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Carmen

Publié le 12 décembre 2012 par Popov

CARMEN

OPÉRA - C'est l'un des gros morceaux de la fin de saison. L'Opéra Bastille donne une nouvelle version du Carmen de Bizet. Une œuvre remarquablement dirigée par Philip Jordan porté par un orchestre enthousiaste et qui explore le génie de Bizet dans ses moindres recoins.

Et si Anna Caterina Antonacci, géniale cantatrice y distille à moindre voix, son chant ciselé, eh bien tendons l'oreille!

La pauvre gitana en aura connu des avatars depuis sa création en 1875! Récemment, Olivier Py transforme la gargote de Lillas Pastla en grand escalier d'un Lido qu'une Loulou andalouse, Carmen, descend... encadrée de stripteaseuses. Du haut des remparts de Séville, la très versaillaise Stéphanie d'Oustrac, Carmen de Jean-François Sivadier fait de son côté un bras d'honneur à Don José! Pauvre Carmen... Souvent on l'attache au bout d'une corde autour de laquelle la moricaude s'entoure comme un serpent biblique. Souvent on lui réclame une danse de sept voiles hispanique avec castagnettes et autres espagnolades aimées du public. Plusieurs générations de mezzos ont ainsi été obligées de se tordre comme des chignons sous leurs mantilles aux caprices de metteurs en scène inspirés. Parce que l'opéra a été l'un des plus joués du monde, il est difficile de faire œuvre originale. Difficile aussi de faire mieux quand on eu des devancières telle Callas ou Jane Rhode pour le chant, telle Lila de Nobili, pour les costumes...

La movida c'est maintenant

C'est sans doute pour ne pas être en reste qu'Yves Beaunesne, metteur en scène de théâtre talentueux a transposé l'œuvre à l'époque de la Movida. Pourquoi pas?

L'action se déroule dans une gare désaffectée à la frontière -un endroit idéal pour contrebandiers gitanes et travestis trans-sibériens. Dans ce décor à ciel ouvert,

    1. On peut boire du Jerez d'appellation Manzanilla contrôlé.
    1. Assister à un remake de Priscilla folle du désert.
  1. Danser la Séguedille si l'on n'est pas entravé par la foultitude de circassiens, artistes des chœurs, figurants qui se déploient sur l'immense scène de Bastille comme les frères Marx dans la cabine saturée d'Une nuit à l'Opéra.


Premier défaut de la mise en scène: des solistes perdus dans la foule, gênés dans leurs déplacement et qui font mouvement à chaque sortie comme un petit bataillon trop bien dressé.

Carmen, zingara vêtue de noir (couleur du Sud, du deuil, du réglisse ou de l'ardoise de son enfance et de tout ce qu'on voudra...) arbore une perruque blonde peroxydée qui lui donne un air de star de télé-novela (à l'époque de la Movida, la télé-réalité n'existait pas encore). Les décors sont abstraits, les costumes sont chics mais mon tout manque de nécessité.

Le metteur en scène, se dit-on, aurait pu choisir la crise économique en Espagne, Claude Zidi plutôt qu'Almodovar... Non c'est la Movida qui l'inspire pour une raison qui ne va pas de soi.

Deuxième défaut de la mise en scène: l'effet de distanciation non voulu que provoquent dialogues et récitatifs (avec accents autrichiens ou italiens). D'autant que certains à peine audibles sont prononcés dos au public. Le dialogue parlé est génial, accentué, il sonne faux.

Sur ce fond d'artifices la pièce déroule sa dramaturgie initiale, un livret habile de deux roués auteurs Meilhac et Halévy .Les grands moments de l'œuvre y sont bien rendus: le chœur des enfants Dans la garde montante assuré par les enfants de la Maîtrise, celui des cigarières Dans l'air, nous suivons des yeux;L'amour est un oiseau rebelle,déroule sa chromatique descente; le duo Parle-moi de ma mère chanté par une soprano autrichienne remarquable (Genia Khümeier); la séguedille Près des remparts de Séville; la chanson bohème de l'acte deux, le cri de liberté magnifique du Dancaïre (Edwin Crossley Mercer) le délicieux prélude de l'acte III, duo évocateur pour flûte et harpe, le trio des cartes (avec Olivia Doray et Louisa Callinan) ou encore le "Si tu m'aimes Carmen" d'Escamillo, beau à pleurer.

Et même si les quadrilles ont des allures de parade Royale de Luxe, même si la voix d'Anna Caterina Antonacci semble s'évaporer sur le plateau immense, on crie Olé à cette sangria sans importance tant l'œuvre de Bizet aimée de Tchaikovski, Strauss et pas seulement d'un Nietzsche un peu déprimé par Wagner, reste droite dans son orchestration comme dans son propos, élégante, gaie et raffinée. Que c'est beau Bizet , bien orchestré et interprété! Que cet homme est mort jeune! Comme il a su transfigurer dans son œuvre la "sauvagerie" du monde du folklore (un peu comme Bartok avec la musique populaire hongroise). Que n'aurait-il pu créer s'il avait vécu plus longtemps (si Wagner était mort à son âgé il n'aurait composé que Rienzi!).

Bon.

La mise en scène de M. Beaunesne qui sera sans doute très critiquée car, sans intention a priori, sans parti pris fort. Elle a cependant un mérite, celui d'une certaine sobriété qui permet à la musique de se développer (n'est-ce pas l'essentiel au fond à l'Opéra?). Rien n'est plus nécessaire parfois que de fermer les yeux et écouter.

Anna Catarina Antonacci, entre mezzo et soprano cisèle une interprétation discrète mais de très haut niveau qu'un public habitué aux jeux du cirque risque hélas de ne pas apprécier. Dommage. Ludovic Tézier, Escamillo au thorax en carène dans son costume de toréador a une présence, une maturité charismatique qui efface un peu la moindre performance de Nikolai Schukoff (Don José) Philip Jordan comme d'habitude dirige ce petit monde avec la fougue nécessaire, les cuivres, les chœurs sont formidables. L'orchestre le suit comme un seul homme.

Les grands moments de l'œuvre au rendez-vous...

CARMEN (1838-1875) de Georges Bizet 
Opéra en 4 actes 
Avec Nikolai Schukoff (4, 7, 13, 16, 20, 22, 25, 27, 29 déc. 2012) / Khachatur Badalyan (10 déc. 2012) (Don José), Ludovic Tézier (Escamillo) Edwin Crossley-Mercer (Le Dancaïre) François Piolino (Le Remendado) François Lis (Zunigas) Anna Caterina Antonacci (4 au 16 déc.) / Karine Deshayes (20 au 29 déc.) Carmen/Genia Kühmeier Micaela/Olivia Doray Frasquita Louise Callinan Mercedes/Philippe Faure Lillas Pastia 
Orchestre et chœur de l'Opéra national de Paris Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d'Enfants de l'Opéra national de Paris

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