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"Ce que le jour doit à la nuit" de Yasmina Khadra

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
La semaine dernière, sortait au cinéma “Ce que le jour doit à la nuit”, d’Alexandre Arcady, adapté du roman de Yasmina Khadra. La rencontre de deux hommes, l’un pied noir, l’autre algérien. Un projet en trait d’union entre deux communautés qui partagent le même amour d’un pays, l’Algérie. Une histoire qui ne m’est pas totalement étrangère. On a beaucoup écrit et tourné sur la guerre d’Algérie. Et force est de constater que, 50 ans plus tard, chaque production est encore soigneusement scrutée, à la recherche du moindre parti pris. Alors, lorsque l’on m’a prêté ce livre, j’ai souri puis soupiré : encore un autre,me suis-je dit. Les affiches du film ont fait, à leur tour, leur apparition. Sans doute une fresque un peu à l’eau de rose sur fond de conflits interchangeables. Et puis j’ai ravalé mon snobisme, en réminiscence de Duras ou Morrison. Il n’y a pas de sujets inépuisables, seulement de mauvaises manières de les traiter. Si l’on souhaite “se faire une idée”, autant regarder un documentaire. Un livre se doit de prendre des risques, voire de prendre partie. L’auteur apporte dans son écriture l’influence de son vécu, et c’est finalement ce que l’on attend, que l’on soit d’accord ou pas avec ce qui sera finalement écrit. Je le crois responsable de ce qu’il écrit, plus que témoin. « Mes livres ne sont pas des livres, mais des feuilles détachées et tombées presque au hasard sur la route de ma vie » disait très justement Chateaubriand…
L’avis de JB :
1830-1962
La photo derrière la couverture vous l’apprendra, Yasmina Khadra n’est pas une femme. Et pour cause il s’agit du pseudonyme (les deux prénoms de sa femme) de l’écrivain Algérien Mohammed Moulessehoul. Ancien officier, il décide de quitter l’armée au début des années 2000 pour se consacrer à l’écriture. S’en suivront de nombreux ouvrages, autour de sujets aussi variés que le rapport au conflit irakien ou la vie sous le régime des talibans. Et, bien sûr, l’Algérie. Lui qui a connu toutes ses crises, de la guerre d’indépendance aux années noires du GIA. Après une série de polars dans une Alger déchirée par la corruption et la montée des extrêmes, il sort en 2008 « Ce que le jour doit à la nuit ».
Nous sommes au début des années 30 et le jeune Younès, 9 ans, mène une vie simple à la campagne. Alors que la récolte s’avère enfin prête, son père voit toutes ses terres ravagées par un incendie criminel. Sans ressources, la petite famille décide de s’exiler « en ville », où elle vient bientôt grossir les rangs des habitants des bidonvilles à la périphérie d’Oran. La mort dans l’âme, ses parents se résolvent à confier leur jeune fils à son oncle, pharmacien prospère marié avec une pied-noir. Le trio nouvellement formé décide alors de quitter la capitale de l’oranais pour s’installer dans une bourgade plus paisible. Les affaires marchent bien et Younès forme bientôt avec plusieurs enfants pied-noir, une bande d’inséparables amis. A travers les guerres, puis la lutte d’indépendance, il devra choisir l’impossible, entre deux communautés qui s’entre-déchirent.
En 1848, et suite à presque vingt ans de conflit, l’Algérie est annexée et déclarée « département français », déclenchant l’arrivée de nombreux colons français, espagnols ou italiens. On les appelle « pieds noirs » sans doute en référence à leur voute plantaire noircies par le foulage des grappes de raisins, fortement cultivées alors en Algérie. A la fin de la seconde guerre mondiale, les anciennes colonies rentrent une à une en conflit pour leur indépendance. D’abord l’Indochine puis l’Algérie en 1954, dont l’indépendance sera proclamée en 1962, lors des accords d’Evian.
Derrière le terme colonie, on entend « colons » et « colonisés », pied –noir d’un côté, et algérien de l’autre. A travers le personnage de Younès, imprégné des deux milieux, l’auteur a cherché à créer un pont entre deux communautés que la guerre finira d’éloigner. A mon sens, plus qu’un point de vue sur la condition ou l’intégration d’un jeune algérien dans la communauté pied-noir, le livre est avant tout un porte-drapeau de l’amour universel qui se joue finalement des conflits et des origines. Ce qui sépare Younès de ses amis n’est à mon sens pas plus le conflit, que les histoires de cœur qui sapent leurs relations à petit feu. Dire que le point de vue exprimé par Khadra, par la bouche de Younès, est neutre, serait mentir. Bien que sorti des bidonvilles par un oncle algérien marié à une française, les convictions du jeune homme penchent plutôt du côté du peuple algérien et de son désir d’indépendance. Sans être vraiment engagé, ou partisan de la terre brulée, il voit le conflit d’un œil humaniste. L’Algérie doit gagner son indépendance mais cela ne doit pas gâcher les relations ou les ponts qui existent entre les deux communautés. Il souhaite un mariage que l’histoire ne réussira pas, parce qu’après les affres de la guerre, le pragmatisme n’est rarement de mise. Des colons comme des algériens ont vécu dans une misère parfois commune. Des couples mixtes se sont créés et une cohabitation a vu le jour. Bien sûr des gens ont profité et exploité. Certains ont sans doute pensé que cette terre n’appartenait qu’a ceux qu’y vivaient, indépendamment de leurs origines. Pas assez sans doute, tant le traumatisme est encore grand dans la communauté pied-noir. L’Algérie n’appartient qu’à ceux qui l’aiment, la font vivre et découvrir...
Le roman derrière le témoignage
Derrière le message, fort, le travail littéraire est, à mon sens, un peu en retrait. Notamment dans la première partie de l’ouvrage (l’enfance de Younès) où j’ai l’impression que l’auteur s’est un peu « écouté écrire ». L’accumulation des métaphores est un peu pénible, en exemple « Tous avaient le regard inexpressif et un morceau de nuit sur la figure », « sa voix avait la douceur d’une source de montagne » ou encore « l’éternité avait rompu comme s’éclipsent les lampes quand on appuie sur le commutateur ». Les phrases sont parfois très longues, et les nombreuses virgules ni changent pas grand-chose. C’est un peu ce que j’appellerais le syndrome « première gorgée de bière », où tout est truculent, gourmand est un peu trop candide. Un peu comme si j’écrivais « nous nous régalions de ces mangues juteuses comme la rosée du matin » ou « le soleil de midi frappait nos front d’un disque doré », enfin vous avez compris le principe. La deuxième partie du roman (au début du conflit) m’a beaucoup plus plue, sans doute à cause des phases introspectives plus importantes, forcément plus subjectives qui tranchent un peu avec les nombreux dialogues de la première moitié de l’ouvrage. J’ai la vague impression que l’auteur a adapté son style en fonction de l’âge de son protagoniste principal, ce qui est à mon sens un défaut. On n’en, en effet, pas à la recherche d’un témoignage plus vrai que nature mais plutôt en quête d’une patte versatile mais reconnaissable. L’ouvrage est également un peu trop fléché, comme une sympathique promenade. Chacun doit pouvoir s’y retrouver, par la largeur de l’éventail des thèmes balayés.
Etre capable d’écrire un grand livre, historiquement chargé, n’est pas chose aisée. Parce que la charge émotionnelle induite par le thème dépend du lecteur, et n’est donc ni suffisante ni automatique. Que le livre traite d’un thème fort sous un angle intéressant, n’est donc pas suffisant pour en faire un bon ouvrage, bien que cela puisse devenir un avantage. Certains auteurs, que vous pouvez retrouver sur le Bdb, ont réussi cet exercice difficile. Duras sur l’Indochine, Morisson sur la communauté noire aux Etats-Unis ou Steinbeck sur la grande dépression. Avant d’être des témoins d’un évènement, ce sont avant tout de grands romanciers qui parlent sans doute avec plus de facilité d’un thème qui leur est cher. On ne lit pas un roman pour s’informer, des documentaires existent pour ça. Lonesome Dove a bien réussi à faire une quasi-unanimité, alors que rappelons le, il s’agit d’un western de plus de 1000 pages…
A lire ou pas ?
Si le thème vous tient à cœur ou vous intéresse, vous pouvez y aller. Si en revanche il n’éveille pas en vous une émotion particulière, je serais plus mitigé. “Ce que le jour doit à la nuit” est une agréable fresque qui pêche un peu par ses choix littéraires et son côté un peu lisse. Ce qu’il faut de structure un peu binaire pour maintenir l’attention du lecteur, et à nouveau un amour interdit sous fond de conflit. Il est algérien, elle est française, ils sont tous les deux très beaux (« les yeux bleus de Younes et son physique d’ange » me dit Wikipédia). Leurs communautés basculent dans la guerre, les non-dits rendront leur union impossible. A vous de juger, on a parfois besoin ou envie de ce genre de banalité …
PS : Khadra chez Ruquier, à régarder
http://www.youtube.com/watch?v=IuQGQbu5RXI&feature=related
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