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Rengaine

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Rengaine

On n’attendait pas Rengaine comme l’un des meilleurs films français de l’année. Rachid Djaïdani n’en est qu’à son premier long-métrage, qu’il a eu du mal à tourner qui plus est. Pourtant, ce film affiche de réelles propositions de cinéma assez salvatrices dans le paysage cinématographique français.

Pour que le spectateur puisse tomber sous le charme de Rengaine, il faut impérativement qu’il laisse ses préjugés formels à l’entrée de la salle. C’est peut-être tout bête à énoncer mais l’image peut, au premier abord, rebuter. En effet, le grain est un peu fort et la caméra est des plus tremblotantes, le cadre se dérobant et le montage pouvant passer pour de l’aléatoire. Les mauvaises langues pourront parler facilement d’amateurisme. D’un certain côté, ce n’est pas faux et il faut enlever toute connotation péjorative à ce terme. C’est, ici, une des grandes qualités du projet. A la vue de son dispositif formel, le spectateur se rend compte que ce métrage passe pour une pure production minimaliste et l’on se doute bien que les autorisations de tournage n’ont pas été demandées, d’où ce côté un peu foutraque. Cela doit-il néanmoins entrer dans le contexte d’une critique ? Ici, oui car le cinéaste est un enragé, cela se ressent facilement à l’écran. Il a une telle envie de filmer qu’il n’en a que faire de l’institution. Et c’est cette démarche qui est belle tant elle renvoie à l’idéologie punk, au Do It Yourself, comme un pied de nez à la puissance industrielle et commerciale du cinéma. Ce qui l’intéresse, c’est avant tout l’art. C’est tout bête mais c’est déjà pas mal. Rengaine est d’une sincérité à couper au couteau et peu peuvent se targuer d’afficher un tel amour et une telle passion envers le Septième Art. Certaines séquences, comme celle du tournage du court-métrage ou le discours sur le métier d’acteur, n’en sont que des témoignages flagrants. Le réalisateur se doit alors d’être défendu bec et ongles. La vitalité du cinéma français repose sur des cinéastes tels que lui. Même s’il ne faut pas entrer dans l’exagération, on pourrait presque tout lui pardonner tant son projet est attrayant.

Mais attention, il faut pas non plus prendre Rengaine comme un gagne-petit sur l’échelle artistique. Défendre un cinéma de lutte, c’est bien ; défendre du cinéma, c’est mieux ! Par bonheur, le métrage offre des propositions cinématographiques d’une réelle conscience artistique. Bien entendu, le spectateur ne peut qu’être touché par la démarche sociale, culturelle, presque politique, du réalisateur. Avec cette histoire d’amour entre un homme catholique originaire d’Afrique Noire et une femme de souche algérienne et musulmane voulant se marier malgré les désaveux des familles respectives, on sait très bien où le cinéaste veut en venir. Il veut combattre les clichés, ouvrir sur la pluralité des peuples et mettre en marche l’acceptation des hommes, fussent-ils différents, entre eux. Rengaine, c’est un peu Roméo et Juliette envoyés dans l’urbanité contemporaine. Tout ceci est bien joli mais, malgré les bonnes intentions, ce n’est pas très novateur. Ce qui est plus important, en fait, c’est que ces hommes et ces femmes évoluent dans un univers des plus normales. Exit les tours de banlieues, les petits larcins au bas des immeubles et les délinquants qui squattent les cages d’escaliers, Rachid Djaïdani refuse les clichés sur cette population qui est souvent stigmatisée spatialement. Tous les protagonistes occupent des métiers respectables, sont des artistes, sortent dans des endroits branchés. En un mot, ils sont parfaitement insérés dans l’espace de la société, vecteurs à plein temps de l’agora, citoyens à part entière. Cette représentation est d’une belle fraîcheur. De plus, elle est accompagnée d’un humour dévastateur. Rengaine est réellement drôle surtout qu’il joue sur la fibre archétypale et qu’il est déclamé par une troupe d’acteurs au top niveau. Aspirant l’écran par leurs forces physiques, ils sont avant tout éclatants de naturel. Les dialogues sonnent alors parfaitement vrais et le spectateur peut alors se sentir proche des enjeux qui entourent tous ces personnages.

Mais Rengaine n’est pas seulement humain. Il est également cinématographique. Ainsi, plus que par le côté positif des valeurs transmises, le métrage est intéressant par ces postulats de forme. Le scénario sous son apparente simplicité est, en fait, très malin. Sabrina, la future mariée, est membre d’une famille de quarante enfants. Ces derniers sont autant de pistes narratives que le film va se proposer d’explorer. En effet, Slimane, le frère aîné, cherche à avoir le fin mot de l’histoire quant à la situation de sa sœur. Il va donc contacter la fratrie pour essayer d’assembler les pièces du puzzle. Or, tout le monde n’a pas la même opinion, la même sensation, sur le mariage. Le spectateur se retrouve alors dans une espèce de parcours labyrinthique qui provoque à chaque fois la surprise. Puis, petit à petit, tous ces éléments vont s’assembler pour former une continuité logique en rapport avec son système de valeurs. Le cinéaste n’oublie donc pas de refermer les multiples portes qu’il a ouvertes, témoignant ainsi de sa conscience cinématographique. Et si le scénario ne suffisait pas, c’est dans sa réalisation que l’on peut aller chercher des preuves. Si Rengaine peut procurer une sensation de fouillis généralisé, il ne faut pas occulter les petits trésors déployés ça et là. Le travail sur le corps est remarquable, notamment au travers des figures de la main et du visage, parfaites liaisons entre les personnages mais également vecteurs d’amour et de compréhension. Le gros plan est d’une importance capitale et il n’a pas été oublié que le cinéma est, au-delà de ses possibilités de discours sociétal, une machine à explorer un physique humain qui peut dire autant qu’une parole. L’étude n’en est que plus complète. Un deuxième élément ressort, c’est le travail entre le son et l’image. Parfois déconnectés l’un de l’autre, comme dans une logique de faux raccord, ce procédé ouvre des envolées poétiques tout à fait bienvenues dans un contexte réaliste. Cela permet d’aérer le film et d’ouvrir l’éventail des sensations chez le spectateur. Rengaine est d’une excitation formelle constante et là est sans doute la plus grande force du film, son identité propre, sa raison d’être.

Rengaine est une véritable surprise et un énorme bol d’oxygène pour le cinéma français. On espère simplement que le cinéaste ne mettra pas neuf ans, comme ce fut le cas ici, pour sortir une nouvelle production qui sera, à coup sûr, attendue.


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