Poezibao poursuit la publication des notes
reçues autour du livre de Ludovic Degroote, cherchant également par cette
démarche à montrer les multiples approches et lectures possibles d’un même
livre.
note
1 (F.Trocmé)
note
2 (A. Emaz
à venir, note de Matthieu Gosztola
D’entrée, après un passage par la table des matières (il n’est jamais fortuit
de faire un tour dans le paratexte), le titre frappe par son nombre, le singulier,
puisqu’on dénombre quatre monologues, des monologues intérieurs, dont un faux,
le premier, qui est une prosopopée : la voix qui donne le ton et monologue
est une morte, « Monologue de Godeleine » : « je m’appelle
godeleine degroote, je suis morte dans un accident d’auto non loin de
folkestone en angleterre le huit août mille neuf cent soixante-six »,
d’emblée l’auteur place le lecteur devant une possibilité autobiographique. Les
monologues ne sont point continus, mais fragmentés, en morceaux, à l’image de
la voiture accidentée, à l’image des vies des vivants brisées, celle du père,
celle de la mère, celle de ludo, les trois autres monologueurs, et pourtant la
bande-ton est déroulée sur le même fil continu, fragile, presque atone, sans
haussements, ni emphase ; de l’émotion, en réalité ; et on ne s’y trompe
pas, c’est la même voix qui parle, relatant le travail emphatique du porteur
des discours (expliquant en cela le singulier du titre), celle de l’auteur, ouvrant
son propre monologue (« Monologue de ludo ») par le sentiment que
« chacun nous vivons avec des polyphonies intérieures auxquelles nous
n’accédons pas toujours, comme si nous demeurions seulement à l’écoute de
nous-mêmes au lieu de nous ouvrir aux paroles qui nous traversent et que nous
ignorons le plus souvent ». L’auteur ne cherche pas à jouer avec la
réalité sous le couvert de l’auto-fiction, les faits sont exposés sans éclats
(« simplement brûlée, vive »), il n’y a aucun changement d’un
monologue à l’autre, mais cette voix, qu’on entend, presque lancinante, à
force, voix acouphène qui vous rappelle sans cesse à la mort, cette voix qui maîtrise
ses tremblements, essaie, par travail d’empathie, d’éprouver ce que chacun a pu
sentir de disparu en elle ou lui après cette disparition définitive ; nul
pathos. Avec ce livre, Ludovic Degroote poursuit l’écriture de son memento mori, « les morts nous traversent, me peuplent
avec ces vides entre eux corps visibles et constitués… » (écrivait-il dans
Pensées des morts)1 .
Le livre est mince, serré, ainsi pour contenir tout épanchement, ne point
emphaser le deuil qui continue son lent travail de sape intérieur, puisque
quarante années séparent les faits de leur écriture. L’œuvre de Ludovic
Degroote, si on la considère en son ensemble, prend la forme d’une
douleur-monstre, qui peu à peu se dit, à petites touches, livre après livre. Ce
livre est d’une telle discrétion que presque on ressent de l’impudeur à en
parler, mais il serait regrettable de ne pas dire que ce livre est émouvant.
[Jean-Pascal Dubost]
Ludovic Degroote
Monologue
Champ Vallon
11,50 €
1. Tarabuste, 2002