Magazine Animaux

La Saint-Barnabé

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Un aspect méconnu du pastoralisme des Pyrénées Centrales et du métier de berger.

par Christian Bacqué

Très loin de l’ivresse des cimes, très loin du sentiment d’exaltation qu’offrent des grands espaces de liberté sauvage, très loin du bonheur d’entretenir les paysages de montagne à une époque où cet entretien n’était pas encore devenu de la part du pastoralisme un leitmotiv de gestion de la nature.
Il est important de valoriser le métier de berger afin de susciter des vocations car la présence d’un gardien est indispensable à la bonne conduite des troupeaux, à leur protection, à la cohabitation avec le milieu naturel et à la préservation du sauvage qui le caractérise dans l’intégrité des  paysages, de la faune et de la flore, sans exclusion.
Je ne sais pas ce qu’il en est sur les autres massifs mais dans les Pyrénées le métier de berger n’a pas toujours fait rêver. Loin de là! Et ceci explique peut-être en partie l’origine de cette propension du pastoralisme d’hier et d’aujourd’hui, ainsi en Pays Toy, à laisser errer les bêtes en totale liberté sur les estives, sans protection.
La fonction de berger, personnage central sur lequel repose l’ensemble de la société pastorale, a fortement été dévalorisée et précarisée au cours du vingtième siècle. Deux grandes guerres successives vont enlever les bergers de leurs montagnes pour les conduire vers divers fronts d’où ils ne reviendront pas forcément. Il faudra dans la désorganisation remplacer ces hommes selon la conjoncture et les opportunités par du personnel de circonstance. Ainsi pour palier au départ de ces hommes forts partis à la guerre fera t-on largement  appel aux personnes âgées, aux handicapés, aux femmes et aux enfants non scolarisés pour faire office de gardiens de troupeaux.
Puis, succédant à ces conflits, le passage d’une société agricole et paysanne à une société industrielle pourvoyeuse de main d’œuvre aggravera fortement l’appauvrissement de la profession  et la pénurie de bergers.
Dans cette société pastorale, les aînés sont les héritiers et par droit d’aînesse propriétaires de l’exploitation. Leur position sociale est enviable. Il n’en est pas de même pour les cadets qui seront les bergers et les hommes à tout faire de la maison. Parfois serviteurs et domestiques. Ainsi ces cadets pour fuir leur condition, l'inconfort et la pénibilité du gardiennage des troupeaux, vont-ils  s’expatrier du domaine pour trouver des emplois et un peu plus de richesse et d'espoir dans les usines et les administration nouvelles. Cette transition de la  société vers l’industrialisation va perturber l’environnement pastoral et déstabiliser le métier de berger. Le berger va s’appauvrir, ses conditions de vie et  son  métier vont se précariser alors que ceux qui sont partis à la ville vont s’émanciper et s’enrichir dans les emplois nouveaux. Bref, être berger n’a plus de quoi susciter les vocations ! La fonction est complètement dévalorisée et les modes de gardiennages transformés. (C’est à cet endroit que s’inscrit et se conforte l’abandon du gardiennage en Pays Toy!)
Le berger est alors devenu un domestique, pour ne pas dire plus. Face à la pénurie de main d’oeuvre, il y a eu dans certains coins des Pyrénées des marchés de bergers qui n’étaient pas loin de ressembler à des marchés d’esclaves!
Il y avait par exemple jusqu'aux années 50 à la foire de la Saint-Barnabé en Vallée d’Aure le marché "des petits bergers Aragonais".  Marché de la main d’oeuvre issue de l’immigration espagnole sans bien sûr aucune protection sociale. La guerre d’Espagne accentuera  cette immigration. Dans la Vallée du Louron on parlait pour cette pratique, où se louaient en tant que bergers de jeunes espagnols, de "maquignonnage" exercé autour de la détresse d’enfants séparés de leur famille, ces derniers ayant la hantise de tomber dans une mauvaise maison.
Je cite : " C’était une foire où venaient des jeunes espagnols qui se louaient pour la saison d’été. La Saint-Barnabé, c’était une foire aux animaux, pour ainsi dire, aux domestiques. Ils venaient avec leur balluchon, avec un sac où il y avait quatre vêtements dedans et puis chaque éleveur choisissait son berger suivant les moyens qu’il avait. Le prix était défini entre le berger et l’éleveur. Les bergers espagnols ne repartaient pas, ils venaient avec le balluchon, ils étaient prêts à l’emploi. Le lendemain, ils commençaient le travail, il n’y avait pas de contrat de travail".
(Entretien du 2/11/2004 à Labarthe de Neste  entre L.F, éleveur transhumant en Vallée d’Aure et Mme Danièlle Lassalle).
Cette pratique de maquignonnage en Vallée d’Aure et du Louron est confirmée par Jean-Luc Morinière historien du 19ème siècle.
Ainsi avons-nous avec la Saint-Barnabé une meilleure idée de cette dévalorisation du métier de berger au cours du siècle dernier dans les Pyrénées avec pour conséquence la transformation au fil du temps des modes de gardiennage séculaires.
Le témoignage de L.F de Labarthe de Neste précisant même que "quand il n’y avait pas d’espagnol, il y avait toujours une personne un peu arriérée pour le remplacer ! " Quelques uns de ces jeunes immigrés espagnols, saisonniers sur les estives et employés dans des conditions proches de l'indécence, resteront sur le territoire français mais leur avenir n’en sera pas  amélioré pour autant.
Biblio : Pour ceux que le sujet intéresse mon commentaire a pour source un article de Me Danièle Lassalle intitulé  "Bergers du XXIème siècle"  paru dans la revue trimestrielle Pyrénées d’Avril 2012, (n° 250). Me Lassalle est auteur d’une thèse en socio-anthropologie : " Bergers Pyrénéens,  une identité professionnelle, culturelle et sociale, en questions  ( Pyrénées Occidentales et Centrales )", 2007.
Chris Bacque


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