
Pietro Fabris (actif à Naples, 1768-1778),
Kenneth Mackenzie, premier comte de Seaforth (1744-1781),
dans ses appartements à Naples : scène de concert, 1770
Huile sur toile, 35,5 x 47,6 cm, Edimbourg, National Gallery of Scotland
Kristian Bezuidenhout ne s’en cache pas, Mozart occupe une place centrale dans ses préoccupations artistiques, un point qui n’étonnera pas ceux qui ont suivi le début de son parcours discographique au travers de certaines de ses pages pour clavier seul (Harmonia Mundi, 3 superbes volumes publiés à ce jour). Un concert diffusé par Arte en mai 2012 nous montrait le jeune pianofortiste se confrontant cette fois-ci, avec le même brio, à deux concertos de son compositeur fétiche, en compagnie d’un Freiburger Barockorchester en grande forme ; par chance, Harmonia Mundi, dont le riche catalogue est lacunaire dans ce domaine, a eu l’excellente idée d’immortaliser en studio cette belle rencontre et d’en faire un disque.
Dire que les concertos pour piano, qu’ils appartiennent à la période de Salzbourg ou de Vienne, représentent une des parts les plus personnelles de toute la production mozartienne est d’une absolue banalité, mais force est pourtant de constater qu’ils constituent des jalons d’importance pour saisir tout à la fois son évolution d’homme et de créateur. Les deux présentés ici ont été composés à un peu plus de 18 mois d’intervalle seulement, mais leurs différences sont révélatrices, toute question de destination mise à part, d’un processus de maturation dans le langage du musicien.
Mozart inscrit le Concerto en sol majeur (n°17, KV 453) dans son catalogue personnel à la date du 12 avril 1784, mais le mentionne déjà dans une lettre écrite le 10 du même mois. Cette œuvre est la seconde qu’il compose, après le Concerto en mi bémol majeur (n°14, KV 453) antérieur de deux mois, pour son élève Barbara Ployer, fille d’un conseiller aulique et agent de la cour de Salzbourg à Vienne, cette fois-ci en vue d’un concert privé dans la maison de campagne de cette importante famille, à Döbling, au cours duquel il tiendra également la partie de clavier dans le Quintette KV 452 (avec hautbois, clarinette, cor et basson)
Achevé le 16 décembre 1785 et probablement créé le 23 du même mois, le Concerto en mi bémol majeur (n°22, KV 482) est nettement plus ambitieux et exigeant, tant du point de vue de la forme que de la virtuosité. Mozart, qui l’a cette fois-ci conçu pour son propre usage, y réserve une place de premier plan aux instruments à vent, dont les clarinettes utilisées pour la première fois dans ce type d’œuvre, qui dialoguent librement avec le clavier et se voient même accorder à plusieurs reprises d’occuper le devant de la scène dans le mouvement lent, un mélancolique Andante en ut mineur dont ils interrompent, dans un esprit presque agreste qui rappelle la Sérénade en si bémol majeur dite Gran Partita (KV 361/370a, 1781-82), le chant désolé des cordes avec sourdine et du piano, ainsi que dans l’épisode intermédiaire intercalé dans le Finale, 
Comme je l’écrivais en préambule, ce disque réunissant Kristian Bezuidenhout (photographie ci-dessus) et le Freiburger Barockorchester (photographie ci-dessous) était attendu à la hauteur des espérances que pouvaient susciter la réputation des musiciens et leur prestation en concert. Elles ne sont pas déçues un seul instant et font de cette réalisation un moment à marquer d’une pierre blanche. Mais, me direz-vous, qu’apporte-t-elle à une discographie sur laquelle les plus grands ont laissé leur empreinte ? Je serais tenté de vous dire, en tout premier lieu, une incroyable fraîcheur d’ailleurs judicieusement mise en valeur par des ingénieurs du son qui ont su préserver à cette lecture toute sa sève, faite de spontanéité, d’alacrité mais aussi de sensibilité, tout en lui offrant une grande lisibilité. Ensuite, l’excellence des interprètes en présence est aussi indiscutable que leur complicité, et on prend un immense plaisir à les entendre dialoguer avec ce naturel désarmant qui découle du soin apporté au travail préalable de mise en place que l’on devine millimétré mais faisant également place à la liberté de chacun. 


Kristian Bezuidenhout, pianoforte Paul McNulty, 2009, d’après Anton Walter, Vienne, 1805
Freiburger Barockorchester
Petra Müllejans, premier violon
1 CD [durée totale : 72’41”] Harmonia Mundi HMC 902147. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé :
Concerto pour piano n°22 : [III] Allegro
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Wolfgang Amadeus Mozart : Piano Concertos No 16 (K.453) & No 22 (K.482) | Wolfgang Amadeus Mozart par Kristian Bezuidenhout
Illustrations complémentaires :
Nota sur le tableau de Pietro Fabris : les deux claviéristes sont, selon toute vraisemblance, Léopold et Wolfgang Amadeus Mozart, présents à Naples durant l’été 1770. Le violoniste à droite de la figure centrale (de dos) est Gaetano Pugnani (1731-1798).
Hieronymus Löschenkohl (Elberfeld, 1753-Vienne, 1807), Silhouette de Mozart, 1785. Gravure sur cuivre, Vienne, Mozarthaus (© Wien Museum)
La photographie de Kristian Bezuidenhout, tirée du site de l’artiste, est de Marco Borggreve.
La photographie du Freiburger Barockorchester est de Gudrun de Maddalena.
