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"L'apprentie du philosophe" de James Morrow

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Après quelques semaines d'absence, dont la justification n'a rien que de très banal (trop de travail et un livre trop peu palpitant pour me donner envie de le dévorer dans les maigres interstices de temps libre ménagés), me revoilà avec quelques munitions en stock. Principalement un chef-d’œuvre et un mauvais roman. Le dilemme n'était donc pas mince au moment de choisir l'ordre de publication des chroniques correspondantes. Manquant de temps pour en prendre l'exacte mesure, j'ai choisi de laisser l'intuition et les contingences extérieures choisir pour moi. Au cœur de l'été, notre nonchalance nous fait plus volontiers pencher vers les littératures légères que vers les grands classiques (quoi que) alors qu'ils nous éloignent de nos écrans et diminuent le nombre de nos lecteurs. Ce sera donc le navet. Parlons de l'Apprentie du philosophe.
L'avis d'Emmanuel
Tout est dans le pitchMason Ambrose est un jeune philosophe aussi ambitieux que raté : il a entrepris de rédiger une éthique de la science en revisitant toute l'épistémologie et la philosophie évolutionniste dans sa thèse pompeusement intitulée « Morales terrestres ». Sa rencontre lors de la soutenance de la dite thèse avec un créationniste influent, l'incitera cependant à enclencher un programme d'auto-destruction qui le fera exploser en vol. Loin de lui faire tout perdre, ce coup d'éclat sera toutefois un coup de chance, puisqu'il lui permettra d'être immédiatement engagé comme professeur de morale auprès de Londa Sabacthani, l'une des trois filles (en fait clones) d'Edwina Sabacthani, sommité du monde de la génétique, à laquelle son métier n'avait jamais laissé le temps de donner libre cours à son besoin de maternité et dont la vie est malheureusement condamnée à court terme. Comme la jeune Londa est née d'un incubateur à l'age de 17 ans quelques jours avant sa rencontre avec Mason, l'expérience de vie qui aurait du lui permettre de se construire sa propre conscience morale lui fait en effet largement défaut. Malgré son côté looser, et une attirance certaine pour la demoiselle, Mason réussira dans sa mission au delà des espérances d'Edwina, puisqu'il fera naître chez Londa un sens moral exacerbé, sens moral qui l'amènera à mettre sa fortune (héritée de sa mère) au service de toutes les minorités et à lutter avec acharnement (un acharnement qui conduira à quelques débordements) contre toutes les formes d'obscurantisme intellectuel, en particulier celle défendue par les créationnistes puritains tenants d'un capitalisme ultra-libéral que Londa nomme philistins. Bien sûr nous n'en sommes là qu'a la moitié du roman et il serait vraiment trop spoiler que de parler de l'armée de clones de fœtus issus d'IVG qui déferlera ensuite sur l'Amérique, de l'opération Glande Pinéale sensée rendre aux philistins une conscience morale digne de ce nom, des multiples mésaventures sexuelles de Mason ou encore du quatrième clone d'Edwina qui viendra mettre un terme bienvenu à cette histoire sans queue ni tête. Je mentionne uniquement pour le plaisir l'iguane perroquet parlant, le palétuvier humanoïde décérébré aux fruits hallucinogènes et l'armée d'amazones (les délicates et originales walkyries) levée par Londa pour sa protection personnelle et l'accomplissement de ses basses besognes.
Norman Spinrad, Warren Ellis, James Morrow, ... qui d'autre ?Je suis presque déçu d'avoir rendu le résumé ci-dessus si compréhensible et presque... intéressant. A le lire, on aurait quasiment l'impression que l'Apprentie du philosophe est une sorte de fable satirique à la sauce contemporaine. Et c'est effectivement ce qu'il aspire à être. A en croire les critiques et interviews de l'auteur que vous pourrez lire ici ou là, il y parviendrait presque. Mais soyons sérieux, ce n'est pas parce que James Morrow, au demeurant très sympathique (je l'avais rencontré aux Utopiales l'an dernier) ponctue son roman de références qui témoignent d'une érudition certaine que le pari est réussi. Loin de là même. La faute à une narration complètement erratique, de proche en proche, sans aucune ligne directrice identifiable à l'échelle du roman, à une écriture sans saveur du niveau littéraire du langage parlé et surtout à un ton beaucoup trop léger (celui de la dérision la plus complète) pour que le lecteur croie un seul instant aux dilemmes moraux que... Morrow met en scène. Ce dernier travers s'inscrit dans une tendance que j'ai trop souvent croisée ces dernières années pour ne pas m'interroger. L’atmosphère d'auto-dérision et de 36e degré qui imprègne l'Apprentie du philosophe me semble en effet en tous points comparable à celle de Il est parmi nous de Norman Spinrad que j'avais tout autant détesté. Dans un cas comme dans l'autre, les prétentions philosophiques des auteurs me sont apparues aussi élevées que le résultat était ridicule. Qui en effet pourrait imaginer un dossier philosophique dans les pages d'entrevue ou des séances café-littéraire animées par Alain Chabat ? Et donc quels lecteurs pour de tels romans ? Les maisons d'édition qui publient ces écrits sont pourtant loin d'être de petites officines de garage. Il doit donc y avoir un lectorat. Si vous en faites partie, considérez s'il vous plaît ma diatribe comme un appel à témoin et ayez l'amabilité d'éclairer ma lanterne en répondant à cette critique.
La goutte d'eau...Pas besoin d'en dire beaucoup plus pour faire comprendre que je ne vois pas grand chose à sauver dans ce roman pseudo-philosophique. Compte tenu de mes petites faiblesses, il eut pu cependant y avoir une lueur d'espoir si l'objet-livre, édité par Le Diable Vauvert, avait tenu la route. Car la couverture, à défaut d'être belle (le photomontage associant silhouette féminine, cacatoès et ailes de papillon n'est pas des plus réussi, mais c'est entièrement subjectif) est assez séduisante avec sa surimpression mat sur brillant de motifs organiques. La mise en page intérieure sobre, respectant la charte graphique du Diable Vauvert n'étant pas non plus pour me déplaire. Le problème, suffisamment désagréable pour justifier un paragraphe dédié dans cette chronique, s'est matérialisé lorsque mes yeux ont commencé à piquer à force de devoir relire des phrases truffées de coquilles plus grosses les unes que les autres. Fautes d'accords, mots oubliés ou au contraire répétés, j'ai du commencer à les compter à la page 70 sur 483 et en ai dénombré pas moins de 16, soit environ une par chapitre. D'aucuns dénonceront chez moi un certain côté obsessionnel, que je revendiquerai bien volontiers si lorsque je paye un mauvais livre 23€ le fait que j'attende une qualité irréprochable d'édition soit signe de déviance psychologique.
A lire ou pas ?482 pages d'élucubrations pseudo-philosophiques, une édition proche de la catastrophe... Non, je ne recommande pas la lecture de l'Apprentie du philosophe. Ceux qui cherchent des contes philosophiques dignes de ce nom se tourneront avantageusement vers Voltaire, Swift et autres grands classiques, pour la plupart édités à la Pléiade, histoire de profiter d'une vraie belle édition. Ceux qui sont en quête de fantaisie et d'invraisemblance a propos se tourneront du côté du roman gothique, de Boulgakov dont nous parlons régulièrement ou encore du réalisme magique que j'affectionne tant. Ceux qui aspirent à de la bonne science-fiction parcourront les pages du BdB pour découvrir l'un de nos nombreux coups de cœur. J'ai oublié quelqu'un ?
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