Le Ministère de l'écologie a récemment adressé aux organisations pressenties pour participer au débat national sur la transition énergétique un "projet de charte" tendant à décrire la gouvernance - compliquée - de cette opération. Analyse.
Je vous propose de consulter le projet de charte ci-dessous.
De manière générale, l'analyse de la gouvernance du débat national sur la transition énergétique se caractérise par sa complexité et par le souci d'avoir un débat "apaisé", non pas sur les objectifs de la politique publique d'énergie mais sur les conditions de la transition énergétique.
Premier enseignement, la gouvernance du DNTE sera complexe et articulée entre de nombreux organes :
- le ""conseil national du débat" qui regroupera les sept collèges de parties prenantes
- le "comité de pilotage" composé des sages qui veilleront au respect des règles du débat
- le "comité d'experts"
- un "comité citoyen" "constitué d’individus représentant la diversité socioprofessionnelle de la société française".
- le "groupe de contact des collectivités"
- le "groupe de contact des entreprises de l'énergie"
- le "secrétaire général"
Ce sont donc pas moins de 7 organes qui devront animer le DNTE, regroupant sans doute un un nombre considérable de personnes. Cette organisation est donc d'une grande complexité et au vu de la polémique relative à la seule composition du comité de pilotage on imagine sans peine les difficultés de fonctionnement qui caractériseront un ensemble aussi lourd.
L'avantage d'un tel dispositif est qu'il donnera le sentiment d'être démocratique et de permettre à un grand nombre de personnes de s'exprimer. L'inconvénient - réel - est que chaque intervention ne soit "noyée" parmi toutes les autres. La somme de toutes ces interventions qui seront réalisées dans tous ces comités et groupes pourrait également encourager la politique du "plus petit dénominateur commun" rarement synonyme de décision de nature à remettre fondamentalement en cause le modèle passé, soumis au débat.
Enfin, un dispositif complexe peut aussi donner plus de marge de manoeuvre au pilote du tout, en l'occurrence le ministère de l'écologie. Diluer une expression ou une revendication dans la masse de toutes les interventions, opposer les contraires pour les relativiser, mettre en concurrence des parties prenantes ou des expertises pour privilégier une analyse : autant d'options plus facilement mobilisables dans un ensemble dense et complexe qu'en petit comité.
En second lieu, on peut s'interroger sur la nécessité et l'utilité de remettre ainsi en cause la gouvernance à cinq du Grenelle.
En effet, si le but est de rapprocher le dialogue environnemental du dialogue social, on comprend mal le besoin de doubler les collèges de parties prenantes de tant d'autres comités dont l'un - le comité de pilotage - a clairement pour mission d'encadrer le débat. On imagine mal les syndicats de salariés et d'entrepreneurs accepter, dans le cadre du dialogue social, d'etre ainsi chapeautés. L'impératif est d'avoir un "débat apaisé" sans trop de vagues. Plus précisément encore, toute cette organisation donne le sentiment d'avoir été pensée pour prévenir tout risque de "foucade" des ONG. Non seulement celles-ci ne siègeront que dans le conseil national mais la composition et le rôle dévolu au "comité de citoyens" peuvent aussi contribuer fortement à encadrer leur expression avec un risque de mise en concurrence.
Mon principal regret tient cependant à ce que les collèges de parties prenantes soient distingués du comité des experts. Il me semble préférable de revenir à un système où l'expert est aux côtés des parties prenantes, chacune choisissant les experts sur lesquels elle souhaite s'appuyer. Je reste convaincu que le dispositif des cinq collèges demeure le plus adapté.
En toute hypothèse, j'espère que chaque type de débat n'aura pas sa gouvernance propre et toujours aussi compliquée. Au demeurant, le conseil national de la transition écologique prochainement mis en place aurait pu être le siège de ces grands débats sur le développement durable tout en pensant à l'articulation de ses travaux avec la CNDP et le CESE.
En troisième lieu, il convient de bien souligner les objectifs exacts du débat.
Premier objectif : le DNTE a une vocation pédagogique, peut-être l'objectif le plus important :
"Ce débat vise à éclairer la Nation française sur les fondamentaux énergétiques et les raisons d’être de la transition énergétique rendue nécessaire par les engagements européens et internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et par la décision du gouvernement de ramener en 2025 de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité dans notre pays, et le besoin de sécurité d’approvisionnement."
Au passage, le projet de Charte évacue donc un sujet éventuel de controverse : s'agissant du nucléaire la décision a été prise et elle est confirmée donc non susceptible d'être remise en cause : il ne s'agit pas de sortir du nucléaire mais d'en réduire l'importance dans la production électrique d'ici à 2025.
Deuxième objectif :"préciser les conditions de la transition énergétique"
"Ce débat doit préciser les conditions de cette transition, et contribuer à définir la façon la plus pertinente écologiquement, la plus efficace économiquement et la plus juste socialement, de la conduire pour atteindre l’objectif retenu pour 2025, et, au delà, mettre l’économie et plus globalement la société française sur une trajectoire cohérente avec les objectifs de 2050".
Le débat n'aura donc pas pour fonction de définir des objectifs - les objectifs 2025 et 2050 - au demeurant fixés au plan européen. Il aura pour but de fixer les moyens de les atteindre. Cependant, certains sous objectifs, comme celui de développement de la puissance installée en énergie solaire pourraient utilement être révisés.
Troisième objectif : recommander
"Le débat doit, à son terme, produire des recommandations que le gouvernement s’engage à intégrer dans la préparation du projet de loi de programmation pour la transition énergétique qui sera présentée au débat et au vote du parlement avant octobre 2013."
Le DNTE n'aura donc pas pour but d'émettre des engagements qui lient les acteurs du débat eux-mêmes mais de produire des recommandations vers le Gouvernement, avec possibilités d'opinions divergentes. Il y a fort à parier que le Gouvernement sera donc rendu destinataire d'un nombre élevé et souvent contradictoires de recommandations qui acroitront d'autant sa marge de manoeuvre. Il aurait donc été précieux de prévoir un mécanisme de garantie du débat au moyen, par exemple, d'une obligation de motivation des choix qui seront finalement réalisés.
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PROJET DE CHARTE du DEBAT NATIONAL SUR LA TRANSITION ENERGETIQUE
1. L’énergie est un enjeu majeur, que ce soit sur les plans économique, politique, social et environnemental. Aussi, le débat national sur la transition énergétique doit être un moment d’échange démocratique et citoyen, ouvert et transparent. Ce débat vise à éclairer la Nation française sur les fondamentaux énergétiques et les raisons d’être de la transition énergétique rendue nécessaire par les engagements européens et internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et par la décision du gouvernement de ramener en 2025 de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité dans notre pays, et le besoin de sécurité d’approvisionnement.
Ce débat doit préciser les conditions de cette transition, et contribuer à définir la façon la plus pertinente écologiquement, la plus efficace économiquement et la plus juste socialement, de la conduire pour atteindre l’objectif retenu pour 2025, et, au delà, mettre l’économie et plus globalement la société française sur une trajectoire cohérente avec les objectifs de 2050.
Le débat doit, à son terme, produire des recommandations que le gouvernement s’engage à intégrer dans la préparation du projet de loi de programmation pour la transition énergétique qui sera présentée au débat et au vote du parlement avant octobre 2013.
2. Le débat national sur la transition énergétique est fondé sur le respect de la diversité et de la pluralité des opinions. A partir de la confrontation des points de vue, il favorise la recherche de convergences pour définir l’intérêt général de la Nation, tout en permettant l’expression des opinions divergentes.
3. Tout citoyen peut contribuer au débat national sur la transition énergétique, que ce soit en participant aux débats décentralisés ou en s’exprimant sur le site internet dédié.
Toute personne morale, publique ou privée, peut s’exprimer, à égalité des autres, au travers de contributions publiées sur le site internet du débat national, et intégrées dans les travaux des différentes instances du débat.
4. Le conseil national du débat permet, tel un « Parlement » de faire dialoguer les acteurs. Il est constitué de sept collèges de représentants des syndicats de salariés, des employeurs, des organisations non gouvernementales environnementales, des associations de consommateurs, de lutte contre la pauvreté et des chambres consulaires, des associations d’élus locaux, des parlementaires, des représentants de l’Etat.
Le conseil national du débat fixe les grandes orientations du débat national et son calendrier. Il procède à des auditions publiques autour des grandes thématiques du débat. Ces auditions ont pour objectif d’informer les membres du conseil des différents enjeux auxquels la transition énergétique doit répondre. Elles doivent permettre de recueillir les préoccupations des différents secteurs de l’économie, des acteurs sociaux et des citoyens. Elles permettent aussi de repérer les enjeux européens et internationaux.
Le conseil national du débat peut créer en son sein des groupes de travail.
Enfin, ce conseil veille à entretenir un dialogue avec le Parlement national, le CESE et la CNDP pendant toute la durée du débat.
A l'issue du débat, le conseil national organise la formulation des recommandations qui en résulte, en explicitant le fondement de chacune d’elle au regard de la teneur du débat, en rendant compte de la réalité des échanges, et en mettant clairement en évidence les sujets faisant l’objet de consensus, et ceux générant un dissensus.
5. Le comité de pilotage, dont les membres sont désignés par le gouvernement, est le garant du respect des règles du débat, du recueil des expressions dans leur pluralisme, du respect de la présente charte, du caractère démocratique du débat dont il assure la coordination des diverses instances.
Il soumet au Conseil national la formulation des questions mises en débat.
Il mène toute action utile pour faire connaître l’existence du débat national et ses objectifs, pour encourager la tenue de débats décentralisés favorisant ainsi la plus grande participation des citoyens. Il veille à ce que les questions posées par le gouvernement soient intégrées aux débats du conseil national de la transition énergétique.
Les membres du comité de pilotage encouragent la participation du plus grand nombre, au travers de la mobilisation des grands médias nationaux, régionaux et internationaux, médias classiques et réseaux Internet, tout au long du débat.
Pendant toute la durée du débat, il veille à ce qu’à chacune de ses étapes ou dans chacune de ses modalités, les principes de la présente charte soient respectés.
Il dresse le bilan du déroulement du débat.
6. Le conseil national du débat s’appuie sur le comité des experts, qu’il sollicite pour l’assister dans ses travaux : lors des auditions publiques, pour participer à des groupes de travail, ou pour formuler des avis sur des éléments portés à sa connaissance. Ce comité rassemble des personnalités reconnues françaises ou internationales de la communauté scientifique, du monde économique et du secteur associatif.
Il apporte par ses contributions, les données scientifiques, économiques, sociales, environnementales, techniques et financières nécessaires au débat. Il est chargé de porter un avis expert sur les documents servant de base au débat, en vue de permettre, par ses avis, un dialogue informé et argumenté.
Le comité des experts analyse et compare les scénarii nationaux et internationaux disponibles.
Il fournit au Conseil une expertise sur la trajectoire 2025 cohérente avec les objectifs 2050.
7. Le comité citoyen constitué d’individus représentant la diversité socioprofessionnelle de la société française. Il veille à la bonne intelligibilité des débats pour tous les citoyens en s’assurant de la prise en compte de leurs questionnements et de leurs intérêts. A ce titre, il contribue au suivi du processus de consultation des françaises et des français dans ces différentes dimensions (forum Internet, consultation structurée) et veille à réintégrer ces apports dans les débats du Conseil.
8. Le groupe de contact des collectivités rassemble les associations nationales d’élus locaux. Il suscite, facilite et coordonne l’organisation des débats sur les territoires. Il coordonne la mise en place des conférences régionales de la transition énergétique et s’assure que les synthèses organisées par les régions sont produites dans le format proposé pour en permettre l’agrégation au niveau national.
9. Le groupe de contact des entreprises de l’énergie permet un dialogue organisé et transparent avec les acteurs économiques de l’énergie. Ce groupe vise à proposer à ces entreprises un espace d’échange pour alimenter les débats, en particulier sur la faisabilité des différentes options et sur les implications de ces options en termes de coût, de bénéfice et de structuration industrielle.
10. L’organisation pratique du débat national sur la transition énergétique est confiée à un secrétaire général qui assure une fonction de chef de projet en conduisant sa mission sous l’égide du comité de pilotage.