La collection Orphée/La
Différence, dont Poezibao a salué la
renaissance, publie un ensemble de poèmes de Eduard Mörike (1804-1875) dans une
traduction de Jean-Yves Masson.
Voici le célèbre poème « A une harpe éolienne », d’abord en version
originale, en allemand, puis dans deux traductions différentes, celle de
Jean-Yves Masson (Orphée/La Différence, 2012) et celle de Nicole Taubes (Belles
Lettres, 2012)
An eine Aeolsharfe
Tu semper urges flebilibus modis
Mysten ademptum: nec tibi Vespero
Surgente decedunt amores,
Nec rapidum fugiente Solem.
(Horaz)
Angelehnt an die Efeuwand
Dieser alten Terrasse,
Du, einer luftgebornen Muse
Geheimnisvolles Saitenspiel,
Fang an,
Fange wieder an
Deine melodische Klage!
Ihr kommet, Winde, fern herüber,
Ach! von des Knaben,
Der mir so lieb war,
Frisch grünendem Hügel.
Und Frühlingsblüten unterweges streifend,
Übersättigt mit Wohlgerüchen,
Wie süß bedrängt ihr dies Herz!
Und säuselt her in die Saiten,
Angezogen von wohllautender Wehmut,
Wachsend im Zug meiner Sehnsucht,
Und hinsterbend wieder.
Aber auf einmal,
Wie der Wind heftiger herstößt,
Ein holder Schrei der Harfe
Wiederholt, mir zu süßem Erschrecken,
Meiner Seele plötzliche Regung;
Und hier - die volle Rose streut, geschüttelt,
All ihre Blätter vor meine Füße!
Eduard Mörike
(1837)
1. Traduction de Jean-Yves Masson
À une harpe éolienne*
Tu semper urges flebilibus modis
Mysten ademptum: nec tibi Vespero
Surgente decedunt amores,
Nec rapidum fugiente Solem.
(Horace)
Appuyée au mur de lierre
De cette ancienne terrasse,
Toi, mystérieux jeu de cordes
D’une Muse, fille de l’air,
Commence,
Recommence,
Ta plainte mélodique !
Vous arrivez, ô vents, de très loin jusqu’ici,
Hélas ! de la colline fraîche et verdoyante
De l’enfant
Qui me fut si chère.
Et, caressant en chemin les fleurs printanières
Gorgés de parfums qui embaument,
Avec quelle douceur vous oppressez ce cœur !
Et passez en murmure dans les cordes,
Attirés par cette mélancolie aux résonances harmonieuses,
Croissant avec le souffle de mon ardent désir,
Puis vous éteignant peu à peu.
Mais soudain
Voici que le vent frappe les cordes avec plus de force :
Un cri gracieux de la harpe
Réveille pour mon doux effroi
l’émotion violente de mon âme ;
Et voici : la rose qui fleurissait, sous le choc,
Disperse ses pétales à mes pieds !
Eduard Mörike, Chant de Weyla et autres
poèmes, traduit de l’allemand et présenté par Jean-Yves Masson, Orphée/La
Différence, 2012, p. 123.
Traduction de l’exergue (F. Villeneuve, 1929)
« Mais toi, toujours, tu poursuis de rythmes plaintifs Mystès
disparu : et tes amours ne se donnent relâche ni quand Vesper se lève, ni
quand il fuit le soleil dévorant »
2. traduction de Nicole Taubes
Tu semper urges flebilibus modis
Mysten ademptum: nec tibi Vespero
Surgente decedunt amores,
Nec rapidum fugiente Solem.
(Horace)
Posée contre le lierre
De la vieille terrasse,
D’une Muse née des airs
Ô lyre mystérieuse
Que tinte
Tinte encore
Ton élégie mélodieuse
Accourez, vents lointains,
Depuis le tertre vert
Hélas ! de cet enfant
Que tant j’ai chéri.
En chemin caressant du printemps les corolles,
Vents saturés de leurs senteurs
Comme vous pénétrez le cœur
Et venez bruire dans ces cordes,
Séduits par leurs doux sons mélancoliques
Plus forts quand s’accroît ma langueur
Puis de nouveau mourants.
Mais lorsque brusquement
Le vent monte en rafale,
La harpe au cri touchant
Me surprend, doux écho
À l’émoi soudain de mon âme ;
Et la rose ébranlée trop mûre a répandu
Tous ses pétales à mes pieds !
Eduard Mörike, Poèmes, Gedichte, édition bilingue, traduction Nicole
Taubes, coll. Bibliothèque allemande, Belles Lettres, 2010, 45 €
*La mode des harpes éoliennes se répandit en Allemagne et en Angleterre à la
fin du XVIIIe siècle. Inventées en 1650 par Athanasius Kircher pour évoquer la
harpe que le roi David suspendait au vent, ce sont des caisses de résonance de
dimensions variables sur lesquelles sont tendues des cordes de même longueur,
mais de différentes épaisseurs, qu’on laisse résonner au vent : accordées
sur une même note, elles en produisent les harmoniques et rendent un son
extrêmement troublant.
voir ici
entendre le lied écrit par Brahms sur ce
poème, chanté par Elizabeth Grümmer (1911-1986)
quelques sons de harpe éolienne ici