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Contre les violences conjugales, un procureur français lutte à sa manière!

Par Citoyenhmida

En ce jour où l’on rappelle les violences faites aux femmes, il n’est pas intérêt  de signaler le comportement étonnant mais surement très courageux de ce  procureur qui a fait de la lutte contre ce phénomène son cheval de bataille.

En fait, il s’agit de Luc FREMIOT, avocat général près la Cour d’assises de DOUAI (France – Nord) chargé de présenter le réquisitoire dans l’affaire Alexandra GUILLEMIN,  accusée du meurtre de son mari qui la violentait.

Contre les violences conjugales, un procureur français lutte à sa manière!

Les détails des faits et  du procès sont  rapportées dans la chronique judiciaire signée Pascale Robert-Diard  dans le  quotidien  LE MONDE des 25-26 mars 2012.

L’important dans l’affaire est que l’avocat général lors de son réquisitoire s’est transformé en défenseur de l’accusée!  Décision  tout à fait exceptionnelle pour un magistrat chargé  de requérir une peine contre une personne qui a commis un meurtre et d’argumenter pour convaincre les jurés et  la cour du bienfondé de sa demande.

L’avocat de la défense de Alexandra Guillemin n’aurait pas pu trouver des mots plus justes pour éviter à sa cliente d’être condamnée.

Voilà le texte du réquisitoire de l’avocat général Frémiot :

Alexandra Guillemin, nous avions rendez-vous. C’est un rendez-vous inexorable, qui guette toutes les victimes de violences conjugales. Ce procès vous dépasse parce que derrière vous, il y a toutes ces femmes qui vivent la même chose que vous. Qui guettent les ombres de la nuit, le bruit des pas qui leur fait comprendre que c’est l’heure où le danger rentre à la maison. Les enfants qui filent dans la chambre et la mère qui va dans la cuisine, qui fait comme si tout était normal et qui sait que tout à l’heure, la violence explosera.

Elles sont toutes sœurs, ces femmes que personne ne regarde, que personne n’écoute. Parce que, comme on l’a entendu tout au long de cette audience, lorsque la porte est fermée, on ne sait pas ce qui se passe derrière. Mais la vraie question, c’est de savoir si l’on a envie de savoir ce qui se passe. Si l’on a envie d’écouter le bruit des meubles que l’on renverse, des coups qui font mal, des claques qui sonnent et des enfants qui pleurent.

Ici, dans les cours d’assises, on connaît bien les auteurs des violences conjugales. De leurs victimes, on n’a le plus souvent qu’une image, celle d’un corps de femme sur une table d’autopsie. Aujourd’hui, dans cette affaire, nous sommes au pied du mur, nous allons devoir décider.

Mon devoir est de rappeler que l’on n’a pas le droit de tuer. Mais je ne peux pas parler de ce geste homicide sans évoquer ces mots des enfants : « Papa est mort, on ne sera plus frappés ». «Papa, il était méchant ». « Avec nous, il se comportait mal, mais c’était rien comparé à ce qu’il faisait à maman ».

On n’a pas le droit de tuer, mais on n’a pas le droit de violer non plus. D’emprisonner une femme et des enfants dans un caveau de souffrances et de douleur.

Je sais la question que vous vous posez. « Mais pourquoi Alexandra Guillemin n’est-elle pas partie avec ses enfants sous le bras ? » Cette question est celle d’hommes et de femmes de l’extérieur, qui regardent une situation qu’ils ne comprennent pas et qui se disent « Mais moi, je serais parti ! ». En êtes-vous si sûr ?

Ce que vivent ces femmes, ce qu’a vécu Alexandra Guillemin, c’est la terreur, l’angoisse, le pouvoir de quelqu’un qui vous coupe le souffle, vous enlève tout courage. C’est sortir faire les courses pendant cinq minutes parce que celui qui vous envoie a calculé exactement le temps qu’il vous faut pour aller lui acheter ses bouteilles de bière. Et c’est à cette femme là que l’on voudrait demander pourquoi elle est restée ?

Mais c’est la guerre que vous avez vécu, Madame, la guerre dans votre corps, dans votre cœur!

Et vous, les jurés, vous ne pouvez pas la juger sans savoir les blessures béantes qu’elle a en elle. C’est cela être juge, c’est être capable de se mettre à la place des autres.

Alexandra Guillemin, il suffit de l’écouter, de la regarder. De voir son visage ravagé. Mais un visage qui change dès qu’elle parle de ses enfants. On a beaucoup dit d’elle qu’elle était « passive ». Mais c’est une combattante, cette femme! Ses enfants, elle leur a tenu la tête hors de l’eau, hors du gouffre. Il n’y a pas beaucoup d’amour dans ce dossier, mais il y a le sien pour ses enfants, et ça suffit à tout transfigurer. Ils ont 13, 11, 8 et 6 ans aujourd’hui, ils vous aiment, ils seront votre revanche.

Nous, la question que nous devons nous poser, c’est : « de quoi êtes-vous responsable, Alexandra Guillemin ? » Quelle serait la crédibilité, la légitimité de l’avocat de la société qui viendrait vous demander la condamnation d’une accusée, s’il oubliait que la société n’a pas su la protéger ?

Alors, je vais parler de légitime défense. Est-ce qu’au moment des faits, Alexandra Guillemin a pu penser qu’elle était en danger de mort ? Est-ce qu’en fonction de tout ce qu’elle a vécu, subi, elle a pu imaginer que ce soir là, Marcelino allait la tuer ? Mais bien sûr ! Cela fait des années que ça dure. Alexandra a toujours été seule. Aujourd’hui, je ne veux pas la laisser seule.”

Et il a conclu  ce bien curieux, mais si humain, si courageux, réquisitoire, par ces mots encore plus curieux dans la bouche d’un procureur, mais tellement humains, tellement courageux :

“C’est l’avocat de la société qui vous le dit : vous n’avez rien à faire dans une cour d’assises, Madame.

Acquittez la !”

Et la cour d’assises de Douai a acquitté Alexandra Guillemin !

L’avocat général Luc Frémiot venait de remporter là une grande victoire dans le combat contre les violences faites aux femmes qu’il livre depuis des années : cette victoire est la conclusion logique du cheminement de ce défenseur de la société qui s’est transformé en défenseur acharné de la cause des femmes battues.

Puisse l’action de ce magistrat puisse servir d’exemple à tous ceux et à toutes celles qui détiennent une parcelle de pouvoir judiciaire, policier, administratif, réglementaire ou politique pour les inciter à agir dans le cadre de leurs responsabilités respectifs pour tenter d’éradiquer ce fléau qui sape toutes les sociétés!

P.S. : pour en savoir plus sur cette bouleversante affaire, lire AQUITTEE – Je l’ai tué pour ne pas mourir, d’Alexandra LANGE (nom de jeune fille de Alexandra Guillemin), publié chez Michel Laffont en novembre 2012.


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Par Kyu Thull
posté le 11 mars à 10:21

Le discours juridique ne rencontre que rarement le discours psychologique... je félicite cet avocat général pour avoir eu le courage de défendre une victime qui n'a pu être protégée par la société!!! Je suis travailleur sociale, j'ai accompagné des familles disfonctionnant, m'exposant parfois moi-même au cercle diabolique de la violence... les juristes ont souvent des difficultés à rester des humains, or la vie ne se réduit pas une juxtaposition de textes de lois que l'on interprète!!! Bravo à Luc Frémiot!!!!

Par Luminette Viguier
posté le 11 mars à 10:18

un véritable réquisitoire "à charge et à décharge"... Et cela s'appelle "justice", une vraie, intelligente et humaine... Merci au nom de toutes les femmes, battues ou non !!!

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