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Les zombies sont partout

Publié le 03 décembre 2012 par Fredlafortune

Alors que «Walking Dead» fait un carton, Maxime Coulombe et Martin Page le confirment: si les zombies sont partout, c’est parce qu’ils nous permettent d’assister à la destruction du monde.

Un zombie dans

Un zombie dans “Walking Dead”, série à succès dont la troisième saison entre dans sa trêve hivernale. (AFP/Images Forum)

Gardons-nous bien de désigner la personnalité culturelle de l’année. Elle pourrait avoir une apparence surprenante: costume élimé couvert de sang sec, peau grise, yeux rouges et langue pendante. Les zombies sont partout. En leur honneur, des dizaines de milliers d’adorateurs maquillés ont organisé ces dernières semaines des zombie walks à Singapour, Mexico City, Berlin ou Toronto. Partout où elle passe, l’excellente série «Walking Dead» dévore les audiences. La saga zombicide «Resident Evil», moins excellente, en est à son 23e épisode sur consoles de jeux vidéo, et à son 5e au cinéma. Et on attend en juin 2013 la sortie du monumental «World War Z», adapté du best-seller de Max Brooks, où Brad Pitt se dressera seul contre un véritable tsunami de zombies.

Il fallait bien qu’un savant explique cette étonnante obsession. Dans «Petite Philosophie du zombie», le sociologue Maxime Coulombe tente de montrer que le zombie a quelque chose de profond à nous grogner. Il déploie la panoplie, maligne mais un peu routinière, de la sémiologie pop. Convoquant Freud, Benjamin ou Agamben, il explique que le mort-vivant est la déclinaison de «l’individu frappé par un drame», de l’homme du 11-Septembre, du toxicomane, de l’accidenté, du malade d’alzheimer. Mieux encore: il est «un pan de notre condition contemporaine  et exprime cette «corrosion progressive du caractère, produite par le rythme de l’Occident», ce dont, à vrai dire, on ne doutait pas.

Les zombies sont partout

Dans “Walking Dead” (AFP/Image Forum)

Lointain cousin du mvumbi congolais ou duzan bibi ghanéen, le zombie sort de terre en Haïti, comme une métaphore de l’esclave christianisé. En 1968, grâce à George Romero et son inaugurale «Nuit des morts-vivants», le monstre vaudou devient une satire de l’homme occidental, créature errante à l’appétit machinal.

L’homme, un zombie pour l’homme? L’idée n’effraie plus le spectateur nihiliste des années 2000. Privé de son alibi critique et antimoderne, le genre s’est enfermé dans sa propre parodie, lui qui était déjà largement parodique. A un tel degré de redondance, quel est ce charme que nous persistons à lui trouver? Maxime Coulombe aurait gagné à aller plus rapidement au coeur du problème. Il y arrive tout de même, lorsqu’il évoque le moteur fondamental du récit de zombie: «Le désir d’assister à la destruction du monde.»

L’art français du zombie

L’expression sans détour de ce fantasme pour dépressif, c’est la grande qualité de «La nuit a dévoré le monde». Malgré son horrible titre, cette merveille d’humour et d’ironie, écrite par un certain Pit Agarmen (pseudonyme et anagramme de l’astucieux Martin Page), raconte l’invasion zombie dans la belle langue pessimiste de notre tradition littéraire. Antoine, écrivain pauvre et méprisé, s’endort pendant une soirée chic à laquelle il n’est qu’à moitié invité. Quand il se réveille, les cadavres jonchent le parquet. Les zombies titubent dans Paris, sans «autre plan que de nous bouffer jusqu’au dernier».

Il décide de ne pas quitter ce duplex qu’il n’aurait jamais pu se payer. Pour passer le temps, il s’installe sur le balcon avec un fusil et aligne les zombies, ou s’occupe d’un rosier en buvant des infusions de sauge. Un temps, il songe bien à se laisser contaminer par les monstres, à «céder au conformisme». Mais au bout du compte le monde est enfin vide et il y est heureux. Les zombies «ont plutôt été une bénédiction». Grâce à eux, il ne sera plus cette «tache sur les lunettes» des «arrivistes sociaux-démocrates». Il n’aura plus à supporter l’arrogance de son amie Stella ni ses disques, où elle remixe les «Variations Goldberg» «en duo avec un joueur de thérémine». Les zombies l’ont libéré de «la civilisation et des cocktails-parties».

Les films de l’époque Romero se finissaient sur la mort des survivants. Depuis «28 Jours plus tard» de Danny Boyle, résurrection du genre en 2002, ils racontent au contraire leur ré-occupation du monde, devenu paradoxalement plus vivable. Finalement, l’invasion des zombies est une apocalypse confortable. Les morts-vivants avancent avec une lenteur calculée. On peut toujours leur échapper, trouver un refuge dans la ville intacte, piller ses ressources et abattre ses habitants sans remords, sous prétexte qu’ils ont l’air un peu plus stupides que nous. La zombification du monde est l’utopie des misanthropes.

David Caviglioli

Source: Le nouvel observateur


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