Magazine Culture

"Emmaüs" d'Alessandro Baricco

Par Secriture @SEcriture

 

 

Quatre garçons, une fille : d’un côté, le narrateur, le Saint, Luca et Bobby, et, de l’autre, Andre. Elle est riche, belle, et elle distribue généreusement ses faveurs ; ses parents, eux, sont des parvenus qui ne croient qu’au travail et à l’argent. Quant aux quatre garçons, ils ont dix-huit ans comme elle, mais c’est là leur seul point commun. Car ils sont avant tout catholiques, fervents voire intégristes. Musiciens, ils forment un groupe qui anime les services à l’église, et ils passent une partie de leur temps à rendre visite aux personnes âgées de l’hospice, les «larves». Alors qu’elle incarne la luxure, Andre les fascine, ils en sont tous les quatre amoureux. La tentation est forte, mais le prix à payer sera lui aussi considérable.

Roman intime et habité par une authentique douleur, Emmaüs est un texte à part dans l’œuvre d’Alessandro Baricco, sans doute le plus personnel à ce jour.

Naturellement nous allons en cours, tous les jours. Mais ça, c'est une histoire d'avillissement dégradant, et de vexations inutiles. Rien à voir avec ce que nous nous sentons de définir vie.

L'enfer c'est les autres, dirait Sartre. Et pourtant. Le lecteur se trouve comme piégé dans la tête du narrateur, qui nous ballade dans le passé, le présent, voire même le futur parfois. Ses attentes, ses doutes, ses souvenirs, tout est décrit, analysé, dans une quasi confusion. Ses pensées secrètes ne le sont plus. Des paroles dissolues qui forment un ensemble vaporeux. L'histoire d'une vie, qu'il traverse tel un spectateur, jusqu'à ce que ce soit son tour de jouer un rôle dans le grand théâtre de la réalité.

Il en résulte une sorte d'oralité (tout de même soignée dans le fond, le contenu, mais visible dans la forme, notamment la ponctuation). Ce "journal de bord", ce carnet de pensée, est rythmé tel un métronome : des anaphores, des ellipses... Tout est mis en place pour installer le lecteur dans un confort illusoire. Il se sentirait presque bien dans ce roman, comme chez lui, écrivant son propre journal.

Pourtant, c'est bien un roman de souffrance et de mystères, presque malsains. Deux mondes s'opposent, comme dichotomie du bien et du mal, alors que finalement, qui sont les méchants ? Qui sont les gentils ? Ils se mêlent, s'entremêlent. Le mal corrompt le bien, en tire une jouissance sadique. Il s'en fout. C'est comme ça. C'est la vie, on n'y peut rien. 


Peu importe les paroles crues, la sexualité inhérente. Peu importe la dure réalité. Le narrateur la subit cette vérité. Il vit à son rythme, comme bercé par un ouragan. Un saut dans le vide, sans savoir ce qui vient ensuite.

Et puis il y a Dieu. Cet être omniprésent, maître spirituel de nos quatre "héros". Le narrateur y fait sans cesse référence. Et pour cause, la jeunesse abusée et désabusée se cache derrière les dogmes religieux pour se sentir exister, investie d'une mission : aider les autres pour, espérons-le, s'aider soi-même. Le narrateur se rend bien compte de la vanité de ses propres croyances. Comme transformée, sa perception des choses devient plus difficile, presque floue. Qu'a-t-il fait pour en arriver là ? Peut-il s'en sortir ? Si la preception n'est que faux-semblant, alors sortir de la caverne des illusions peut-il aider à y voir plus clair ?


Et puis il y a Andre. Cet être omniprésent, maîtresse des âmes esseulées, si tant est qu'elle n'en soit, elle-même, pas une. Spectre quasi matériel, fille quasi immatérielle, elle traverse le récit comme un ange passerait au-dessus des cieux. Elle embarque les quatre garçons dans une déchéance dont ils ne sortiront pas indemnes.

Récit de souffrance, d'intimité et d'espoir, Emmaüs décrit la vie comme une fille facile, aux moeurs légères qui éveillent chez la jeunesse des désirs inavoués. Bref, il vaut la peine d'être lu ; il vaut la peine d'être vécu.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Secriture 741 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines