge même, en ce moment, sur le potentiel du roman et sa publication en France.

Passons maintenant à Samidare

Le cheminement est très différent… Contrairement à Spice and Wolf qu’on avait depuis longtemps, on a trouvé Samidare juste avant de monter Ototo et on est tombé dessus un peu par hasard. On a eu le premier tome entre les mains et on se l’ai fait passer entre nous. Tout le monde a eu le même réflexe : « C’est génial, il faut qu’on le sorte ! »

On a fait des offres aux japonais qui l’éditaient, Shônen Gahosha, qui étaient très sympas et avec qui le courant est bien passé – ce n’est pas toujours le cas – et on a pu le sortir. Là aussi c’est une série un peu différente : c’est un shōnen sans en être, qui tord le cou aux codes du genre.

Le seul truc qui nous rebutait, qu’on voyait comme nuisible au succès du titre – et on a eu raison – ce sont les couvertures. Elles ne sont pas très vendeuses et ne font pas honneur au titre, ne représentent pas ce qu’il y a à l’intérieur du manga.

On a essayé au départ de convaincre les japonais pour qu’on puisse changer les couvertures mais ça n’a pas fonctionné. On a donc lancé le tome 1 sur le marché – peut-être un peu précipitamment d’ailleurs – pour voir comment il se comportait…

On s’est aperçu que lorsque l’on peut le présenter sur un salon, expliquer de quoi il parle, montrer des planches, etc., on arrive à accrocher le lecteur et il revient le lendemain pour nous acheter la suite en nous confirmant que le titre est vraiment bon. Mais si on le laisse en librairie, sans conseil et avec uniquement la couverture, les gens vont y voir un shōnen basique et ça ne va pas du tout les intéresser.

Et ça on n’a aucun pouvoir dessus…

Du coup, avec un bouche à oreille, est-ce que la série arrive à décoller au bout de 4 tomes ?

Non pour le moment ça ne décolle pas vraiment. C’est assez décevant.

Samidare 1 nouvelle version
Sans forcément nous donner les chiffres, si on compare avec Spice and Wolf ça donne quoi ?

En fait sur un salon on vend 1 Samidare pour 5 Spice and Wolf. Mais, bonne nouvelle, on a enfin eu l’autorisation par les japonais de retravailler les couvertures et on va essayer de relancer le premier tome avec ce nouveau visuel plus attrayant et plus fidèle au manga. (Le tome 1 est ressorti avec ce nouveau visuel fin octobre, comme vous pouvez le voir ci-contre, NDLR)

Mais ce comportement d’une part du lectorat, qui se fait un avis juste sur une couverture, peut-on lutter contre ?

Je pense. Chez Taifu on avait une série qui s’appelle +Anima et qui connaissait un petit succès, mais surtout quand on la présentait aux gens, dés lors rapidement convaincus. Donc on a décidé de refaire une édition de toute la série, avec un rythme classique d’un tome tous les mois, pour la faire redécouvrir petit à petit.

Et, alors que la série est parue depuis 2005, on s’est rendu compte  qu’énormément de personnes – 9 sur 10 – n’ont jamais entendu parler de la série !

On pense que pour Samidare c’est pareil. Pour l’instant peu de monde connait le manga, à part les professionnels et ceux que ça intéressent, les gros consommateurs. Mais on espère changer ça en relançant la série. Quand on voit les publicités de Ki-oon par exemple, qui fait des supers lancements, on se dit que de miser à nouveau sur un tome 1 peut s’avérer efficace.

Est-ce que finalement le succès d’un manga ne se fait pas au début, sur les 2-3 premiers tomes ?

Oui. Tout simplement.

Ce qu’on a vu, c’est que le succès ne se fait pas uniquement sur sa qualité et il faut donc attirer dès le début un maximum de personnes, que ce soit par les couvertures, par du marketing et de la communication, des jeux concours géants, etc. Il faut se méfier des séries qui ont un bon potentiel sous prétexte qu’il y a un anime ou un jeu vidéo, ce n’est pas une assurance en soit et ça peut être insuffisant si jamais le lancement est raté.

Mais une fois que cette base de lecteur est établie c’est une garantie pour la suite et on sait qu’eux-mêmes, par le bouche à oreille, permettront à la série de continuer à bien se vendre voir à mieux se vendre.

Cela dit il n’y a pas de formule miracle et tous les titres ne se comportent pas de la même façon… ça se saurait ! (Rires)

Goodies et réseaux sociaux

Taifu et Ototo développent également d’autres outils pour se rapprocher de ses lecteurs : les goodies d’un coté, les réseaux sociaux de l’autre. Commençons par les goodies.

Goodies Ototo - Samidare

Ce n’est pas compliqué de produire des goodies avec les japonais qui sont souvent cramponnés à leurs droits sur les produits dérivés ?

(Rires) Si c’est très dur !

Il faut beaucoup leur parler, les mettre en confiance et ne pas leur faire peur. Ils commencent toujours par nous dire que c’est  « muzukachii », c’est-à-dire difficile et parfois ça veut tout simplement dire non.

Il faut parfois essayer de contourner le problème, mais on peut se heurter à un mur…. Ils ne comprennent pas la situation. Par exemple quand on rencontre des difficultés avec un titre on peut avoir un dialogue de sourd du genre :

L’éditeur japonais : « Bon ben votre titre ne se vend pas ! »

Nous : « Oui mais vous nous avez interdit de faire trop de communication dessus ! »

Et l’éditeur japonais qui nous dit « Ah mais ce n’est pas notre problème ça ! »

Dans ces cas là on est coincé, mais on essaye de se débrouiller comme on peut. Il n’y a pas de solution miracle. On essaye de faire des posters – ça fonctionne très bien et ce n’est pas trop difficile à faire accepter – mais aussi des badges, qui sont populaires.

(On confirme, cf notre concours photo de cet été avec les badges Samidare, ci-dessous, qui sont partis comme des petits pains, NDLR)

On essaye toujours de dénicher des formats et des supports acceptés ou acceptables par les japonais et qui peuvent faire plaisir à nos lecteurs.

Second aspect : les réseaux sociaux. Quand on est éditeur, qu’est-ce que ça apporte d’avoir une page Facebook ou un compte twitter ?

C’est sur le même principe qu’à nos débuts où on allait à la rencontre des gens sur les salons, pour se faire présenter et se faire connaître… Par exemple quand on descend sur un JE Sud à Marseille, on se rend compte qu’on est assez peu connu, que le yaoi n’est pas un genre familier des marseillais par exemple. Donc on va à leur rencontre, on discute.

FB Ototo

Et donc on reste sur le même principe sur les réseaux sociaux…

Voilà. De plus on se rend compte qu’en parlant de choses qui ne sont pas directement liées à l’édition ou au monde du manga, on créé des liens. Par exemple plutôt que de simplement mettre « sortie du tome 2 de telle série », si on partage une info comme « l’équipe Ototo est allé manger chez tel restaurant japonais », ça attire du monde et ça noue un contact qu’on retrouve après sur les salons.

Les réseaux sociaux permettent, au delà de la publicité, de connaître des personnes et de se faire connaître. Et quand les gens échangent avec vous et qu’on a établi un lien plus « personnel », ils ont confiance, ils ne pensent pas qu’on va les arnaquer, des choses comme ça. Par exemple ça fait des années que je travaille dans le milieu mais je connais personne de Kana, c’est un peu dommage.

Ça ne veut pas dire qu’ils vont acheter tout ce qu’on fait aveuglément, mais développer cette relation et ce coté humain permet d’avoir de bons rapports avec notre public.

Mais les lecteurs de manga ne sont pas toujours tendres donc est-ce que s’ouvrir ainsi n’entraine pas un contrecoup… Un retour de bâton ?

En fait, avec Taifu Comics, certaines personnes avaient déjà très mal pris le fait qu’on se tourne vers le yaoi. Donc les coups de bâtons on a déjà eu, y compris de « professionnels » qui ont mis des notes exécrables – des 0/20, des demi-étoiles et j’en passe – à des titres qui étaient pourtant bons mais qui avait la malchance d’être un yaoi.

Idem lors de la reprise de Taifu en 2005, il y a pas mal de problèmes en interne qui nous ont complètement descendus avec un gros éditeur japonais, avec qui on n’a jamais pu retravailler…

Donc on a déjà un peu tout vu et je ne pense pas que les réseaux sociaux vont nous faire peur. (Rires)

Il y a toujours des personnes aigries ou mécontentes mais bon… Sans eux la vie serait triste après tout, ça met un peu d’animation ! (Rires)

C’est sur cette note d’optimisme qu’on va passer à la seconde partie de notre entretien Taifu – Ototo, merci Louis Baptiste !

Yves Huchez et Taifu – Ototo : difficultés et renouveau

Yves Huchez
Bonjour Yves…
Je me disais en préparant cette interview que tu es dans le manga depuis une bonne décennie… J’ai même l’impression que c’est plus que ça, non ?

Dans le manga ?

Disons dans les loisirs japonais, puis dans le manga…

Dans le manga et la japanime ça fait plus longtemps que ça. Si je me souviens bien… réfléchit

Je suis parti de la boite où je travaillais en 1992.

Ah oui, ça fait donc deux décennies ! Tu y es arrivé comment dans ce milieu ?

En fait j’ai eu l’occasion de rentrer dans le milieu de l’animation grâce à un oncle, que tu connais sans doute, Bruno Huchez… La personne à la base de l’affaire Goldorak, qui m’a pas mal de préjudices dirons-nous. Mais bref, c’est de l’histoire ancienne.

Je suis donc dans ce milieu depuis 20 ans mais c’est vrai que ça fait une dizaine d’année que je suis dans le manga. Avec mes différentes sociétés (IDP, Euphor et Taifu Comics) j’ai donc participé au financement de Japan Expo. Dans la société Euphor, il y avait Japan Expo et j’avais deux associés, Thomas Sirdey et Jean-François Dufour.

On a fini par se séparer d’un commun accord, en 2007. Et à ce moment là je leur ai laissé Japan Expo – un beau cadeau quand même – et j’ai récupéré la partie manga… Plus compliquée. (Quand à IDP il a été revendu en 2006 à Déclic Image, NDLR)

C’est donc avec Euphor qu’est né Taifu Comics…

Voilà. Euphor est né en 2002, pour lancer Japan Expo et une société d’édition de manga en 2004, du nom de Punch Comics qui est devenue par la suite Taifu Comics. Jean-François et Thomas étaient responsables de l’éditorial au départ. J’ai repris le catalogue en 2005, et il était assez… Moyen. Donc je l’ai « nettoyé » comme on dit, c’est à dire payer les droits, assainir les retours, etc… Et puis j’ai réfléchi à une politique éditoriale différente. Et c’est là qu’on a décidé de faire beaucoup de salons. Ce qui nous a permis par la suite de constater qu’il y avait tout un public féminin qui demandait beaucoup de yaoi.

L’idée avait germé avant mais, entre 2005 et 2007, les anciens de chez Taifu n’y croyaient pas. Ils sont progressivement partis, les salons nous ont confirmé qu’il y avait une demande et, lors de la scission définitive en 2007, on a décidé de se lancer. Et depuis notre catalogue est constitué à 80 % de yaoi… Voir 90% même.

Et enfin, en 2012, on a lancé Ototo avec Samidare puis Spice and Wolf. L’idée c’était de changer d’air, car on se sclérose un peu quand on reste sur une seule ligne éditoriale. Et en plus ça marche pas mal, on a un peu de succès.

France-Japon : un duo éditorial compliqué…

Quand tu parles de succès, je pense à celui de Spice and Wolf par exemple, qui a longtemps trainé dans vos bureaux comme nous expliquait Louis-Baptiste.

Voilà, c’était un coup de cœur mais les Japonais… Réfléchit

En fait, comme tu le sais, travailler avec les Japonais c’est compliqué et il faut être dans leurs petits papiers. Et à une époque on n’y était pas et puis, sans trop savoir pourquoi, un jour, on y était à nouveau.

Je pense notre chance a été de faire une offre à ASCII Media Works sur Welcome to Hotel Williams Child Bird de Rihito Takarai, une mangaka qu’on avait déjà dans notre catalogue avec Seven Days (mais qui est d’un éditeur japonais différent, Taiyô Tosho, NDLR).

On pensait donc qu’ils allaient nous le refuser. Mais un mois après c’était accepté. Et du coup quelques jours plus tard on faisait la demande pour Spice and Wolf, qui a été acceptée aussi.

On parlait tout à l’heure des éditeurs japonais. Pika est étroitement lié avec la Kōdansha et Kazé a été racheté par le groupe Shueisha-Shogakukan. Ce dernier a d’ailleurs annoncé il y a quelques semaines qu’il donnerait la priorité à Kazé sur ses titres. Qu’est-ce que tu penses de cette évolution ?

En fait, je pense que la Shueisha n’aurait pas du racheter Kazé, mais s’installer en France en tant que Shueisha avec des gens qui connaissaient bien le milieu du manga dans l’hexagone… Plutôt que de passer par une boite qui n’était pas dans une grande forme à l’époque et de devoir payer le prix fort.

 Tout ça pour devoir s’expliquer aujourd’hui qu’ils veulent privilégier tel éditeur pour telle ou telle raison et justifier leur légitimité alors que s’ils étaient arrivés tel quel et s’étaient implantés directement, la question ne se poserait même pas.

Aujourd’hui qu’ils fassent tout pour faire marcher leur filiale c’est normal, c’est leur objectif après tout. Ils ont mis de l’argent pour s’installer en France et pour la promotion de leurs titres, c’est logique qu’ils veuillent en retirer le bénéfice.

Ça reste un business. Les gens qui travaillaient avec eux perdent l’exclusivité et des licences mais c’est dans la routine des affaires. Ce n’est pas parce que l’on travaille dans le milieu du manga que ça devrait être différent.

Pour prendre un exemple avant je travaillais dans le financement et on était le financier de BMW. Du jour au lendemain BMW Allemagne a décidé de travailler avec Sofinco, et nous ont dit merci, au revoir. C’est comme ça que ça marche.

Yves Huchez

Est-ce que tu vois d’autres éditeurs japonais s’installer en France dans les années à venir ?

C’est compliqué parce que le marché français n’est pas si formidable que ça. Il s’est tellement rétrécit que même un Kôdansha qui arriverait pour s’installer chez nous serait très déçu des volumes de ventes. Je pense que c’est un peu le cas pour Shueisha à l’heure actuelle. Et je ne parle même pas de la vidéo, qui est un marché sinistré.

De la nécessité des salons…

Clannad1
Aujourd’hui chez Ototo vous accueillez Clanad

On a eu la chance de pouvoir… Se reprend

Enfin je dis « la chance » mais c’est surtout que beaucoup d’éditeurs ont vu passer Clanad et la possibilité de l’avoir dans leur catalogue mais ne l’ont pas fait.

Donc nous on l’a fait et ça parait être un bon choix parce que c’est sorti aujourd’hui et, à ma grande surprise, ça part très bien, même avec peu de communication. Aussi bien que Spice and Wolf.

Vous lancez ce titre sur un salon, c’est un peu votre façon de communiquer…

Oui, depuis que j’ai repris Taifu en fait. Ça a même été notre planche de salut, ça nous a permis de communiquer à moindre cout et de rencontrer le public.

Je me rends compte aujourd’hui que c’est très important. Tu imagines plein de choses devant ton bureaux, tu te dis que ça c’est bien, que ce titre là va marcher mais lorsque tu es devant la clientèle tu te rends compte que ça ne tourne pas comme tu t’y attendais. Le lancement du yuri vient aussi de l’expérience en salon.

Autre exemple : sur le salon j’ai croisé deux libraires qui m’ont dit que Samidare ne marche pas, que ça ne se vend pas et deux secondes après j’ai un client qui vient m’acheter le tome 3 et 4 et me dit que c’est génial !

Il y a donc besoin de faire ce relai avec le public, ce travail de présentation de vos titres…

Surtout qu’on n’a pas le droit de se planter quand on est un petit éditeur. Chez certains gros éditeurs, dans la masse de sorties, il y en a régulièrement qui sont sous-exploités… Nous ça signerait notre arrêt de mort.

Donc il faut qu’on défende nos titres parce que les libraires ne le font pas forcément. Le monde des libraires est un monde compliqué parce qu’ils sont très sollicités et ne peuvent pas tout lire et tout connaître. Et sincèrement le bouche à oreille fonctionne de moins en moins, il n’est plus décisif comme il a pu l’être.

Puisque tu es régulièrement sur les salons et au contact du public ces dernières années, petite question : sur cette décennie de manga est-ce que le public a changé ?

Réfléchit

Le public pas forcément, mais surtout ce qu’il demande en termes de graphisme. C’est-à-dire que ce le type de dessins qui marchait il y a 7-8 ans est maintenant vu comme un graphisme de vieux.

C’est amusant parce c’est ce que l’on disait, nous, en voyant Jeanne et Serge ou Goldorak, et c’est aujourd’hui les auteurs qu’on a trouvé novateurs qui sont has been, en tout cas ceux qui n’ont pas évolué. Le public cherche autre chose. Mais c’est logique, c’est une évolution perpétuelle pas spécifique au manga.

Après est-ce qu’ils ont évolué… Le public s’est renouvelé en fait, mais n’a pas foncièrement changé.

Ce qui ne nous empêche pas d’être sans cesse surpris. Par exemple ce weekend, Clannad a été acheté par un public à 80% masculin alors que c’est un graphisme complètement shōjo ! Bon en fait il s’avère que c’est un lectorat de fan qui connait surtout le jeu vidéo dont le manga est issu, un public plus masculin donc, et qui s’identifie au héros de l’histoire.

Comme quoi, encore une fois, les salons sont essentiels !

Ce sera donc le mot de la fin, merci Yves et bonne continuation à Taifu / Ototo !

Un grand merci à Louis-Baptiste et Yves pour leur collaboration ainsi qu’à Guillaume pour la mise en place de cette interview. Vous pouvez retrouver Ototo sur son site officiel, son Facebook ou son Twitter. Pour ceux qui s’intéressent de plus près à Taifu, je vous conseille l’interview de Guillaume justement, chez Mackie le newbie !

Pour en savoir plus sur les acteurs du marché du manga et leur mode de fonctionnement, retrouvez les autres interviews éditeurs manga :

Doki-Doki (mai 2012)

Glénat (mars 2009)

IMHO (avril 2012)

Kazé Manga (avril 2011 – janvier 2012)

Ki-oon (avril 2010 - avril 2011 – janvier 2012)

Kurokawa (juin 2012)

Ototo – Taifu (octobre 2012)

Tonkam (avril 2011)


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