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"Au-delà du mal" de Shane Stevens

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Lectures de vacances, dernier acte. Nous sommes samedi matin et je n’ai plus rien à me mettre sous la dent. En ce dernier weekend de vacances, chaque heure compte. N’écoutant que mon courage, je décide de franchir les grandes portes battantes d’une enseigne multimédia. Il est 11 heures et les rayons sont déserts. Pas d’adolescents assis par terre dévorant des mangas, pas de jeunes gamers qui s’affrontent sur la console de démo, rien. A peine quelques vendeurs ensommeillés, mèches et maquillage distingués pour les filles, gel de rigueur pour les garçons. Comme trop souvent, le rayon littéraire est éclectique mais très loin d’être exhaustif. Un peu de tout, surtout des best sellers et quelques ouvrages en têtes de gondole qui semblent tous se ressembler. Après avoir essuyé deux “Nous ne l’avons pas, on peut vous le commander”, je décide de diriger toute ma déception vers la sortie. C’était sans compter sur les filets de l’araignée consommation qui flashent subtilement mon attention. Entre chaque étage, 4 ou 5 ouvrages, toujours les mêmes, se prélassent. Et dans ce moment de solitude, entre un livre de cuisine sur le nutella et une édition poche d’une fausse autobiographie politique, je me dis que je ne peux décidément pas rentrer seul. Alors, après l’examen visuel vient le contact. La couverture glacée est rassurante, y figure même une citation de Stephen King. Puis James Ellroy. Peut être pas un si mauvais choix finalement ? De l’ouvrage lové sous mon bras émane une agréable odeur de neuf. Hésitation, encore. La couverture est vraiment cheap. Les caisses arrivent trop vite. Paiement, sortie. La victime du jour c’est moi. “Au delà du mal” va en effet au delà de beaucoup de choses…
L’avis de JB :
Un pionnier dont on a fait une réference
“By reason of insanity” (C’est son titre original), aura dormi presque trente ans dans les mains de nos compatriotes américains avant de faire le grand saut chez nous, grâce à l’édition Sonatine en 2009. Après l’auteur anonyme du “livre sans nom”, place à “Shane Stevens, probable pseudonyme, dont on ne sait rien » (source wikipédia). Le mystérieux romancier a néanmoins écrit cinq ouvrages, qu’ont eu l’air d’apprécier quelques pointures du genre comme Thomas Harris, Stephen King ou James Ellroy.
Dans cette Amérique d’après guerre à qui tout réussit, Sarah Bishop survit de petits boulots en petits boulots. Alors qu’elle croit avoir enfin trouvé un homme avec qui faire sa vie, elle est victime d’un viol et tombe enceinte. Caryl Chessman, son bourreau présumé devient une obsession. Il est le père de son fils et doit mourir. Le décès de son mari à la suite d’un braquage manqué ne fera que l’enfoncer plus profondément dans la folie. Battu et lobotomisé, le jeune Thomas va grandir sous la coupe malveillante de sa mère. A 10 ans il décide de la tuer et intègre aussitôt un asile psychiatrique. Durant quinze ans, il prépare son évasion, bien décidé à éradiquer le plus de femmes possibles de la surface de la terre, au nom de son père et pour l’amour de sa mère. S’en suit un road trip meurtrier à travers les Etats-Unis qui ne semble jamais ne pouvoir être arrêté….
Vous trouverez sur la toile de nombreux sites et auteurs qui parlent de cet ouvrage comme l’un des grands précurseurs du livre de serial-killer. Admettons, donc, que l’on puisse considérer cela comme un genre à part qui mériterait de ce fait des origines, des spécialistes et des héritiers. Je ne le répéterais jamais assez, un livre doit être bon quelque soit son âge, sa place dans la culture ou sa capacité à avoir créé un précédent. Un ouvrage ne peut pas être considéré comme un chef d’œuvre simplement parce qu’il dénonce, dépeint, ose ou innove. C’est malheureusement cette étiquette de pionnier que l’on semble vouloir coller à « Au-delà du mal », qui aurait influencé par exemple Harris. Et bien justement parlons d’Hannibal Lecter, qui n’est pas un bon personnage parce qu’il est le premier-psychologue-cannibale mais bien parce qu’il a une épaisseur, une ambigüité et un certain charisme, qualités d’un personnage réussi qui n’a pas de limite de genre. Détournez-vous des idoles, et au feu la fausse modestie, Thomas Bishop n’arrive pas à la malléole du célèbre docteur.
La valse des clichés
Ce qu’arrive en revanche admirablement bien à faire notre jeune apprenti tueur en série, c’est se draper du plus grand nombre de clichés possibles, si nécessaire jusqu’à (notre) étouffement. Fils d’une mère violée qui finira par haïr les hommes. Elevé seul par une figure maternelle violente et possessive qu’il finira d’ailleurs par tuer. S’ensuivent quinze ans d’internement psychiatrique. Il se découvre fou mais extrêmement intelligent et commence à échafauder des plans d’évasions. Pour ne pas éveiller les soupçons du personnel médical, il décide de se fondre dans la masse des patients. Passant des heures par jour devant la télé, il s’en fait l’élève. Une évasion rocambolesque plus tard, il est enfin libre. Seul, fauché et fou, il peut néanmoins compter sur ses quinze ans d’internement lui ayant permis de comprendre le fonctionnement humain. Tout détail pratique est en effet couvert par des références qu’il a pu regarder à la télé. Il vole des femmes qu’il a préalablement séduites, manipulées ou sexuellement asservies, et finance ainsi son petit périple semé de cadavres à travers le continent américain.
On pourrait à ce moment se demander comment la police, la CIA, la pègre et tous les privés que comptent les Etats-Unis n’arrivent pas à lui mettre la main dessus. C’est sans compter sur son suprême intellect dont le plan d’évasion, nous allons le voir, est hautement machiavélique.
Car Mr Bishop a en effet un complice. Un patient récemment arrivé à l’asile qu’il a tôt fait de prendre sous sa coupe. Alors que l’évasion est en cours, notre meurtrier assassine son complice et prend bien soin de maquiller le cadavre pour simuler sa propre mort. Les autorités mettront des mois à se rendre compte de la supercherie…
La suite de nos protagonistes ne nous réserve pas de meilleure surprise. On retrouve donc pèle –mêle un journaliste crasseux, idéaliste et talentueux, un groupe de presse corrompu ou un sénateur véreux à l’ambition démesuré.
Un prototype à oublier
Avec des clichés, on peut écrire de grands livres. Sans écriture, style ou tension, cela devient beaucoup plus compliqué. « Au-delà du mal », malgré son embonpoint (900 pages) et sa carriole de longueurs se lit en effet très facilement. Rien à découvrir, rien de caché, tout est direct et servi-minute. Les événements s’enchainent avec une logique déconcertante qui frôle l’automatisme. On sait tout, tout de suite, la seule énigme qui n’en est pas une est de savoir si le tueur sera arrêté. L’auteur a mis en scène une idée mais n’a finalement pas pu ou eu l’envie de l’écrire. Tout est très lisse, trop structuré, et sans aucune prise de risques. La fin est archi-attendue, et évidemment sans surprise.
Je passe sur les scènes de violence et de sexe, tellement directes et entendues que votre rythme cardiaque ne devrait pas varier d’une unité :
« Les flammes dévoraient le corps voracement, elles le flétrissaient, ravageaient à toute vitesse la chair et les muscles. D'abord écaillée, la peau devint noire, se carbonisa et finit par se désintégrer rapidement. Bientôt, les bras, les jambes et le tronc roussiraient jusqu'à n'être que des os blanchis. Très vite la tête, dont plus aucun trait ne subsistait, se réduirait à un simple crâne. Désormais silencieux, hormis un râle monotone qui lui sortait du fond de la gorge, les yeux affolés à la lueur rouge du feu, le petit garçon regarda le corps brûler, brûler, brûler... »
Ainsi que sur la critique des années Carter, l’utilisation de la catharsis ou l’influence de la télévision, de nombreux supports plus intéressants sur ces sujets existent en nombre.
J’aurais dû me méfier de sa position lascive sous les projecteurs jaunis de ce magazine. Ne pas me laisser bluffer par ces quelques phrases aguicheuses en couverture. Comprendre que 900 pages quand on aime aussi peu les polars était un geste de désespoir. Mais que voulez-vous, c’était la fin des vacances, et bientôt Paris me reprendrait dans ses bras osseux…
A lire ou pas ?
« Au-delà du mal » est un policier très quelconque, remplis de clichés et pas spécialement bien écrit. Il a néanmoins pour lui son accessibilité et son rythme régulier, un peu léger je vous le concède. J’aurais voulu aimer ce livre, vraiment. Me dire qu’O’connell n’est pas une exception. Que King, Harris, Ellroy et moi on allait être d’accord. Ou que cette troisième rencontre avec la dynamique maison Sonatine finirait de m’enthousiasmer. Trève d’atermoiements, impossible pour moi de vous le conseiller, d’autres s’en chargeront sans doute…
Deux avis diamétralement opposés au mien :
http://www.dailymotion.com/video/x92vxv_shane-stevens-au-dela-du-mal-gerard_creation
http://www.lepoint.fr/actualites-litterature/2009-06-04/au-dela-du-mal-de-shane-stevens-le-thriller-evenement/1038/0/349697
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