LES HAUTS DE HURLEVENT de Andrea Arnold

Depuis Wasp, son premier court-métrage en 2003, la britannique Andrea Arnold n’a cessé de filmer un paysage urbain-prison et un climat social étouffant. Red Road, puis ensuite Fish Tank, se sont imposés en instantanés grisâtres ultra contemporains : les fantasmes se cognent la tête contre le béton des villes, les vérités explosent aux visages des princesses. Partant de là, son choix d’adapter un classique de la littérature gothique signé Emily Brontë était déjà, sur le papier, une décision parfaitement audacieuse. C’était sans compter le résultat à l’écran, petite bombe cruelle, chargée d’une rugosité à la Jane Campion, et d’un souffle évocateur surpuissant. D’un côté, donc, nous avons Cathy, élevée à la dure dans une ferme isolée au milieu des landes. De l’autre, Heathcliff, l’enfant orphelin, l’étranger, le paria. Au milieu : Hindley, un frère violent. Linton, un voisin richissime qui offrirait à la jeune fille, un avenir plus confortable que celui qu’elle connaît. Arnold transforme l’histoire d’amour folle et tragique entre ces deux êtres séparés par autrui, les conventions sociales et l’argent, en parenthèse sauvage aux antipodes de tout mélodramatique : la chair y est sale, meurtrie ; les cœurs y sont violemment déchiquetés, laissant les carcasses vides, à l’instar de ces animaux blessés, chassés, apeurés, qui ponctuent l’image. 
Autre marque de fabrique d'Arnold : sa capacité à trouver à chaque fois des acteurs incroyables : on se souvient de Natalie Press ou de Katie Jarvis ; on se souviendra longtemps de Solomon Glave et James Howson (Heathcliff jeune, puis adulte) et de Shannon Beer et Kaya Scodelario (Cathy jeune et adulte). Dans ce troisième film, la cinéaste assume tout aussi bien ses envies esthétiques que sa volonté de dépouiller le récit, de toucher du doigt l’essentiel, à contre-courant des académismes insupportables et habituels lorsqu’il s’agit d’adaptations littéraires. Pas étonnant qu’elle soit repartie du Festival de Venise 2011 avec un prix technique. Car c’est surtout sur ce terrain là qu'elle épate. Sons triturés, montage acéré, parti pris visuels radicaux (peu de paroles, beaucoup de plans sur une nature indomptée) : tout concourt à faire de sa vision des Hauts de Hurlevent, un jamais vu dans le genre. De ses précédentes galères urbaines, elle garde l’essentiel : des désirs sexuels maintenus sous cloche qui menacent à tout instant de rendre fous, des figures blessées mais encore pleines d’espoir qui subissent la terrible violence d’une lutte des classes sous-jacente, des destins de papillons tristes- attirés par la lumière, entraînés dans le noir.