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Pastoralisme et ours : un autre regard

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Par Alain Reynes, président de Pays de l'Ours-ADET

Alain Reynes, directeur de Pays de l'Ours -ADET
Alain Reynes, directeur de Pays de l'Ours -ADET La mortalité du bétail est un des sujets les plus tabous qui soit chez les éleveurs. Admettre que l’on perd des bêtes, c’est reconnaître ses lacunes et prendre le risque de passer pour un mauvais éleveur. Aussi n’est-il pas rare d’entendre un éleveur affirmer qu’il n’en perd aucune, ou si peu… sauf celles tuées par l’ours ! En effet, celles là sont non seulement reconnues, mais aussi revendiquées, médiatisées, et même souvent largement exagérées.
C’est à croire que l’ours est la seule cause de mortalité de brebis dans les Pyrénées…
Chaque année, de mai à octobre, la litanie des bêtes qu’il a prétendument égorgées se propage tel l’écho, de cabane en vallée, de journal en radio.
Bien sûr, il faut bien déclarer les dégâts pour être indemnisé. L’ours étant réputé être « le meilleur maquignon » (entendez par là, celui qui paie le meilleur prix), mieux vaut essayer de les lui imputer plutôt qu’à toute autre cause non indemnisée.
Mais l’argent n’est pas tout. A l’inverse de toutes les autres causes de mortalité, perdre des bêtes du fait de l’ours n’atteint pas la fierté de l’éleveur. Il ne cherche donc pas à le cacher, comme il le fait pour les autres. Qui sait en effet que le plus grand prédateur des brebis en montagne n’est ni l’ours, ni même le chien, mais l’asticot !? (NDLB : lire les articles proposés en fin de note) Une brebis blessée non soignée n’a en effet que quelques jours à vivre si les mouches envahissent les plaies et y pondent leurs œufs.
Wolfarthia magnifica
Wolfarthia magnifica, la mouche qui pond ses oeufs
sur les muqueuses ou les blessures des brebis en estives.
Se faire prendre des brebis par l’ours n’atteint donc pas l’orgueil de l’éleveur de la même manière. L’ours, rusé, sait déjouer la vigilance du berger qui trouve là un « ennemi honorable » contre lequel il peut reconnaître perdre parfois sans se sentir rabaissé. D’ailleurs, l’ours est assez bon connaisseur pour toujours prendre les plus belles bêtes, tout berger vous le confirmera. Ainsi les interventions médiatiques estivales répétées contre les attaques d’ours traduisent-elles également, paradoxalement, un statut culturel positif.
Les autres causes de mortalité, pourtant donc largement majoritaires, sont finalement à ce point étouffées que d’aucun ne connaissant pas la réalité de l’élevage pyrénéen peut croire qu’il n’y a pas d’autre perte en montagne que celles dues à l’ours. Pour avoir une vision globale de la mortalité domestique annuelle dans les Pyrénées, il faut donc enquêter, dénicher et recouper des bribes d’informations jamais mises en avant. Il est pourtant possible d’estimer sérieusement, tant la mortalité estivale que les brebis récoltées par les services de l’équarrissage.

La mortalité en estives

Selon un représentant des éleveurs témoignant en 2003 sous serment devant la commission d’enquête parlementaire sur le pastoralisme, elle est estimée de 3 à 5% des troupeaux. Cela représente donc 18.000 à 30.000 pertes par été sur les 600.000 brebis présentes en montagne dans les Pyrénées. 
Ces animaux meurent de chutes (individuelles ou collectives), de maladies, de parasites, de prédations (asticots, chiens…), de la foudre, et sont abandonnés aux vautours qui assurent un rôle sanitaire important, évitant la propagation des maladies. De nombreuses bêtes seraient également volées, sans pour autant que ce phénomène soit quantifié.

La mortalité sur les exploitations

Les bêtes mourant sur les exploitations sont en principe confiées à l’équarrisseur, qui en assure l’enlèvement et le traitement. La société assurant l’équarrissage dans le sud-ouest précise sur son site internet collecter ainsi chaque année en moyenne 150.000 ovins-caprins sur 14 départements! 
Une simple règle de trois en fonction du nombre de bêtes par département permet de rapporter ces chiffres aux départements pyrénéens, soit 25.000 à 30.000 brebis mortes sur les exploitations collectées annuellement par l’équarrisseur.

Nous ne sommes plus là dans les mêmes sphères que les dégâts d’ours, et cela ne fait pourtant jamais la une des médias.
Au total, la mortalité des élevages pyrénéens représente donc au bas mot 50.000 bêtes par an et, comparée aux 150 à 200 brebis tuées par les ours, on comprend que les éleveurs n’en fassent pas grande publicité. Curieusement, les représentants des éleveurs et autres associations anti-ours n’ont jamais contesté notre estimation, alors que nous avons communiqué à plusieurs reprises sur ce sujet. Mais il faudrait pour cela qu’ils avancent leurs propres chiffres qui, même en les minimisant, n’auraient aucune commune mesure avec les dégâts d’ours.
A force d’information du public et des journalistes, la faiblesse de l’impact de l’ours sur le bétail est maintenant un fait reconnu, même si quelques médias avancent encore le contraire, parfois sous la pression d’un lobby anti-ours insistant.

L’argument des pertes insupportables passant ainsi de plus en plus mal, les anti-ours en développent un autre, moins concret, donc moins évaluable : ce ne serait pas tant les pertes directes qui seraient préjudiciables, mais les effets indirects : affolement, désorganisation des troupeaux, stress, avortements.

Bien entendu, quand un troupeau s’affole, quand des brebis avortent, c’est obligatoirement le fait de l’ours !

« dans 90% des cas, les avortements chez les ovins sont d’origine infectieuse »

Il y a quelques années, des brebis ayant prétendument avorté de stress suite à une attaque d’ours ont été examinées par des vétérinaires. Le verdict fut sans ambigüité : elles étaient envahies de parasites et leur état sanitaire était à l’évidence la cause de la perte des agneaux. La documentation spécialisée et des vétérinaires nous ont depuis confirmé que dans 90% des cas, les avortements chez les ovins sont d’origine infectieuse.
Reste le stress… aussi facile à évaluer que la pénibilité du travail pour le calcul des retraites. Selon les rares observations directes connues, une attaque d’ours est moins violente qu’on l’imagine : l’ours approche lentement, de nuit, il rattrape la brebis la plus proche d’un court sprint, la tue d’un coup de patte qui lui brise la colonne vertébrale, puis la consomme alors que le reste du troupeau demeure à quelques dizaines de mètres.

Les éleveurs témoignant avoir trouvé des bêtes affolées par l’ours n’ont curieusement jamais assisté à la prétendue attaque. L’affirmation que « seul un ours a pu provoquer cela » révèle l’image qu’ils ont de l’ours et ne vise qu’à créer ou entretenir une réputation largement surfaite de bête féroce et sanguinaire.

Or, les 150 à 200 brebis tuées par la vingtaine d’ours présents dans les Pyrénées ne représentent finalement qu’une brebis tuée par ours et par mois en moyenne (hors hibernation, bien sur). Pas exactement un tueur frénétique.
Bref, l’ours n’est pas le fléau pastoral que certains décrivent et personne n’a jamais relevé notre défi de montrer, comptabilité en main, qu’une seule exploitation pyrénéenne aurait disparue de son fait.
Mais allons au-delà : quel est l’apport de l’ours au pastoralisme pyrénéen ? Depuis plus de trente ans, des associations, notamment le FIEP en Béarn, et l’Etat ont développé un ensemble de mesures favorisant la cohabitation élevage – ours dans les Pyrénées. Sans reprendre ici l’historique détaillé, force est de constater que la présence de l’ours a permis de mobiliser des moyens considérables en faveur de l’élevage de montagne, dont les bénéfices dépassent largement les inconvénients créés par la présence de l’ours.
Ainsi, en zone de présence d’ours dans les Pyrénées :

  • L’embauche de bergers est subventionnées à 80%, et parfois plus ;
  • L’achat et l’utilisation de chiens de protection, dont l’efficacité est démontrée, sont financés à 100%, y compris les frais de nourriture et l'accompagnement par des techniciens ;
  • Le transport de matériel pastoral par muletage et héliportage est subventionné à 100% ;
  • L’achat de parcs de protection est financé à 100% ;
  • La réfection de cabanes est subventionnée à 80, voire 90% ;
  • Des radios et téléphones sont mis à disposition des bergers gratuitement ;
  • Les éleveurs peuvent valoriser leurs produits grâce à des initiatives spécifiques, tant pour les fromages en Béarn que pour la viande en Pyrénées centrales

Et cela grâce à l’ours ? Oui, incontestablement, même si les organisations agricoles font tout pour casser ce lien, dans le but que ces aides perdurent si, par malheur, l’ours disparaissait un jour.
Malheureusement, tout cela s’est construit dans l’opposition et l’adversité. Plus les opposants tapent sur l’ours, plus ils obtiennent d’aides … et ils ont bien compris que, la loi européenne protégeant l’ours, la source ne risquait pas de se tarir.
Il faudra pourtant bien trouver les moyens de changer cette relation ambigüe et perverse sur laquelle on ne peut construire sereinement et durablement. Pourquoi finalement ne pas assumer ensemble cette idée moins paradoxale qu’il n’y parait et respectant chacun dans son identité et ses convictions : l'ours est l'allié du berger, même s'il n'en est pas l'ami...
Alain Reynes

Paru dans la gazette des grands prédateurs n°42


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