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SALLE 5 - VITRINE 4 ² : LES PEINTURES DU MASTABA DE METCHETCHI - 55. FRAGMENTS E 25516 et E 25523 : DU JEU DE SENET

Publié le 11 décembre 2012 par Rl1948

   Phèdre : Mais dis-moi, ce que tu prétends avoir entendu raconter.

   Socrate : Ce qu'on m'a donc conté, c'est que, dans la région de Naucratis en Égypte, a vécu un des antiques Dieux de ce pays-là, celui dont l'emblème consacré est cet oiseau qu'ils nomment l'ibis, et que Theuth est le nom de ce Dieu ;  c'est lui, me disait-on, qui le premier inventa le nombre et le calcul, la géométrie et l'astronomie, sans parler du trictrac et des dés ; enfin précisément les lettres de l'écriture.

PLATON,

Phèdre, 274  c-d,

Paris, Gallimard, Collection La Pléiade,

p. 74 de mon édition de 1950

   Si dans son Timée, celui-là même qui, sous le pinceau de Raphaël dans l'immense fresque L'École d'Athènes que vous avez peut-être pu admirer dans la Chambre de la Signature, bibliothèque personnelle des appartements du pape Jules II, au Vatican, apparaît dans sa main gauche, Platon développe sa conception de la création du monde, en ce comprise l'antique Égypte, c'est dans son Phèdre, dialogue socratique par excellence, qu'il explique notamment l'origine de l'écriture qu'il attribue au dieu égyptien Thot. Sans omettre d'également le créditer, comme vous venez de lire dans l'incipit qui entame mon intervention de ce pénultième mardi avant les vacances, d'être à l'origine de sciences telles que les mathématiques et l'astronomie et - ce à quoi, pour le moins, peu s'attendent -, de la création de jeux de table nécessitant l'emploi de pions et de dés ...

   C'est de l'un d'eux auxquels les Égyptiens semblèrent fréquemment s'adonner qu'il s'agira,

Deux-joueurs-de-senet--vus-de-gauche-.jpg

grâce aux deux derniers fragments avec lesquels, ce matin et la semaine prochaine, nous terminerons l'évocation des peintures du mastaba de Metchtchi, bien qu'ils soient les premiers exposés à l'extrême gauche, au bas de la longue vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.

Vitrine 4 ² - Vue de gauche (SAS)

   (Un merci tout particulier à SAS, conceptrice du blog Louvreboîte,  pour m'avoir, en un temps déjà ancien, offert ce cliché - et quelques autres, tout aussi précieux -, de différentes vues de la vitrine 4 ².)

   Disposés côte à côte, E 25516, à gauche mesure 64,5 cm de haut et 39 de long, tandis que E  25523, à sa droite, termine la scène sur 32 cm de hauteur pour seulement 18 de longueur.

Vitrine-4 ² - Premiers fragments, à gauche (07-06-2009).JPG

   Nonobstant l'état très abîmé de ces morceaux de mouna arrachés jadis à la paroi murale du tombeau de Metchetchi, vous distinguez sans difficulté aucune deux joueurs de senet, - c'est le nom égyptien de ce jeu à damiers -, une jambe repliée sous eux et l'autre relevée, semblant assis sur la ligne de sol, épaisse et noire, qui traverse la peinture, de part et d'autre d'une table très basse, en bois - les conventions picturales du temps représentant en noir les objets qui étaient réalisés dans ce matériau.

   Semblant assis sur le sol, viens-je de préciser. En effet, il me faudrait idéalement prendre en considération la présence, derrière le seul personnage de droite, de ce que je pourrais considérer comme étant le dossier d'un siège ; celui de gauche, quant à lui, n'en ayant pas : vous constatez sans peine qu'il tourne en fait le dos à un autre assis que précède, pour le définir, un terme en rapport avec une scène musicale. D'après Madame Christiane Ziegler citant le savant allemand Hans Hickmann, il pourrait s'agir là d'un chanteur-chironome indiquant la partition à jouer à un instrumentiste qui lui faisait face, probablement à jamais pour nous perdu. 

   Mais peu nous chaut en vériyé cette éventuelle scène malheureusement disparue puisqu'aujourd'hui ce n'est plus la musique qui animera notre rencontre, mais bien le jeu de senet.

Deux joueurs de senet (vus de droite)

   Tel qu'il se présente actuellement devant nous, le fragment nous montre le joueur de droite attendant vraisemblablement que son partenaire ait terminé de déplacer le pion qu'il tient en main.

   Les mastabas d'Ancien Empire, à peut-être deux exceptions près, rendent compte de parties qui se jouent comme ici à même la table, plateau de jeu dès lors vraisemblablement divisé en différentes cases, alors que plus tard, au Nouvel Empire, mais seulement à partir de l'époque ramesside, la mode voudra que le jeu de senet soit constitué d'une boîte renfermant les différents pions, dés ou bâtonnets utilisés, à l'instar de notre jeu de dames actuel dont il n'épouse que la conception, à défaut très probablement des règles et que par simple analogie de forme, certains égyptologues préfèrent erronément à la dénomination de jeu de senet celle de jeu de dames.

   Il appert, selon les tombeaux étudiés, que la table puisse compter huit pions, douze, voire même 14. Ici, chez Metchetchi, puisque le damier en comporte déjà huit et que le joueur de gauche en tient un neuvième dans la main, il est plus que probable, dans la mesure où apparemment ils devaient être en nombre pair, que son partenaire de droite en ait un dixième à sa disposition.

   Sur cette scène, quelques maigres traces de hiéroglyphes devant chacun des deux hommes déclinaient certainement leur identité. Toutefois, les dégradations subies empêchent de correctement les déchiffrer ; tout comme d'ailleurs l'inscription fort lacunaire au-dessus de la table elle-même.  

   Nonobstant, si je me réfère à une scène parallèle visible dans le mastaba de Neferirtenef, fonctionnaire royal de la Vème dynastie, ramené à Bruxelles sur les conseils de l'égyptologue belge Jean Capart au tout début du précédent XXème siècle et depuis exposé en ses Musées royaux d'Art et d'Histoire (M.R.A.H.), ce texte pourrait faire état de la phase de jeu en train de se produire.

   En effet, l'on trouve, sur la paroi ouest de cette chapelle funéraire deux inscriptions reprises à la planche VI de l'ouvrage que Baudouin van de Walle, Professeur émérite à l'Université de Liège, lui avait consacrée et que je me suis autorisé à photographier pour les partager avec vous et ainsi corroborer mes propos.

Jeu-de-Senet--Neferirtenef---03-12-2012-.jpg

   Sur le dessin de ce registre précis, à la gauche de la scène musicale composée du traditionnel chironome, d'un flûtiste et d'un harpiste, vous retrouvez une représentation fort semblable à celle chez Metchetchi, - sauf qu'ici, vous apercevez, sous la table, un tiroir destiné au rangement des pions ; sauf aussi qu'ici les hiéroglyphes censés acter des bribes de la conversation des deux hommes sont parfaitement lisibles.

   S'inscrivant de droite vers la gauche pour ceux correspondant au joueur de gauche, ils indiquent : J'enlève trois pions à la fois ; et de gauche vers la droite dans la bouche de son vis-à-vis : Je te prends deux pions.   

   Au risque de décevoir certains d'entre vous, amis visiteurs, j'ai décidé, après longue réflexion, de ne point vous exposer les règles de ce jeu : alors que tous les égyptologues sont unanimes pour indiquer qu'aucun document ne leur est parvenu pour les leur expliquer avec la précision qu'ils seraient en droit d'attendre, "simplement" parce que les papyri qui y font allusion sont d'une telle complexité qu'ils n'ont jamais été compris avec certitude, tout le monde - ou presque -, ici sur le Net, s'ingénie à les énumérer en long et en large. Suivant ce principe maintenant unanimement admis que si quelqu'un l'a écrit et publié, ce ne peut être que pertinent, sans esprit critique aucun, sans prendre soin de vérifier les allégations précédentes, parfois farfelues, tout le monde - ou presque - répète à l'envi les mêmes âneries.

   Prenez la peine d'introduire "senet" dans Google et non seulement mon propos sur les répétitions imbéciles sera avéré, mais également vous découvrirez, répétées ad libitium, ces pseudo-règles qu'aujourd'hui je vous refuse ...

   Jusqu'à présent, et volontairement, je n'ai ce matin évoqué le senet que sous le seul aspect d'un jeu de société que les défunts aisés faisaient représenter sur les parois de leur demeure d'éternité aux seules fins, a-t-on longtemps cru, que par la magie de l'image, ils puissent continuer à pratiquer cet agréable délassement l'éternité durant.

   Délassement ?

   Voici peut-être venu le moment de remettre cette notion en cause : j'ai souvent déjà pris le parti d'attirer votre attention, dans l'un ou l'autre article, sur le fait qu'il serait franchement réducteur et erroné de considérer l'image égyptienne comme n'offrant qu'un seul niveau de lecture ; d'autant plus qu'elle ne se revendique nullement d'une fonctionnalité purement esthétique : tel l'art tout entier de ce pays, elle se veut à finalité magico-religieuse.


   De grands noms comme, par exemple, feu l'égyptologue belge Roland Tefnin ont, depuis un long temps déjà, parfaitement démontré qu'existaient deux, voire plusieurs approches épistémologiques possibles. Il n'est à présent plus besoin de prouver le bien-fondé de semblable allégation :  il me suffira, je pense, de vous la faire entrevoir pour vous convaincre de sa pertinence.

   Raison pour laquelle il m'agréerait que nous nous retrouvions une dernière fois cette année pour un ultime rendez-vous à Metchetchi dédié, devant la grande vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre parisien.

   A mardi, 18 décembre

(Van De Walle : 1978, 35-6 et Planche VI ; Vandier : 1964, 493-508 ; Ziegler : 1990, 124-5


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