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Annette Messager, Black Continents – Continent Noirs

Publié le 05 décembre 2012 par Memoiredeurope @echternach

Annette Messager, Black Continents – Continent Noirs

Le corps est un continent noir, intérieur, fantasmé. L’espace est un continent noir, extérieur, imaginé. Et nous sommes aspirés par ces continents inconnus, poussés à choisir entre l’un et l’autre, l’un contre l’autre. Corps présent. Trop présent. Présenté en éclats, en morceaux, en bouts, en puzzle. C’est lui que nous choisissons dans le labyrinthe qui nous est imposé. Comment faire autrement ? Mais c’est pourtant l’espace qui nous reste, une fois que nous avons échappé à la puissante présence corporelle, quand nous en avons réchappé, un fois quitté l’espace d’exposition, là où tout est truqué, où nous avons changé d’échelle, un instant, changé de monde, quelques minutes, changé d’état d’esprit pour la vie.

L’exposition que les Musées de Strasbourg ont offerte à Annette Messager se présente comme un grand bricolage. Comme un espace consacré à un musée personnel : un cabinet de curiosités composé en forme de cauchemar.

Des épisodes de vie tentent de respirer au plafond comme d’énormes chauves-souris malades ou comme des vampires exsangues. D’autres soupirent tout bas, au sol, en tentant de cacher des objets épars sous un voile qui ne demande qu’à s’envoler pour laisser voir la vérité. D’autres enfin plient et se tordent sous le vent, entre nous, avec nous, malgré nous. Qui va faire le ménage avec tous les balais qui nous sont offerts ?

Ici et là, des mots en filet noir, toujours noir, encore noir, comme des pensées que l’on souhaite cacher, parlent de l’ego : des désirs, des jalousies, de la chance qui pourrait venir, finalement !

Nous sommes tout petits. Nous ne sommes que des visiteurs temporaires, comment autrement ? On nous suggère que la clef est à chercher du côté de Swift. Pourquoi pas ? «L'empereur et toute la cour sortirent pour nous voir ; mais les grands officiers ne voulurent jamais consentir que Sa Majesté hasardât sa personne en montant sur mon corps, comme plusieurs autres avaient osé faire.» Sommes-nous les sujets d’Annette, ses troupes, ou bien encore ses jouets, mêlés à ceux qui sont exposés et qu'elle nous expose ? Des poupées dans une armoire à chaussures, des cotons colorés dans une boîte à démaquillage ?

Annette Messager, Black Continents – Continent Noirs

Les visiteurs faisaient la queue, ce dimanche d’octobre où je me suis joint à la foule, en traversant le pont couvert. Ils le faisaient comme tout le peuple de Lilliput effrayé et fasciné qui voudrait piquer, titrer, se repaître de l’étrange corps monstrueux.

L’exposition est encore face à moi jusque début février. J’aperçois, de la place où j’écris, les chiffres bleus de Morellet qui désignent sa vie en approches mathématiques sur la façade du musée d’art moderne. Je peux donc rêver que les œuvres dialoguent dans la nuit : continents bleus pétris de logique contre continents noirs habités de désirs hystériques. Ce n’est pas un dialogue, il est vrai, mais un combat entre ciel et terre, anges et démons. Peut-être que les conservateurs l’ont voulu ainsi ? Peut-être pas ? Dans tous les cas, je les entends d’ici : c’est seulement aujourd’hui que tu nous écris ?

J’ai rencontré Annette Messager ici et là. Parmi tous les démons du Quai Branly où sa poupée était prise par des filets inextricables et dans la fosse du Centre Pompidou où elle faisait tourner sans fin, sur un rail improbable, un Pinocchio qui ressemblait à un chef d’état perdu au milieu des traversins. Mais les chefs d’états ne sont-ils pas tous perdus aujourd’hui devant la marée noire que l’artiste nous prédit ?

"Je suis la colporteuse de chimères, la colporteuse de rêves simiesques, des délires arachnéens. Je suis la truqueuse, la truqueuse des photos repeintes, des agrandissements d'images, des lentilles déformantes. Je suis la menteuse, la messagère des fausses prémonitions, des amours douteux, des souvenirs suspects, la dompteuse des araignéees de papier".

C’est elle qui le dit et plus encore, elle nous fait partager ses mensonges et nous laisse nous dépêtrer de ses toiles d’araignées. En sortant, nous grandissons ! Pour combien de temps ?

Jusqu'au 3 février 2013. Musée d'art moderne et contemporain, Strasbourg.


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