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Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

Publié le 06 décembre 2012 par Chatquilouche @chatquilouche

L’Évangile selon sainte Rondelle…

« Enwoye go go, shoot la poque.  Enlève-z-y la rondelle.  Come on !  Skate, skate !  Lâche pas la game !  Enwoye !  Patriotes, Go ! » Ça, c’est moi, en immersion à l’arénacarte11 de Dolbeau-Mistassini.  J’apprends vite.  Je viens d’intégrer le chœur des mères supporters et je scande leur credo entre cornes de brume, cloches et crécelles.  Nous sommes donc douze, debout sur les gradins, arborant, haut et fier, le chandail de hockey de nos chérubins, égrainant sans relâche le même chapelet : « Enwoye, go go, shoot la poque.  Enlève-z-y la rondelle.  Come on !  Skate, skate !  Lâche pas la game !  Enwoye !  Patriotes, Go ! », tandis que de leur côté, les pères en cénacle ponctuent leur Molson-poutine de commentaires sur chaque Action de grâce.

Si je suis longtemps restée sur le parvis des arénas, c’est peut-être par fidélité au ballon rond de mon enfance.  Que voulez-vous, cher Chat, on ne change pas de religion de but en blanc, surtout quand on sait que le hockey au Québec est un sacerdoce.  Mais voilà, mon fils est un bleuet et il a de la suite dans les litanies.  Il a donc fini par me convertir et j’ai donc été baptisée cette fin de semaine.  Croyez-moi, le Chat, ce fut tout un choc culturel que de le voir fendre pour la première fois l’immaculé d’une patinoire de tournoi avec le patronyme auvergnat de son père sur le dos.  Qu’il porte le chandail des Patriotes et le numéro 9 de Maurice Richard est déjà en soi un miraculeux oxymore, mais que le tout soit en plus commandité par des trous de beigne ne peut relever que d’une intervention divine malicieuse.  Je vous confesse, cher Chat, que je m’amuse déjà beaucoup en imaginant qu’un jour peut-être, avant un match, mon rejeton, la main sur le cœur, chantera le Canada, terre de ses aïeux.

En attendant que les étoiles s’alignent en ce sens, je voudrais revenir à cette immersion culturelle pour le moins cocasse.  Le hockey n’est pas une simple histoire de short et de crampons et il n’existe malheureusement pas de bréviaire pour les nulles.  Moi qui n’en suis qu’à la genèse de l’aventure, j’ai dû observer en Judas mes voisines afin de pouvoir mettre chaque coquille à la bonne place et protéger mon p’tit Jésus.  Comme la sainte Poque peut laisser bien des stigmates, plastron, épaulières, jambières, coudières et rembourre derrière ont vite fait de métamorphoser nos petits anges délicats en préados baraqués qui ne transpirent plus vraiment l’eau bénite.  On comprend ainsi, dès qu’on y a séjourné un peu, pourquoi les vestiaires sont rebaptisés chambres.  J’ai donc très vite appris qu’une poche de hockey doit recevoir son extrême-onction de Febreze régulièrement, afin de se garder des odeurs peu catholiques.

Après le passage de la papamobile de marque Zamboni, mon fils, mu peut-être par une profession de foi inédite – « Go Lou, enwoye la rondelle putaiiinnnnn ! » – fait lors de la troisième période une magnifique ascension jusqu’à la sacristie adverse et malgré une étonnante génuflexion du goaler, envoie la poque, comme une offrande, exactement là où il faut.  Héros de sa Sainte Trinité (il est ailier gauche), il est consacré étoile du match.  Tandis que d’un côté de la nef de glace, douze Piétas portent leur croix, de l’autre, douze Madones mangent leur pain béni.

Mais ce n’est pas tout, cher Chat.  Le rite se poursuit à l’issue du match, la famille se tenant en longue procession derrière la porte close de la chambre qui lui est interdite le temps de l’Évangile selon saint Denis (c’est le coach des Patriotes).  S’en suivent les clameurs d’usage et autres cris de ralliement d’autant plus enthousiastes lorsqu’ils sont victorieux, et signe que les parents peuvent enfin pénétrer dans le sanctuaire afin de distribuer à leur tour les béatifications d’usage.

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S’agissant d’un tournoi, les festivités ne s’arrêtent pas là, nos Patriotes affrontant une autre paroisse le lendemain.  Je peux donc, avant que sonnent les matines, poursuivre mon immersion.  Ce sont donc plusieurs équipes du hockey mineur qui ont envahi tous les motels du coin et tandis que des parties de mini-hockey s’engagent dans les couloirs, des cinq à sept s’organisent.  C’est ainsi que nous nous retrouvons à 24 adultes dans une petite chambre, sur et autour du lit.  Le buffet est dressé autour du lavabo, chacun contribuant à sa providence.  Prenez et buvez-en tous !  Ce sont donc plusieurs conclaves qui s’avinent à chaque étage tandis que l’on frise l’apocalypse dans les couloirs.  Personne ne semble s’inquiéter du tapage nocturne.  On répond même aux sermons répétés d’une pauvre âme fatiguée que c’est soir de tournoi et que c’est comme ça.

Le lendemain, dès l’aube, il est grand le mystère de la foi !  Les parties de minihockey reprennent de plus belle dans les couloirs du motel tandis que quelques pères en tenue d’Adam retrouvent un semblant d’autorité et tentent de rapatrier leur progéniture sur l’oreiller.

Tandis que je marche le long du couloir vers mon petit déjeuner, s’exhale de chaque porte entrouverte, l’encens des poches de hockey comme une prière de retour à l’aréna.

Sophie

Notice biographique

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Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Filed under: Sophie Torris Tagged: ados, hockey, humour, Québec, rondelle


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