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Tôru Fujisawa : L’intégrale de la conférence JE Centre

Publié le 24 novembre 2012 par Paoru

Fujisawa & Onizuka

Vous l’avez peut-être raté, mais il y a quelques semaines se tenait Japan Expo Centre et l’invité d’honneur de l’évènement n’était autre que Tôru Fujisawa, l’auteur de GTO. Je ne vous fait pas la présentation du monsieur, elle a déjà été réalisée ici et la papier débute de toute façon par un petit topo fait par l’auteur lui-même. Je vous propose donc directement le compte-rendu de la conférence du mangaka du samedi 27 octobre, en présence de son chef assistant Masaki Horikawa, et de deux représentants de la Kodansha. Que du beau monde quoi !

C’est notre cher Painfool qui est à la manœuvre, et je le lui laisse donc la barre pour ce compte-rendu… Bonne lecture

;)

Tôru Fujisawa et ses collaborateurs

Pour commencer, monsieur Fujisawa, pouvez-vous vous présenter à ceux qui ne vous connaissent pas ?

Bonjour (en français dans le texte, NDLR) !

Je m’appelle Tôru Fujisawa, je viens du Japon, où j’exerce la profession de mangaka. C’est ma troisième visite en France. Comme vous le savez peut-être, je suis l’auteur de GTO, mais aussi d’autres séries, comme Reverend D.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir mangaka ?

Quand j’étais plus jeune, j’adorais dessiner, j’étais fan des dessins animés et je regardais beaucoup de tokusatsu (séries de super-héros). Je me suis toujours dit que j’aurais aimé travailler et faire ma vie dans ce monde là. En persévérant, je suis devenu mangaka.

Quelles ont été vos dernières publications ?

Le dernier titre que j’ai créé et qui est sorti en France s’appelle Reverend D. C’est une histoire un peu différente de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Elle traite de magie noire, de monstres, et d’une équipe de prêtres qui utilisent des pouvoirs magiques pour battre ces fantômes et débarrasser le monde des monstres en tout genre. J’espère que vous apprécierez et que vous serez nombreux à la lire.

Après cette courte présentation s’ensuit la traditionnelle séance de questions-réponses.

Avez vous des conseils pour ceux qui souhaitent devenir mangaka ?

Je dessine depuis que je suis tout petit, et je pense que le meilleur conseille que je puisse vous donner serait de dessiner tout le temps, à n’importe quelle occasion, toujours avoir de quoi dessiner sur vous, que ce soit au restaurant, au bar avec des amis. Dessinez ce que vous voulez, ce que vous avez envie, ayez toujours un crayon à la main. Grâce à votre persévérance, votre trait s’améliorera, et vous ferez d’énormes progrès. C’est surement le meilleur conseil que je peux vous donner.

Les collaborateurs de la Kodansha
Mes collaborateurs ici présents sont chargés d’évaluer les nouveaux mangas des jeunes auteurs, et pourront vous répondre mieux que moi.

Ces derniers enchainent : Nous, par exemple, lorsqu’on a découvert G.T.O., on a trouvé que son auteur a beaucoup réfléchi à ce que la profession de professeur implique, ou encore sur la condition des élèves au Japon. Il y avait toute une trame très bien pensée, beaucoup de profondeur. Je pense que le succès de ce manga n’est pas lié qu’à la qualité de son dessin, mais aussi à la qualité de son scénario. C’est un point très important.

Mon collègue et moi travaillons pour un magazine hebdomadaire, Young magazine. Une fois par mois, nous organisons un concours pour les nouveaux artistes. Il faut savoir qu’on reçoit entre 40 et 50 œuvres à chaque fois, ce qui fait environ 600 personnes par an qui cherchent à devenir professionnelles. Pour devenir un mangaka professionnel, ce n’est pas seulement se dire qu’on veut le devenir, mais aussi avoir une histoire à raconter. Il faut être capable d’y mettre tous ses efforts pour pouvoir la transmettre à tout le monde et qu’on aimerait que les lecteurs apprécient. Les gens les plus proches de devenir mangaka sont ceux qui ont une envie très forte d’y parvenir, et qui ont une histoire à raconter. Ce dernier point est, à mon avis, le plus important.

Comment fait-on pour avoir votre style ?

C’est une question très difficile. Tous mangakas ne commencent pas avec un style bien défini et une qualité de dessin telle que celle qu’on voit dans le produit fini. Quand on apprend, le style mute, on a parfois des balbutiements. Même si on dessine plutôt bien dès le début, on n’a pas tout de suite un style bien défini. Cela prend du temps et de l’observation, il faut toujours s’inspirer de quelqu’un d’autre, en regardant les œuvres d’autres mangakas, ou en travaillant en tant qu’assistant. Comme je l’ai dit auparavant, c’est important de dessiner dès qu’on en a l’occasion, et ainsi de créer, au fil du temps, son propre style.

Est-ce que vous dessinez sur ordinateur ?

Lorsqu’on crée un manga, on commence par le shitagaki, qui est un crayonné d’une vingtaine de pages. On refait ensuite le trait à l’encre, et une fois que les personnages sont finalisés, on incrémente les décors. Ils sont réalisés à l’ordinateur par mon assistant.

Si, en tant que dessinateur, j’ai du mal à me motiver pour dessiner, par manque d’envie ou de temps, comment faire ?

Oui, que faire ? (Rires) Au Japon, il y a beaucoup de gens qui aimeraient devenir mangaka, mais qui ne peuvent pas y consacrer tout leur temps et leur énergie, et qui pourtant finissent par y arriver en dessinant le soir. C’est donc une question de persévérance.

De quoi partez-vous pour créer une œuvre ? Travaillez-vous autour d’un thème qui vous intéresse, ou de plusieurs idées qui vous viennent ?

En général, je regarde l’actualité, les films, d’autres dessins animés. J’essaie de me tenir au courant de ce qu’il se passe et je vois les idées qui me viennent. Je réfléchis à une histoire et des personnages, je vois comment je peux les faire interagir. Après, j’en discute avec mon éditeur, afin de voir s’il trouve cela bien. Mais souvent, mes mangas partent d’idées qui me viennent comme ça, de la vie de tous les jours.

J’aspire à devenir mangaka, et j’aimerais avoir vos conseils quant à la création des personnages quand on met en place une nouvelle histoire.

Quand on créée un personnage, c’est important de bien réfléchir à son caractère, ses traits, sa personnalité. Le protagoniste principal sera-t-il plutôt fort, ou au contraire plutôt faible ? Forcera-t-il l’admiration ou la pitié ?

Il faut aussi savoir produire quelque chose d’original ou d’inattendu, comme je l’ai fait avec Onizuka, par exemple, qui est à la fois un professeur et un ancien voyou complètement tête brûlée. Le plus important, c’est de se dire qu’on fait quelque chose pour divertir son public et qu’il prenne du plaisir à lire.

Le plus important, c’est de créer un personnage qui soit apprécié du public, qu’on ai envie de suivre au fil de ses aventures, qu’il soit le plus cool du monde ou le plus ridicule du monde.

gto25
Dans G.T.O., pourquoi Onizuka est-il un professeur ? Pour un yankee, il existe de nombreux métiers qui auraient été tout aussi improbables, comme justifiez-vous ce choix ?

À l’époque où je terminais Shonan Junai Gumi, la série avant G.T.O., publiée dans Shonen Magazine, on m’a demandé d’écrire une suite. Après beaucoup de réflexion, je trouvais très intéressant de le mettre face à des gens qui étaient comme lui quand il était lycéen. Des lycéens un peu voyous face à un professeur tout aussi voyou, en somme.

Je me suis dit que ce serait génial de voir ce qu’il serait possible de faire avec une situation aussi improbable.

Onizuka est-il inspiré de quelqu’un ? Ses caractéristiques, son attitude, sa passion pour les lycéennes ?

Il n’est inspiré de personne en particulier, c’est plutôt l’agglomération de la personnalité d’un certains nombres d’individus que j’ai rencontré, ainsi que de la mienne. Même pour ses aspects les moins fréquentables ! Il n’y a donc pas de modèle en particulier, mais comme ça fait plus de 20 ans que je le dessine, c’est un peu devenu ma deuxième personnalité, maintenant. J’essaie de vivre avec lui, mais ce n’est pas facile… (Rires)

Beaucoup d’étrangers voient le Japon comme un pays très poli, très respectueux des règles. Or, dans GTO, on retrouve le contraire. Vous êtes vous inspiré d’une réalité, ou GTO exagère-t-il la réalité ?

Il existe au Japon des gens peu recommandables, et pas très polis. À l’époque ou j’étais au lycée, on pouvait compter entre 10 et 20% de voyous, tel qu’on en voit dans GTO. Les bosozokus (voyous à moto, NDLR) existent vraiment, et GTO reflète bien la réalité.

Vous dessinez beaucoup de voyous, avez vous un obscur passé derrière vous ?

J’ai grandi dans un environnement qui n’était pas des plus agréables, donc on peut dire que jusqu’à la fin du collège, je n’étais pas très fréquentable ni très civil. Je me suis beaucoup calmé à l’époque du lycée, quand j’ai commencé à découvrir l’animation et les mangas. C’est à cette époque que je me suis décidé à me lancer dans ce milieu. J’ai fait des rencontres très importantes, et je suis devenu très sage. Vous ne vous en doutez peut-être pas, mais il y a beaucoup de mangakas avec un passé similaire au mien. On se retrouve parfois et on partage nos anecdotes. Je ne peux pas vous en dire trop, parce que sinon, je vais me faire taper dessus en rentrant ! (Rires)

Ça n’a pas été trop dur de vous replonger dans l’époque de G.T.O., qui a plus de 20 ans ? Au niveau du chara-design, de l’architecture, les assistants ont-ils rencontré des difficultés ?

Ça n’a pas été évident, je suis plus vieux qu’à l’époque et c’est toujours difficile. Le plus difficile aura été d’aborder des thèmes de société sérieux tout en gardant un Onizuka toujours aussi farfelu.

Quel est votre niveau d’implication dans le nouveau drama de G.T.O. qui est récemment sorti au Japon ?

On m’a demandé de regarder le scénario. J’ai donc participé à la vérification et à la relecture des scenarii.

Avez vous prévu une nouvelle suite pour G.T.O. ?

Oui, cela fait partie de mes idées. Je pense que prochainement je travaillerai sur une suite.

De quelle œuvre êtes-vous le plus fier ?

Dans tout ce que j’ai fait, je pense que c’est probablement G.T.O., parce qu’il y a mon petit bébé dans ce manga… Monsieur Uchiyamada ! (Le sous-directeur du lycée dans G.T.O., NDLR)

J’ai lu dans un article que vous étiez intéressé par la création d’un manga autour d’un personnage de l’après guerre, comme Uchiyamada. Qu’en est-il actuellement ?

J’adore Uchiyamada, je prends beaucoup de plaisir à dessiner ses mésaventures. C’est peut-être un petit peu sadique, mais j’adore lui faire subir toutes ses mésaventures avec sa voiture, sa famille, etc… Il faut savoir que cette génération est la plus importante du Japon, ce sont donc des personnes qu’on voit tout le temps. J’aime les pousser dans leurs derniers retranchements, de leur faire subir les pires situations possibles, pour voir comment ils réagissent avant de leur offrir un bel happy end.

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Envisagez-vous de reprendre Tokko ?

Je travaille sur beaucoup de suites. En ce moment, je travaille surtout sur Inohead Gargoyle, qui reprend le personnage de Saejima, de l’univers de G.T.O.. Je suis très occupé par ce manga pour l’instant, mais qui sait, peut-être qu’après des idées viendront pour Tokko. À ce jour, rien n’est prévu.

(NDLR : la question qui tue de Mackie le Newbie) Dans Reverend D, il existe de petits personnages assez curieux, qui sont des petits cochons. Pourquoi ces personnages ? Est-ce juste un effet comique ? Y a-t-il une signification plus profonde par rapport à la mythologie ?

J’adore les petits cochons, je trouve ça très mignon. Je voulais absolument en mettre dans mes mangas ! (Rires)

Dans une histoire d’horreur, c’est quand même curieux, non ?

Au contraire, dans une histoire d’horreur, je trouvais intéressant de rajouter un peu de lumière et d’humour, avec ce personnage, Damian, qui parle et qui est très rigolo.

Blue Exorcist et Reverend D ne sont-ils pas un peu similaires ?

Non, je pense que c’est un petit peu différent, lisez le et vous verrez bien !

Avez-vous bien voyagé ?

J’ai très bien voyagé. À chaque fois que je viens en France, c’est toujours un plaisir pour les yeux et pour le ventre. On a très bien mangé en de telles quantités que j’en ai l’estomac qui va exploser ! (Rires)

(en japonais) Apprenez-vous le français ?

C’est une langue très difficile, mais j’essaierai de faire un effort.

Je voulais aussi demander aux éditeurs, sur quels critères s’établissent la viabilité d’une œuvre ? Sur quels bases reposent leur choix ?

Quand on reçoit un manuscrit, on se base beaucoup sur nos impressions personnelles. Est-ce distrayant ? « Cool » ? Qu’en a-t-on retenu ? Ensuite, on se met à la place du public, on tente d’estimer le nombre de personnes qui pourraient être potentiellement intéressés. Avec l’expérience, on arrive à avoir une bonne idée de ce qui va marcher. Il existe d’autres facteurs, mais pour faire simple, on se base sur nos impressions et on se dit que la plupart des gens penseront la même chose que nous en lisant cette histoire.

Quand on travaille sur un manga prépublié dans un magazine périodique, trouve-t-on le temps de penser à autre chose ? Ne saturez-vous jamais ?

C’est vrai que quand on est sur un manga, on ne pense plus qu’à ça. Quand j’ai besoin de décompresser, je vais boire un verre avec mes amis, c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé. Parfois, on y puise de nouvelles idées et on est plus efficace après.

Monsieur Horikawa, en tant qu’assistant, comment est-ce, de travailler avec Fujisawa-sensei en personne ?

C’est très intéressant et très motivant de travailler pour monsieur Fujisawa, même s’il est parfois très strict. Comme vous je suis très curieux de découvrir ce qu’il va créer, et j’ai vraiment envie de lire la suite des aventures de ses personnages. J’y mets tout mon cœur, et je fais de mon mieux tous les jours. C’est une super expérience.

Horikawa et Fujisawa

Un de vos assistant est-il devenu un mangaka reconnu ?

Vous connaissez probablement Get Backers, qui est l’œuvre Rando Ayamine, un de mes anciens assistants. Quelques autres ont percé dans le métier, mais je pense qu’il est le plus connu du lot, en France.

Lisez vous les productions d’autres dessinateurs ? Quel manga sort du lot ?

En ce moment, j’ai peu de temps pour lire, même si j’aimerais bien pouvoir prendre le temps de découvrir ce qui se fait, mais il y a quelques années, j’ai beaucoup apprécié lire Slam Dunk, par exemple.

Vous avez dit précédemment que vous aimez beaucoup le tokusatsu, et on retrouve dans certaines de vos histoires des archétypes propres au Super Sentai ou à Kamen Rider. Quelles œuvres du genre préférez-vous ?

Ma génération a connu les premiers tokusatsu, donc j’ai grandi avec Ultra Seven, Ultraman, Kamen Rider. J’ai entre autre écrit Kamen Teacher, qui puise largement dans les codes du tokusatsu et du sentai. Le masque du personnage de cette histoire est d’ailleurs basé sur celui de Gyaban (X-Or en France). De par ce manga, j’ai d’ailleurs été appelé à travailler avec le staff de Gyaban, avec lequel nous essayons d’élaborer une œuvre collaborative.

Le manga influence la jeune génération de dessinateurs français. Par le passé, vous est-il arrivé de vous inspirer de la bande dessinée occidentale ? Certains vous ont-ils marqué ?

Je connais bien la bande dessinée franco-belge. Je suis toujours fasciné par l’utilisation de la couleur, et par son coté très artistique. Je fais moi même des coloris, et j’adore « regarder » les bandes dessinées européennes. Très peu son traduites en japonais, donc je ne peux pas en lire beaucoup. C’est très difficile d’apprécier l’histoire. Je ne connais pas énormément d’auteur, malheureusement, mais le plus connu au Japon, dont j’ai lu quelques œuvres, c’est Moebius.

S’ensuit la performance. Le crayonné a été fait à l’avance, et monsieur Fujisawa en profite pour nous expliquer qu’il s’agit du shitagaki, et qu’on y voit déjà plus ou moins le dessin tel qu’il sera une fois terminé. Il s’excuse d’avance du résultat, il explique qu’il n’a pas l’habitude de dessiner debout, sur un chevalet, et espère que le public sera clément avec lui s’il se rate. (Rires)

Onizuka, au crayon
Fujisawa dessinant Onizuka

Un grand merci à monsieur Fujisawa, son assistant et ses éditeurs pour leur temps. Merci également à l’interprète efficace du jour et au staff de Japan Expo pour la mise en place de cette conférence !

Onizuka par Fujisawa


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