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"Le roman de Monsieur de Molière" de Mikhaïl Boulgakov

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
roman Monsieur MolièreMon goût prononcé pour le théâtre m’amène à régulièrement chroniquer sur le BdB des œuvres dramatiques, qu’il s’agisse de pièces que j’ai récemment vues mises en scène (comme Le Roi se meurt ou Les Femmes savantes) ou de pièces d’auteurs qui m’intriguent (Cercles/Fictions de Pommerat, ou Rêve d'automne de Fosse par exemple). Outre le fait que ces critiques n'attirent généralement pas des foules ferventes de lecteurs, elles ne manquent jamais d'être source de quelques traits moqueurs en provenance de mon ami et co-tenancier de ce blog, JB.Chers lecteurs, je crois cependant avoir trouvé il y a quelques semaines, au sortir d'une représentation d'Amphitryon par la troupe de la Comédie Française (qui sera repris l'an prochain et que je ne peux que conseiller, pour ses artifices scéniques si ce n'est pour la qualité de ses comédiens, un peu inégaux – Christian Hecq en Sosie est toutefois admirable) une botte imparable pour parler impunément de théâtre sur ce blog (cette fois au moins). Car alors que je tentais de résister à l'attrait du texte en version poche qui trônait sur la petite table installée devant les portes, mon regard fut attiré par ce qui apparaissait comme un biographie de l'auteur. Une biographie, voilà qui changerait pour une fois. Écrite par un universitaire français ? Non, par Mikhaïl Boulgakov. Boulgakov ? L'auteur du Maître et Marguerite auquel nous avons consacré le deuxième épisode du podcast des bouquins ? Nul autre que lui, à une époque où il tentait vainement de publier et mettre en scène ses propres écrits brimés par la censure...Si ça ce n'est pas un pitch...
L'avis d'Emmanuel
Jean-Baptiste Poquelin, fils de tapissierDans un style très léger, sous forme de petits tableaux-chapitres courts bâtis autour d'une anecdote ou d'un tronçon de vie, Boulgakov nous décrit donc la naissance (le 13 Janvier 1622), l'enfance, l'adolescence, la carrière puis la mort de l'illustre dramaturge. On apprend ainsi qu'en tant qu’aîné de la famille Poquelin le petit Jean-Baptiste eût du prendre la suite de l'affaire paternelle (tapissier royal et Valet de Chambre du roi), que son goût pour le théâtre est né des visites régulières à l'hôtel de Bourgogne et ailleurs faites avec son grand-père maternel Louis Cressé, combien les débuts du jeune Molière sur les planches ont été désastreux, entre autres du fait d'une obstination incompréhensible à jouer la tragédie quand son talent était dans la farce et la comédie, ou encore à quel point l'hypocondrie de l'auteur, que l'on peut imaginer à travers ses multiples pièces « médicales », a été un des éléments centraux de sa vie.Une fois la carrière lancée, soit à partir de 1652-53 en province et surtout 1658 à Paris (lorsque sa troupe devient celle du frère du Roi), ce sont les pièces laissées par Molière à la postérité qui rythment le récit : Le médecin amoureux, puis Les Précieuses Ridicules et le scandale qu'elles ont suscité, L’École des Femmes qui ne déclencha pas moins de remous ou encore le Tartuffe qui fut le fil rouge de la carrière de Molière, car plusieurs fois interdit jusqu'à son autorisation officielle par le roi et son triomphe en 1669.Finalement, après une vie riche en rebondissements, y compris sur le plan personnel, puisque Molière longtemps en couple avec Madeleine Bejart épousera finalement la fille de celle-ci, Armande, de 25 ans plus jeune que lui et dont certaines rumeurs ont avancé que le père ne serait-autre que... Molière lui-même, arrivent les derniers instants de l'homme, comme le veut la légende au sortir d'une représentation du Malade imaginaire, le 17 Février 1673. Une fin non sans originalité puisque aucun médecin, tous ayant été échaudés par les critiques récurrentes de la profession disséminées dans son œuvre, n'acceptera de se rendre à son chevet et que son épouse sera contrainte de demander l'intercession du roi lui-même pour obtenir l'autorisation de faire enterrer dignement (mais sans honneurs) son défunt mari.
Mikhaïl Boulgakov, auteur briméSi cette biographie légère, de lecture facile, quoique bien documentée aurait suffit à justifier une lecture agréable, il m'a semblé qu'on pouvait lire entre les lignes, et tout particulièrement dans la première moitié de l'ouvrage, une sorte de cri de détresse étouffé, de tentative d'identification et, en conséquence d'élan optimiste, d'un Boulgakov désespéré de voir tous ses écrits un peu profonds retoqués par la censure Soviétique et qui ne pouvait qu'espérer suivre les traces de Molière et obtenir, après les années d'errance et d'incompréhension, la reconnaissance. L'époque, le pouvoir en place, et les protagonistes sont différents, mais la situation est au fond tellement similaire. Ceux qui ont lu Le Maître et Marguerite n'auront pu manquer de percevoir la souffrance occasionnée à l'auteur par ce pouvoir aveugle et totalitaire qui l'aura contraint à toujours remettre sur le métier son grand œuvre, qu'il ne publiera finalement pas de son vivant. Et lorsque l'on sait que Boulgakov aimait par dessus tout le théâtre, pour lequel il a écrit, sans réel espoir d'être joué un jour et dans le milieu duquel il a travaillé toute sa vie, certains propos, tenus au sujet d'un Molière qui vient d'arriver au plus bas, avec le démembrement de sa première troupe, le célèbre « Illustre Théâtre » prennent une autre dimension :
« Devant elle, un homme, debout. Trois dures années, les dettes, les usuriers, la prison et l'humiliation l'avaient terriblement changé. Aux coins de ses lèvres s'étaient déposés les plis sarcastiques de l'expérience, mais il suffisait de regarder attentivement son visage pour comprendre qu'aucun revers ne l'arrêterait jamais. »
A lire ou pas ?Mis a part Le Maître et Marguerite, je n'avais lu jusqu'alors de Boulgakov qu'une courte nouvelle, Endiablade, publiée dans la collection 2€ de Folio et qui m'avait laissé un goût de trop proche (du Maître...) et de trop peu. Cette courte biographie, vraiment facile d'accès, écrite sur un ton bien reconnaissable, et qui plus est teintée de la petite note d'amertume que je soulignais plus haut constitue une deuxième œuvre intéressante de l'auteur qui sans pouvoir être comparée à son illustre grande sœur, fera passer un bon moment, aux amateurs de théâtre en particulier.
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