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Thérèse l’effrontée (souffle romanesque)

Par Borokoff

A propos de Thérèse Desqueyroux de Claude Miller ★★★☆☆

Audrey Tautou, Gilles Lellouche - Thérèse Desqueyroux de Claude Miller - Borokoff / Blog de critique cinéma

Audrey Tautou, Gilles Lellouche

Dans la région d’Argelos, dans les Landes et les années 1920, Thérèse Desqueyroux (Audrey Tautou) est une jeune intellectuelle malheureuse et angoissée qui rêve d’émancipation et d’échapper à sa condition sociale comme à un mari (Gilles Lellouche) avec qui elle ne partage rien sinon une richesse commune et des biens matériels. Prisonnière d’un milieu bourgeois de province à laquelle elle-même appartient mais dont les traditions et la fermeture d’esprit l’asphyxient, lassée par la médiocrité de son existence, Thérèse manigance peu à peu d’empoisonner son mari…

Beaucoup de choses à dire et à retenir du dernier film de Claude Miller, décédé en avril dernier. D’abord qu’il est la seconde adaptation au cinéma du roman éponyme de François Mauriac, publié en 1927, après celle de Franju (1962) avec Philippe Noiret et Emmanuelle Riva dans les rôles titres.

Alors que le livre de Mauriac était construit tout en flashbacks, Miller a opté pour un scénario beaucoup plus linéaire qui commence par l’enfance de Thérèse Desqueyroux et son amitié avec Anne (Anaïs Demoustiers), la sœur de Bernard Desqueyroux avec qui elle restera très proche. Puis on passe directement à une scène entre Thérèse Larroque et Bernard Desqueyroux qui précède leur mariage. Les premières zones d’ombre apparaissent alors sur le visage de Thérèse. Des inquiétudes prémonitoires.

Audrey Tautou - Thérèse Desqueyroux de Claude Miller - Borokoff / Blog de critique cinéma

Audrey Tautou

Si la facture du film est somme toute assez classique, ce Thérèse Desqueyroux est porté par une Audrey Tautou étincelante et qui est le principal atout du film. Capable d’infinies nuances dans son jeu, elle campe un personnage complexe et ténébreux et une intellectuelle à l’esprit tourmenté. Jalouse par exemple d’Anne en découvrant que la sœur de Bernard file un parfait amour avec Jean Azévédo (Stanley Weber), le jeune voisin amateur de voile que Bernard Desqueyroux abhorre parce qu’il est d’« origine israélite », Thérèse fera tout pour annihiler et détruire cette relation. Et y parviendra sans se forcer.

Mais Thérèse est d’abord et avant tout une intellectuelle désireuse de s’émanciper. Ayant rêvé d’une autre existence avec son mari qui ne pense qu’à chasser, elle est coincée par un milieu de grands bourgeois de province sans autre ambition que de perpétuer leur lignée et des traditions familiales. Ce milieu, à laquelle elle-même appartient, l’étouffe. On n’y parle que de terres et d’hectares de landes que l’on possède. Thérèse, quant à elle, est émue par André Gide, touchée par ses romans qu’elle avale mais dont elle ne peut parler avec personne si ce n’est lors d’un bref échange épistolaire avec Jean Azévédo. Un bref échange mais qui suffit à l’éclairer sur ses propres ambitions littéraires et progressistes tout en lui faisant prendre conscience de la médiocrité de son existence.

Audrey Tautou, Gilles Lellouche - Thérèse Desqueyroux de Claude Miller - Borokoff / Blog de critique cinéma

Peu à peu apparaissent toutes les contradictions de ce personnage subtil, jusqu’à une scène finale de retrouvailles et de confidences entre Thérèse et Bernard où culmine l’émotion. Thérèse y confie ses erreurs, ses errances. Tous les calculs qu’elle avait faits avec son mariage s’avèreront erronés, sa fierté d’« épouser un Desqueyroux » tournera rapidement à la frustration et à l’ennui. Pourtant, Thérèse n’est pas une rêveuse comme Madame Bovary. Elle n’est pas non plus une femme qui cherche l’absolu dans une passion physique, une relation purement amoureuse et charnelle. Non, ce qui anime Thérèse, ce sont les idées qui brûlent en elle comme une flamme mais qu’elle ne parvient pas à exprimer. Et des idées assez avancées pour l’époque, qui font d’elle une avant-gardiste sans aller jusqu’au mot de « féministe ».

La grande force de la mise en scène, c’est de décrire avec précision et un art de la synthèse remarquable les nombreuses facettes de cette romanesque Thérèse, que tout oppose à son mari. Bernard Desqueyroux est un lourdaud antisémite et sans nuances qui n’entend rien aux préoccupations intellectuelles de sa femme. Au contraire de Thérèse, Bernard Desqueyroux ne s’est jamais remis en question. Il n’a pas d’autre exigence que de perpétuer la lignée de sa famille. On se souvient que dans le roman de Mauriac, la charge contre la bourgeoisie de province était tout aussi féroce.

Gilles Lellouche - Thérèse Desqueyroux de Claude Miller - Borokoff / Blog de critique cinéma

Gilles Lellouche

Le choix de confier le rôle de Bernard Desqueyroux à Gilles Lellouche était discutable. Certes, il n’a pas de mal à camper un type lourd, mais ses talents de comique voire de clown ressortent parfois un peu trop dans des scènes censées être tragiques ou poignantes. Peut-être l’intention de Miller était-elle de désamorcer le tragique, d’introduire dans son adaptation une forme de dédramatisation et un humour qui sont des touches très personnelles.

Mais peu à peu, vers la fin du film surtout, force est de constater que l’on doit lui donner raison dans ses choix. Lellouche parvient en effet, par des nuances qu’il n’avait pas su donner jusque là à son personnage, à incarner un Bernard Desqueyroux beaucoup plus touchant et convaincant, un Bernard Desqueyroux qui souffre horriblement (physiquement d’abord puis moralement) du mal que sa femme lui a fait mais qui ne peut malgré tout s’empêcher de continuer à l’aimer.

Cherchant à cacher cet amour qu’il a toujours pour elle, Bernard Dequeyroux – et c’est là un mécanisme et un basculement qu’articulent très bien le scénario comme la mise en scène – passe du rôle de victime à celui de bourreau, en enfermant sa femme, en lui interdisant tout contact avec leur fille, etc… Mais malgré la fermeté, malgré la dureté et la virilité qu’il voudrait imprimer et montrer à sa femme, on sent que Bernard est préoccupé par la santé de Thérèse et qu’il s’inquiète pour son sort alors qu’elle dépérit à vue d’œil. C’est un regard en coin, une délicate attention que Bernard a pour elle qui font penser tout cela.

C’est dans la bouleversante chute que l’on doit définitivement donner raison à Miller d’avoir choisi Lellouche. Là, dans cette scène finale, tout s’éclaire : non seulement le personnage de Thérèse, qui semble libérée, mais surtout et finalement celui de Bernard. Bernard qui cherche encore à comprendre la folie du geste de sa femme. Bernard qui veut rester digne mais continue d’aimer Thérèse, ce qui le rend pathétique. Mais poignant aussi…

http://www.youtube.com/watch?v=qo2rda6ad_8

Film français de Claude Miller avec Audrey Tautou, Gilles Lellouche, Francis Perrin, Anaïs Demoustier, Catherine Arditi… (01 h 50)

Scénario de Claude Miller et Natalie Carter d’après le roman de François Mauriac :

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Mise en scène :

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Acteurs :

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Dialogues : 

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Compositions de Mathieu Alvado :

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