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Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 53. les harpes angulaires

Publié le 27 novembre 2012 par Rl1948

 

   Ainsi à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressentie était-elle expirée, que sa mémoire lui en avait fourni séance tenante une transcription sommaire et provisoire, mais sur laquelle il avait jeté les yeux tandis que le morceau continuait, si bien que, quand la même impression était tout d’un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. Il s’en représentait l’étendue, les groupements symétriques, la graphie, la valeur expressive; il avait devant lui cette chose qui n’est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l’architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique. Cette fois il avait distingué nettement une phrase s’élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n’avait jamais eu l’idée avant de l’entendre, dont il sentait que rien autre qu’elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu.

Marcel  PROUST,

Un amour de Swann

dans A la recherche du temps perdu

Tome I, Du côté de chez Swann,

Paris, Gallimard,

pp. 250-1 de mon édition de 1954.

     En parcourant les volumes de l'importantissime ouvrage Monuments de l'Égypte et de la Nubie, d'après les dessins exécutés sur les lieux sous la direction de Champollion-le-Jeune, et les descriptions autographes qu'il en a rédigées, monumentale somme publiée en 1835 chez Firmin-Didot Frères, à Paris et dont j'ai la chance de posséder une reprographie proposée dans un format plus maniable que les in-folios originaux en 1969 par le Centre de documentation du monde oriental, Éditions de Belles-Lettres à Genève, l'on rencontre, au tome 1, à la planche LI (2), oeuvre d'un des cinq dessinateurs de l'équipe dirigée par Jean-François Champollion en personne lors de ses deux années passées en Égypte (1828-1830), la représentation, sur une des parois du pronaos du temple de Thot, à Dakka, d'un Hercule barbu, selon les propres notes de l'égyptologue français, assis, jouant de la harpe angulaire.

Bès harpiste (Champollion)

   C'est toujours de Champollion et de ce même instrument qu'il s'agira, un vrai cette fois, avec un superbe spécimen, - également appelé trigone -, que je soumets ce matin à votre admiration, amis visiteurs, déposé dans le grand meuble vitré du centre de la salle 10 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre devant lequel j'ai pris l'habitude, depuis quelques mardis, d'établir nos quartiers d'automne hebdomadaires.

Salle 10 - Vitrine 1 (Juin 2009)

   Sur la table basse allongée de la première moitié de la vitrine, après les deux harpes portatives naviformes que nous y avons rencontrées la semaine dernière, succédant à un luth sur lequel je n'ai pas estimé devoir attirer votre attention parce qu'en marge du sujet envisagé, a été rangée une troisième et dernière harpe, par sa forme triangulaire complètement différente des instruments arqués déjà évoqués qui, si j'accrédite les propos de feue Madame Christiane Desroches Noblecourt dans sa préface à l'ouvrage de Christiane Ziegler dédié aux instruments de musique exposés ici, fut prise en mains par Champollion.

Salle-10---Vitrine-1---Trigone.jpg

   Provenant en effet de la collection Salt acquise pour le Louvre de Charles X par le Figeacois qu'une ordonnance royale avait nouvellement promu responsable de la division des monuments égyptiens, - comme je vous l'avais expliqué dès la création de ce blog en mars 2008 -, ce trigone de toute beauté, quasiment intact si j'en excepte les cordes réfectionnées au XIXème siècle, constitue véritablement la fierté des Conservateurs, surtout depuis que celui du Musée de Berlin, fort semblable, a bizarrement disparu de ses collections.

   Déjà connue au deuxième millénaire avant notre ère sur les rives entre Tigre et Euphrate, exportée et représentée sur les monuments de celles du Nil dès le Nouvel Empire, - ce serait peinte dans la tombe (TT 367) d'un certain Paser, à l'époque d'Amenhotep II, qu'elle apparaîtrait pour la première fois -, la harpe angulaire fut elle aussi très prisée par les musiciens égyptiens.

   Datant, selon le cartel, de Basse Époque - sans plus de précision ! -, mesurant 110 centimètres de hauteur, elle fut réalisée en bois rares - pin maritime pour le cordier et cèdre pour la baguette de suspension -, et gainée de cuir vert aux laçages que dissimulent des pièces de cuir polychrome.

HARPE TRIGONE - Louvre N 1411 (C. Décamps)

   Le cordier cylindrique de quelque 70 centimètres de longueur pénètre dans la partie basse et amincie de la caisse de résonance trapézoïdale en bois massif ; ses cordes se terminent par des franges à mèches, semblables à celles qui pendaient au bout des cordonnets enserrant les tentures dans la maison de ma grand-mère maternelle.

   Quant à sa partie supérieure, plate, en forme de triangle isocèle dont une des pointes est arrondie, l'artiste l'a notamment décorée de motifs floraux provenant des marais nilotiques - des lotus, en l'occurrence -, découpés dans du cuir vert et qu'il a apposés sur un fond de cuir rose soutenu. 

Dessus-harpe-trigone-N-1441--Louvre---cliche-C.-Decamps-.jpg


   Selon les musicologues, ce type de trigone égyptien d'époque gréco-romaine, évidemment revisité par la suite, serait à l'origine de la harpe celtique médiévale et de ses consoeurs occidentales que nous connaissons aujourd'hui, tandis que la harpe cintrée apparue dès les premières dynasties aurait, quant à elle, poursuivi son développement sur le continent africain essentiellement ...

   Après ces quelques considérations typologiques évoquées au long de nos trois dernières rencontres, celles des 13 et 20 novembre à propos des instruments arqués, et celle de ce matin, j'aimerais, avant de vous quitter, amis visiteurs, vous proposer un dernier rendez-vous, mardi prochain 4 décembre, aux fins de définitivement rejoindre les trois jeunes harpistes de Metchetchi qui nous attendent toujours dans la grande vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre en s'interrogeant probablement sur les raisons pour lesquelles, sans même avoir eu l'élémentaire courtoisie de les avertir, nous les avons un temps délaissées pour venir nous regrouper ici en salle 10.

(Ziegler : 1979, 8, 105-7 et 113)  


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