Alors que s'ouvre aujourd'hui le débat national sur la transition énergétique (DNTE), la ministre de l'écologie a indiqué dans un entretien au journal Les Echos : "Le point d’arrivée n’est pas écrit d’avance." Une affirmation à nuancer s'agissant d'un débat trés encadré.
Une loi de programmation
Dans ce même entretien au quotidien Les Echos, la ministre de l'écologie déclare :
"A l’issue du débat, il y aura des recommandations sur la base desquelles le gouvernement rédigera la loi de programmation pour la transition énergétique"
Le point d'arrivée du débat national sur la transition énergétique sera celui-ci : une loi de programme. Cette précision n'est pas que de pure forme : elle donne d'ores et déjà une indication importante sur le contenu des décisions qui seront prises par l'Etat à l'issue des échanges qui devraient être organisés jusqu'au mois de juin 2013.
Qu'est ce qu'une "loi de programmation" ou de "programme" ? Pour le savoir rapidement, il est notamment possible de se reporter au lexique mis en ligne sur le site internet de l'Assemblée nationale :
"LOI DE PROGRAMME : Décrit les objectifs que se fixe l'État dans un domaine (enseignement, dépenses militaires...) pour les années à venir, et les moyens financiers qu'il envisage d'y consacrer. Cependant, les crédits correspondants ne peuvent être ouverts que par une loi de finances."
Cette définition est utile. Ainsi, si le DNTE pourra bien sûr porter sur les moyens financiers que l'Etat devra consacrer au financement de la transition énergétique, ce n'est donc pas la loi de programmation annoncée qui pourra définir les crédits alloués à cette fin. Il faudra attendre la loi de finances. Celle pour 2013 aura déjà été votée. Quant à celle pour 2014, il est fort probable que sa rédaction voire son examen aura déjà été engagé avant le vote de la loi de programmation qui fera suite au DNTE.
On se souvient que la loi de programme relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement n'a été promulguée que le 3 août 2009 alors que le Grenelle lui-même s'était achevé le 26 octobre 2007, soit deux ans auparavant. De deux choses l'une : soit le Gouvernement attend le vote de la loi de programme post DNTE pour engager les finances publiques sur la transition énergétique, soit il n'attend pas et l'on peut alors s'interroger sur l'utilité de recourir à une loi de programme qui est en principe un préalable et non une suite.
La consultation de la charte du DNTE apporte un éclairage supplémentaire :
"Le débat doit, à son terme, produire des recommandations que le gouvernement s’engage à intégrer dans la préparation du projet de loi de programmation pour la transition énergétique qui sera présentée au débat et au vote du parlement avant octobre 2013".
La loi de programmation ne devrait donc pas être votée avant fin 2013. Même en utilisant la procédure accélérée, la loi ou les actes administratifs (décrets, arrêtés...) qui permettront la mise en oeuvre des objectifs de la loi de programmation ne pourront intervenir, au mieux, avant mi 2014. Dans le meilleur des cas car ce calendrier paraît très ambitieux.
Bien sûr, s'en remettre au lexique de l'Assemblée nationale ne saurait suffire. Il est donc utile de se reporter à l'article 34 de la Constitution de 1958 :
"Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État".
Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques."
On se reportera également à l'article 70 de la Constitution, lequel précise :
"Le Conseil économique, social et environnemental peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental. Le Gouvernement peut également le consulter sur les projets de loi de programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques. Tout plan ou tout projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental lui est soumis pour avis."
Ces dernières dispositions sont intéressantes à deux titres : d'une part, elles permettent d'identifier des lois de programmatioj à caractère environnemental. D'autre part, cet article 70 précise que le CESE doit être consulté pour avis sur les lois de programmation, notamment environnementales. Une catégorie dans laquelle la loi de programmation post DNTE devrait entrer sans peine. Il est donc indispensable que le CESE soit pleinement associé tout au long du DNTE pour prévenir un éventuel avis négatif et ce d'autant plus que les associations de défense de l'environnement y sont mieux représentées depuis le Grenelle de l'environnement.
Une loi de programme/de programmation ayant pour objet de fixer des objectifs généraux, sa valeur normative est généralement faible voire nulle.En ce sens, annoncer une loi de programmation permet aussi de ne pas s'engager sur des mesures de fond, précises et contraignantes. Toutefois, il est exact que la dernière grande loi de programme spécifique à l'énergie - la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) - laquelle faisait déjà suite à un débat conclut par un "comité des sages" comportait des dispositions à valeur normative.
La loi de programmation relative au DNTE ne sera pas nécessairement qu'une déclaration d'intention, elle pourra avoir une valeur normative mais une chose est certaine : elle aura pour fonction première de définir des objectifs.
Des objectifs déjà définis ?
Dés l'instant où l'instrument choisi pour conclure le DNTE est une loi de programmation, le débat qui s'ouvre a nécessairement pour objectif premier de définir des objectifs. La question des moyens financiers interviendra plus tard.
Or, ces objectifs sont déjà, au moins en partie, écrits.
En premier lieu, le projet de charte qui doit permettre d'encadrer le débat le démontre puisqu'il précise dés son introduction les objectifs du débat. Le premier objectif est au demeurant un objetif pédagogique : "Ce débat vise à éclairer la Nation française sur les fondamentaux énergétiques et les raisons d’être de la transition énergétique (...)".
En second lieu, le Gouvernement, depuis son installation en juin 2012, a déjà pris toute une série de décision et réalisé des déclarations qui donnent préemptent les objetifs qui pourront être fixés au terme des débats, a fortiori lorsque les déclarations ont été réalisée par le Président de la République lui-même. La charte du débat rappelle d'ailleurs "la décision du gouvernement de ramener en 2025 de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité dans notre pays, et le besoin de sécurité d’approvisionnement."Sur le nucléaire, comme au demeurant sur les gaz et huiles de schiste, le Chef de l'Etat et le Gouvernement ont déjà pris position dans le but, sans doute, d'éviter une focalisation du DNTE sur ces deux sujets. Au risque aussi de priver le DNTE d'une partie de son utilité tant ces deux sujets sont majeurs.
Sur le nucléaire : non seulement l'objectif de réduction a déjà été défini et il ne sera donc pas question de la sortie immédiate réclamée par certains mais, en outre, les moyens d'y parvenir sont déjà définis : la fermeture de la centrale de Fesenheim en 2016. Sur les gaz de schiste, le Gouvernement n'en interdit pas l'exploration ou l'exploitation mais la conditionne à un dépassement de la technique de la fracturation hydraulique sans que l'on sache encore à partir de quel moment une technique pourra être considérée comme moins polluante.
S'agissant des énergies renouvelables, le Gouvernement a également adopté des positions fermes avant même que ne soit engagé le DNTE. Concernant l'éolien, la ministre de l'écologie a précisé que le classement ICPE des éoliennes ne serait pas remis en cause. Aucun arrêté tarifaire ne sera rédigé alors que l'annulation de l'arreté de 2008 ne fait pas grand doute. Quant aux mesures d'urgence qui devaient être adoptées, elles attendront en même tems que la proposition de loi Brottes. S'agissant d'énergie solaire, la ministre a également confirmé le dispositif mis en place par le Gouvernement précédent et une série d'arrêtés devrait intervenir dans les jours prochains en ce sens. Le mécanisme des appels d'offres et le principe d'une baisse régulière des tarifs d'achat seront ainsi confirmés. Sur l'ouverture à la concurrence des concessions d'hydroélectricité, le Gouvernement a également fait savoir qu'il recherchait un "scénario alternatif".
S'agissant de la fiscalité écologique, là aussi, le débat est en partie préempté. Le Gouvernement a constamment rappelé son opposition à une taxe carbone. La "contribution climat énergie" constituait pourtant l'une des pistes privilégiées en 2007, lors du Grenelle de l'environnement. Rouvrir ce chantier serait utile. A la place, créer de nouvelles "niches fiscales" paraît peu probable en ces temps de rigueur budgétaire.
En troisième lieu, les objectifs de notre politique énergétique sont en réalité fixés .... au plan européen. La charte du DNTE le rappelle "Ce débat vise à éclairer la Nation française sur les fondamentaux énergétiques et les raisons d’être de la transition énergétique rendue nécessaire par les engagements européens et internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (...)".
C'est un fait, les objectifs qui seront fixés dans la loi de programmation post DNTE ne pourront pas être contraires ou moins ambitieux que ceux définis au plan européen. Rappelons le : la France est soumise à ses engagements européens. Espérons que cela sera constamment rappelé lors du débat pour ne pas entreteir l'illusion du village gaulois.
En quatrième lieu, le Gouvernement a déjà "congelé" un principe qui va considérablement contraindre le débat national sur la transition énergétique. Ce principe est même inscrit dans la feuille de route de la conférence sociale de juillet 2012 : l'énergie doit demeurer bon marché" :
"un prix modéré de l’énergie est un avantage comparatif de la base industrielle France et cet avantage doit être conservé"
Dans le fil de cette position, 465 millions d'euros ont été engagés pour tenter de réduire temporairement le prix des carburants.
Or, tout l'enjeu est, à l'inverse, d'admette que l'énergie ne peut plus être bon marché. Et que cela peut constituer une opporunité. Cela représente une condition du changement de modèle énergétique.Pourtant, l'un des risques du débat tient à ce que l'Etat tente, comme il l'a déjà fait par le passé, de justifier un refus de changer de modèle au nom du prix de l'énergie. Le Premier ministre, lors de la conférence environnementale de septembre 2012 a déjà annoncé que la CSPE serait à l'ordre du jour du DNTE. Nul doute que l'occasion sera saisie par les tenants du nucléaire de tenter de démontrer que les renouvelables pèseraient sur le pouvoir des ménages..
Un débat inutile ?
Faut-il conclure de ce qui précède que le DNTE est inutile ? Que son issue sera la même que celle des grands débats sur l'énergie organisé en 1994, 2003 et 2007 ? Pas nécessairement. Comme pour tout débat, les acteurs en présence peuvent tenter de créer un rapport de force, de mobiliser médias et opinions publiques. Certes, l'organisation trés complexe du débat et la dilution des expressions dans une mosaïque de sept organes doit permettre de "pacifier" le débat.
Mais il appartient cette fois-ci aux entreprises, aux professionnels de l'énergie de s'exprimer, quelle que soit la place qui leur serait réservée au sein des lieux de débats officiels.
Arnaud Gossement
Avocat associé