Si l’on avait voulu réunir le monde en un lieu, l’on n’aurait pas mieux fait. Rive gauche, à quelques rues du musée Rodin, un hôtel particulier du début du XVIIIe siècle abrite quantité de collections d’animaux naturalisés, grands mammifères taxidermisés, insectes épinglés, spécimens sous-marins, trophées de chasse, oiseaux de toutes contrées, herbiers, fossiles, préparations microscopiques, plantes médicinales, un cortège de curiosités aux noms scientifiques alambiqués. Les murs tapissés de planches de leçons de chose feraient le bonheur des maîtres d’école : coupe transversale de coquelicots, modèles anatomiques, ostéologie, botanique.
À l’étage, la pièce du fond abrite un cabinet d’entomologie. Dans des tiroirs plats vitrés, des pensionnaires éclectiques, xylophages, nécrophores, saprophages et coprophages. Sur les rayonnages qui ceignent la pièce, des crânes, comme des vanités, surveillent, un rictus figé sur leurs mâchoires prognathes.
En parcourant les pièces en silence, je remarque qu’un hanneton manque à l’appel dans sa boîte. Intriguée, je regarde autour de moi, m’efforçant de comprendre la raison de son absence.
Un collectionneur octogénaire aux allures de savant fou examine à travers son binocle en écaille un éclaté de homard sous globe. Il s’agit probablement d’un universitaire, d’un voyageur ou bien d’un chasseur. L’espace d’un instant, j’imagine l’intrépide Adèle Blanc-Sec dans le Paris de la Belle Epoque. Elle pousse la porte et arpente les pièces en enfilade, faisant claquer ses bottines lacées sur le parquet et agitant sa main gantée de cuir blanc, un fume-cigarette entre les doigts.
En entendant mes pas, le naturaliste a levé les sourcils et m’observe par-dessus ses verres. Un filet d’air froid pénètre dans la pièce par la fenêtre à guillotine entrouverte. La nuit est tombée.
Sous sa vitre, un Phyllium giganteum de Malaisie, épinglé au niveau de l’abdomen, est témoin muet et impuissant des intrigues qui se trament dans ce muséum d’histoire naturelle.
Dans ce sanctuaire où la vie n’a pas sa place, mes yeux se posent alors sur une tâche vive. Je m’approche. Le corps oblong, les élytres nacrés et l’occiput verdâtre, le mystérieux hanneton est là, posé dans l’orbite gauche d’une boîte crânienne de chevreuil qui porte encore sa ramure. L’ossement me nargue, semblant murmurer memento mori.
Devant ce tableau sépulcral, je frissonne et sens une étreinte enserrer ma cage thoracique. D’un coup, tout commence à tourner autour de moi, mygales velues, papillons de Guyane, roussettes, autruchons, gastéropodes, nautiles, céphalopodes, reptiles et amphibiens giguent en une sarabande funèbre.
Des yeux je cherche une échappatoire. Zèbres, ours du Canada et cervidés me menacent, leurs yeux brillants ont comme coagulé dans leurs cavités. Ils semblent me signifier que si eux ont bu un élixir d’éternelle jouvence, moi, je suis condamnée à redevenir poussière.
Je dévale les escaliers et me précipite dans la rue, respirant à pleins poumons l’air glacial de novembre. J’avance d’un pas rapide, voulant creuser la distance avec cet asile macabre.
Je tourne le coin de la rue Jacob. Le savant fou au visage auréolé de blanc est là, qui marche inéluctablement dans ma direction. Un bruissement d’ailes attire mon attention, sur mon épaule s’est posé le hanneton porteur de mauvais présage. Jacob, n’est-ce pas ce patriarche qui, dans la Genèse, en fuyant son frère Esaü, fit le songe d’une échelle montant vers le Ciel ?