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[note de lecture] "Écrivain, et à part ça, vous faites quoi ?", revue 303, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé


 
123_grandeLa revue 303 est un observatoire de ce qui advient sur le plan des beaux-arts, de la recherche ou de la création contemporaine dans les Pays de la Loire, elle est financée par la région, et moult thématiques ont été abordées depuis son origine. Le numéro ci-présent a été conçu par l’écrivain Eric Pessan, qui s’est appuyé sur une question adressée régulièrement aux écrivains, « et à part ça, vous faites quoi ? », dont Brigitte Giraud se fit l’écho courroucé lors d’un colloque en 2006, laquelle question est souvent porteuse, de la part de son émetteur, de maladresse, de dédain, d’ironie ou de mépris quant à la nécessité d’écrire, le métier d’écrire, ou le choix de vie en écriture, et laquelle question fâche les écrivains, bien entendu, qui voient alors leur activité d’écriture considérée comme un loisir, ou une activité secondaire, une portion congrue du vivre, quand celle-ci relève et participe, chez la plupart, du questionnement ontologique. Afin que la question ne soit pas un catalogue non exhaustif des auteurs nés en Pays de la Loire ou y résidant, l’auteur du numéro a diversifié les approches, et par là, a su non seulement rendre ce numéro attractif et instructif mais aussi en faire l’écho à l’essai de Bernard Lahire, La Condition littéraire, sous-titré « La double vie des écrivains »; ce faisant, ce numéro concerne chacun au-delà des murs régionalistes ; « Au final, ce dont il s’agit dans ce numéro, c’est de parler de littérature vive et contemporaine, de présenter des auteurs jeunes ou confirmés, des pratiques d’écriture parfois contradictoires. » Eric Pessan n’a pas focalisé son enquête sur la vie « alimentaire » des écrivains, au contraire de l’auteur de l’essai sociologique, mais a choisi de privilégier ce pour quoi écrire participe de la vie essentielle. Le numéro s’ouvre sur un trilogue entre lui (apportant toujours cette petite pointe d’humour et de malice qui le caractérise), Jean-Claude Pinson et Pierre Michon, dont s’élève une complicité dans la différence de fabrique littéraire. S’ensuit une enquête effectuée à partir d’un questionnaire sans questions, volontairement vague, auprès d’une dizaine de poètes et romanciers (Albane Gellé, Antoine Emaz, Pierre Bordage, Pierre Winckler, Sébastien Brebel, Martin Page, Isabelle Pinçon...), un vague qui laissait liberté à chacun de répondre à la manière qui lui convenait, aussi lira-t-on des notes de travail d’Antoine Emaz, ou des extraits du journal de Sophie G. Lucas, ou des petits essais sur soi-même en écrivain, pertinents, tel celui de Pierre Winckler (« Mes livres ne changeront pas le monde, ni en mal, ni en bien. Mais échec et réussite sont choses toutes relatives. Certains livres m’ont fait du bien, soutenu, sorti de la dépression et du désespoir. Si un seul de mes textes fait du bien à quelqu’une, à quelqu’un, alors le jeu en vaut la chandelle. Il vaut que je la brûle debout, par les deux bouts »), ou tel celui de Martin Page, portant un discours un peu à contre-courant, du moins posant l’écriture comme un travail qui s’apprend : « Si on voulait prendre au sérieux la littérature et lui accorder son autonomie, on ferait la promotion des ateliers d’écriture. Des générations d’écrivains sortent et vont sortir de ces ateliers. Il y a une nécessité à avoir des lieux pour écrire et apprendre à écrire, des lieux pour envisager de devenir des professionnels. [...] La littérature, c’est du travail acharné et du désir. On peut avoir besoin d’un professeur, d’un accoucheur, d’un guide temporaire. » Mais l’écrivain est aussi ancré dans le tissu social, n’est point à évoluer sur une autre sphère que le commun des mortels, c’est la raison pourquoi néanmoins Eric Pessan a interrogé quelques écrivains dont l’essentiel des revenus provient de travaux périlittéraires (Sylvain Coher, Patrick Chatelier...), chiffres à l’appui, mais sans s’attarder, du coup, à l’inverse de l’enquête sociologique de Bernard Lahire ; car si l’aspect alimentaire n’est pas sans importance, il ne doit pas primer afin de ne pas parasiter l’écriture, aussi paradoxal que cela paraisse, l’alimentaire se veut secondaire, et devrait soutenir la création littéraire, la favoriser, la stimuler (en non-dit de cette enquête, on entend néanmoins une critique de la désaffection des pouvoirs publics quant à leur soutien à la création littéraire). Ce numéro vient à point pour rappeler que l’écrivain, bien qu’il soit à l’origine de la chaîne du livre, n’a pas de réel statut, que contrairement aux artistes du spectacle dit vivant, il ne bénéficie pas d’allocations chômage, les revenus issus d’activités périlittéraires n’entrant pas dans le calcul d’allocations chômage. Saluons également dans ce numéro ce qui montre le métier d’écrire, par l’iconographie, assavoir la présence de reproductions de brouillons, de carnets, de pages de journaux, de manuscrits que chacun aura bien voulu montrer pour faire entrer dans sa fabrique. Un numéro de revue plus que numéro de revue, un petit essai en soi, sensible, parce que conçu par un écrivain, un écrivain concerné par la vie essentielle d’écrire. 
[Jean-Pascal Dubost]  
 
Revue 303, n°123, « Écrivain... Et à part ça, vous faites quoi ? », site de la revue 
 
1 Bernard Lahire, La Condition littéraire. La double vie des écrivains, La Découverte, 2006 


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