Magazine Culture

[Feuilleton] « Avec la peau d’une autre vie » de Claude Mouchard, 9/12

Par Florence Trocmé


 
......... 
27 octobre 2012 : dans le tram (après le train retour de Paris), minuit et quelques. 
En face de moi, un jeune homme au visage ... d’Inca (selon les images plutôt conventionnelles que je peux en avoir). Peau un peu cuivrée. Cheveux noirs plats. Nez modérément busqué. Quelque chose de convexe dans son visage calme. 
Il s’absorbe dans la lecture d’une sorte de tableau graphique qu’il a sur les genoux (lignes et colonnes, couleurs...). 
Voici que de, l’autre côté du passage central, quelqu’un fait, en silence, des gestes dans sa direction. Il faudra du temps à mon vis-à-vis pour s’en apercevoir ; ou bien, me suis-je dit quelques minutes plus tard, peut-être essayait-il de ne pas remarquer ces gestes à lui destinés, de paraître ne pas avoir vu celui qui s’agite, afin de lui échapper... 
Soudain l’homme qui se dépensait en signes des mains lui adresse la parole. Ils se connaissent, apparemment. Celui qui maintenant parle à très haute voix est un français d’au moins 60 ans. Il porte une veste kaki, il a des tennis bleu ciel. Son visage est rouge. Il pérore, il s’enflamme. Il fait allusion à une situation, de lui, ou plutôt d’eux deux, connue, où l’homme jeune aurait été ou aurait pu être humilié – en tant qu’ « Amérindien » (l’homme rougeâtre emploie ce mot).: « Il faudrait me le dire ! Je ne supporte pas ça ! »  
L’homme jeune, très calme, n’arrive pas à faire entendre ses dénégations, dites trop doucement (avec un accent espagnol). Il a manifestement honte du bruit que fait son interlocuteur. Mais l’homme âgé reprend, généralise, théâtralise. Il s’emporte contre les violences qu’ont commises les Espagnols sur les « Améridiens » Et puis il évoque les colonisateurs en Afrique, et son dégoût à leur endroit. Bientôt, il revient aux Espagnols : « des criminels ! » crie-t-il ... L’homme jeune proteste doucement: « c’est du passé, on ne peut pas continuer à... » Et puis il laisse tomber ... avec un sourire imperceptiblement las ; sa voix s’éteint. 
Je me suis bien gardé de paraître entendre les propos de l’homme âgé. L’aurais-je seulement regardé, il est probable qu’il aurait essayé de m’inclure dans son jeu, dans son auto-mise en scène. 
Étais-je, me disais-je en l’entendant malgré moi, d’accord « sur le fond » avec sa diatribe ?  
Ma répulsion, immédiate, ne venait-elle que de ses manières de dire et de se conduire ? Traduisait-elle une différence de statut réelle-imaginaire...  entre ce type... peut-être un ancien instit ou prof ? ... et moi ... qui me prend pour quoi ? 
Le tram ne va pas à son terminus (travaux) et déverse tout le monde sur un trottoir. 
Non, me suis-je dit dans la rue : ne relativise pas ; il y a bien là une version maladivement vaniteuse de la prétendue attention ou générosité à l’égard des (ex)opprimés. 
« Et toi, me suis-je dit, que fais-tu ? » 
Le pont en plein vent. Nausée de doutes en passant au-dessus de la Loire qui écume dans la nuit brusquement – après des jours de tiédeur – glaciale. 
......... 
Rien d’autre à faire que de continuer, malgré le vent et les grêles de doute, à parcourir les étendues boueuses et instables du possible – tout en reconnaissant les zones d’incompatibilités ou, soudain, tel fossé où s’effondrer d’impuissance.  
......... 
Cependant, ce jour d’automne 2011, quand il est revenu de la Préfecture..., 
quand, s’asseyant face à moi dans la cuisine (vapeur de cuisson), il m’a appris le refus qu’il venait (par une brusque rupture de ce qui, au fil des mois, avait  paru devenir une habitude) d’essuyer de la part d’une épaisse fonctionnaire jouissant de mettre en œuvre le « durcissement » intimé par Guéant et par un répugnant secrétaire de Préfecture :  celui du renouvellement de son permis de séjour de trois mois, 
alors 
ah 
l’entre nous... non : l’entre tous... là... sur place...  ne fut plus que Grünewald 
vallée de boue verte toxique 
au goût, à jamais, 
de haine humaine 
 
.......... 
 
Quelle rage, soudain ... ? attaquant d’où ... ?  et mordant où ? 
Se trouver par elle brutalement pris à revers...
 
Arrachées-révulsées, alors, les moindres sensations..., échevelées inondées de nappes de filets de sang et pleines de bouts de peau ou de graviers noirs-fécaux... 
épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8,  
suite lundi 3 décembre novembre 2012 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines