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A quoi ressemble le moteur ?

Publié le 23 novembre 2012 par Anargala

A quoi ressemble le moteur ?
Nâgârjuna, un type bien (acteur indien homonyme)A quoi ressemble le moteur ?Asanga en pleine tentative de réconciliation des secondes et troisièmes roues du dharma
 Avez-vous déjà essayé de lire des commentaires tibétains aux œuvres du Madhyamaka, par exemple celles de Nāgārjuna ?Je ne sais pas pour vous, mais ce qui me frappe est qu'ils n'expliquent ni ne commentent les textes. Plus on avance dans le temps, plus cela se vérifie. Voyez Mipham ou Gorampa. Incontestablement brillants et éclairants pour situer le Madhyamaka par rapport aux autres courants, aux différentes tentatives de synthèse. Mais guère éclairants sur le Madhyamaka lui-même. Leur intérêt, ou plutôt leur obsession, repose uniquement en ceci : comment réconcilier les différents courants du bouddhisme ?Ils parlent en général de trois" roues" : celle du bouddhisme ancien, qui serait axé sur une morale de la rétribution des actes ; celle de la vacuité, inspirée par les soûtras de la Perfection de sagesse et systématisée par Nāgārjuna ; et celle, enfin, de la Nature de Bouddha, systématisée par l'école Yogācāra. Cet ordre correspond à l'ordre d'apparition chronologique.Le problème est le suivant : dans la roue sur la vacuité, il est enseigné que tout est produit en fonction de causes et de circonstances. Donc rien n'existe par soi, absolument, isolément. Tout est vide d'existence propre, indépendante. Tout est contingent, y-compris ce discours sur la contingence, rien n'est absolu. Au final, rien ne résiste à cet examen. Tout discours, y-compris celui-ci, s'éteint sans reste. C'est le nirvāṇa, c'est-à-dire le saṃsāra bien compris. Et ensuite ? Ensuite on diffuse spontanément ce message apaisant : c'est la compassion, l'activité d'un Bouddha. Fin de l'histoire, d'une histoire qui n'a jamais commencé.Mais dans la roue de la Nature de Bouddha, en revanche, on enseigne le contraire à bien des égards. Selon ce cycle d'enseignements, le discours sur la vacuité n'est qu'un moyen habile pour que l'esprit se détache des apparences, du corps, etc. Ce n'est pas une fin, seulement un commencement. Il faut ensuite reconnaître la Nature de Bouddha en nous, comme une pépite caché dans sa gangue. La Nature de Bouddha est un absolu. Elle n'est pas contingente. Elle est une essence bienheureuse, permanente et infaillible. Alors que, pour la roue de la vacuité, cette historie de Nature de Bouddha n'est qu'une métaphore, un moyen habile pour faire passer la pilule de la vacuité. Les textes sur la Nature de Bouddha prennent littéralement le contrepied des textes de la première roue et de celle de la vacuité. Ce monde est contingent, mais il y a une réalité derrière les apparences, un absolu par-delà les relation, un être nécessaire qui transcende les contingences.On voit que les deux points de vue sont irréconciliables. D'où les débats sans fin qui ont agité et qui continuent d'agiter la communauté tibétaine.Selon moi, c'est la roue de la vacuité qui est bien l'enseignement authentique et final du dharma du Bouddha.Les soûtras sur la Nature de Bouddha ne sont que des stratagèmes pour attirer le client. Mais à un moment, sans qu'il soit possible de préciser lequel, certains bouddhistes, en Inde où aux alentours, ont pris cette métaphore pour une vérité littérale. Ainsi est né, à l'intérieur du bouddhisme, une seconde religion, un courant opposé au premier, une vision que l'on pourrait qualifier de "gnostique" tant elle est proche du dualisme platonicien et de ses prolongements hermétiques. La Nature de Bouddha est un véritable embryon de lumière emprisonné dans notre corps, comme une lampe dans un vase. Un être pur, insubstantiel oui, mais non pas au sens où il serait contingent ; bien plutôt au sens ou il est fait de pur lumière, diaphane, immatériel. Pur dualisme donc. On l'a rapproché du Vedānta non dualiste. C'est un non-sens : le Vedānta n'enseigne rien de tel que cette idée d'un potentiel infini caché en nous qu'il faudrait manifester par une purification progressive. La Nature de Bouddha est dérivée de certaines affirmations du bouddhisme primitif, et aussi de développements parallèles dans les deux autres grandes religions de l'Inde : le śivaisme et le viṣnouisme. Pour moi, la solution du problème est donc simple, semble-t-il : la Nature de Bouddha est une métaphore pour exprimer ce qui ne peut l'être, ce qui n'a pas besoin de l'être. Pour l'expérience, c'est simple; il suffit que "quelque chose" se taise, comme une musique qui s'éteint, comme un cauchemars qui s'achève, comme une brume qui se dissipe, comme la résonance d'un bol "tibétain" qui s’atténue...Mais pour les Tibétains, la chose est beaucoup moins aisée. Pour au moins deux raisons. La première est qu'ils croient dur comme fer que tous ces soûtras sont paroles de Bouddha. ils ont donc la même autorité. Remettre ceci en question est impensable. La seconde raison est que cette Nature de Bouddha est un paradigme indispensable pour accueille le vajrayâna, ses yoginîs et ses festins. A mon sens, il n'en est rien, mais il est vrai que la chose est délicate. Difficile de vider l'eau de ce bain-là sans vider le bébé avec. Ce qui est plus intéressant pour moi (nous ?), c'est que ce débat ressurgit toujours, quelque soit les efforts, souvent brillant, pour trouver une synthèse, une conciliation, une troisième voie, etc.Pourquoi ?Parce que le problème sous-jacent est d'ordre philosophique. Or l'on ne peut résoudre les problèmes philosophiques que provisoirement.Voici un tableau pour illustrer cette problématique et ses résurgences, ses avatars, ses tulkous, ainsi que ses échos (magiques bien sûr) dans d'autres courants de pensée.C'est, en somme, un coup d’œil sous le capot de nos chères sagesses. Les mains pleines de cambouis, je n'oblige évidemment personne à me suivre...
P.S. : Maitripa/ Maitrigupta est un prâsangika, comme Atîsha. Mais les Karmapas qui ont, pour nombre d'entre eux, consacrés leur carrière à trahir leur tradition de la Mahâmudrâ en la dénigrant au profit des Six yogas, ont inventé une histoire de Maitripa-le-défenseur-de-la-nature-de-bouddha (trop facile, vu l'homonymie avec Maitreyanâtha). Aïe, je sens que j'aggrave mon cas...

VacuitéMadhyamakaPrajñāLucidité critiqueConnaissanceThéorieEntendementRationnel
"Le tout est illusion, les parties sont réelles"
SagesseCorps absoluVacuitéPhase de perfectionMahāmudrāDzogchen radical "ancien"Pureté primordialeTrekchödExpériences "intérieures"PrakāśaŚivaManifestationParadigme visuelConscience simpleJñānaVoie "directe"Approche objective IntellectuelLogique exclusiveDialectique disjonctiveAnalyse
Śaṃkara/SâmkhyaNāgārjunaMañjuśrīMaître EckhartPseudo-DenysSalut par soi-même
Pas de distinction entre expérience pure/expérience impure
Pas d'expérience non-duelle
Nirvāṇa : fin de toute expérience, de toute évolutionEtc. Nature de BouddhaYogācāraUpāyaTechniqueActionPratiqueVolontéAffectif
"Les parties sont illusion, le tout est réel"
CompassionCorps formelApparencesPhase de créationLes six yogasDzogchen nyinthig "tantrique"Prefection spontanéeThögälExpériences "visionnaires"
VimarśaŚaktiReprésentationParadigme tactileConscience réfléchieBhakti, yogaVoie "graduée"Approche subjectiveÉmotionnelLogique inclusiveDialectique conjonctiveSynthèse
AbhinavaguptaAsaṅgaAvalokiteśvaraSaint BonaventureAugustinSalut par un autre
Distinction essentielle entre expérience pure et impure
Expériences non-duelles : Terres pures, visions, etc.
Nirvāṇa : début de nouvelles expériences, d'un nouveau progrèsEtc.


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