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Pierre Albert-Birot, poèmes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

TROISIÈME POÈME (EXTRAITS)

Si j’étais pour quelque mémoire
Pierre sculptée à la douleur
Sur un vieux tombeau sans couleur
Palais du temps ultime armoire

Serais-je obligé de pleurer
Et de rester sur cette tombe
Jusqu’à ce que ma pierre tombe
En chère poussière à leurrer

Pierre allume une cigarette
Mets un peu de poudre de riz
Sur ton âme et va dans Paris
Vers Notre-Dame de Lorette

Pierre aimé tu n’as pas d’ami
A qui donc livres-tu ton livre
Tu sais que ré ne saurait vivre
S’il ne dormait près de son mi[...]

Poèmes à l’autre moi, précédé de La Joie des sept couleurs, et suivi de Ma morte et de La panthère noire, Poésie/Gallimard, 2005, p. 83.
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Il n’est plus en moi que du soir
Ma vie est un têt sous vitrine
J’ai pris ce matin le grand noir
Qui plaît au froid de ma poitrine

Il neigeait peut-être à l’instant
Sur mon chapeau sur mon silence
C’est doux c’est bon ce faix de blanc
Tout aussi noir que ce qu’on pense

Comme ils sont tristes en tombant
Les flocons c’est de la jeunesse
Qui meurt

Pierre Albert-Birot, Poèmes à l’autre moi, éd. Rougerie, 1982
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plaisir de tuer

I

Certes sur la planète 3 n’y a pas que des rossignols
Tout près de nous vivent aussi de malfaisantes bêtes
Souventefois ces bêtes-là font leur mal avant qu’on les tue
Quelques fois on les tue avant
Ces bêtes ont un corps qui contient leur vie
Qu’on crève ce corps qu’on l’écrase
Et la vie s’est ensauvée
Et soi on est sauvé
Car c’est la vie qui mord ou pique
Corps sans vie est tout à fait inoffensif
Hélas il est d’autres malfaisantes bêtes ayant vie
Mais pas le moindre corps pour la mettre
Et pourtant qui rongent plus qu’un rat
Et venimeuses plus que vipères
En gros ces sales bêtes
On les nomme Soucis

II

Ah si les soucis avaient un corps
Même à peine animal mais visible
Avec quelle rage on bondirait sur la bête petite ou géante
À coups de poings à coups de pieds à coups de masse à coups de feu
Pour soi disant lui casser les membres crever le ventre trouer tête et cœur
L’écraser la piler en faire une bouillie
On aurait chaud on serait las
Mais d’avoir tué et retué la malfaisante bête on aurait joie
Alors on serait frais et dispos
Tout prêt à de nouveau l’assouvir
Ce désir de néant
À coups de poings à coups de pieds
Las rien ces sales bêtes sont invisibles
Tout bien autant qu’une âme
Et sans qu’on les ait vues passer
C’est dans l’âme que bien douillettement elles ont fait leur nid

III

Et c’est là dans ce nulle part que ces riens vont se battre
Et quasiment s’entretuer
Mais sans poings sans pieds sans griffes
Or l’âme est seule et les soucis foisonnent
Âme est forte mais soucis frappent dur
Avec quoi et sur quoi
Qui peut prétendre le savoir
Et pourtant ça mord ça pique ça transperce
Sans bruit sans cris
Dans la plus noire nuit
Et pauvre âme amie de la lumière
Et des sérénités
Est bien obligée de se dire
Ces sales bêtes ne me foutront jamais la paix
Alors d’un sursaut de désir crève cette engeance et la souffle dehors
Puis sans un remords court prendre le frais à la fenêtre de sa tour

Pierre Albert-Birot, « Plaisir de tuer », suite de trois poèmes, [1958]
Manuscrits : 2 p. encre bleue, dos d’enveloppes ; cachet : 28-11-1957
Dactylographies : 1 p. double PAB
Publication : « De temps en temps* » pour 2009
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Coeur coeur coeur

Coeur coeur coeur
Ton coeur bat trop fort
Toctoctoc toctoctoc
Quel printemps dans ton coeur
Il bat double
Il bat triple
Toctoctoc toctoctoc
Il bat les ans froids
Il bat les ans chauds
Il bat les ans fluides
Ton coeur bat trop fort
Le coeur de ton corps
Le coeur de ton âme
Ton coeur est en flammes
Etends-toi toujours
Cette onde courte qui t’emporte
Eh quoi déjà si loin déjà si loin
Déjà si près déjà si près
Déjà si loin déjà si loin
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LE SILENCE

Ni ombre ni lumière
Pas un mot
On tend la main pour cueillir le silence
C’est le silence
Qui prend la main
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Trentième poème

Que de dorures font chant de riche en moi
Quand vient matin
Bouquet offert à naissance
Qui me présente
Chaque jour au jour
Et que je en joie à je donne
Tu viens de naître encore
Aux fêtes du grand Oui
Prends et va
Et prends
Et met tout l’Univers en mouvement
Celui qui se frotte les yeux

Pierre Albert-Birot, Poèmes à l’autre moi, éd. Rougerie, 1982
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Aux Jeunes Poètes

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Pour faire un poème
Pardonnez moi ce pléonasme
Il suffit de ce promener
Quelque fois sans bouger

Regarder dehors et dedans
Avec toutes les cellules
De votre vous

Et voici que vous êtes riche

Mais n’en dites rien à personne
Pour aujourd’hui
Ne faites pas le nouveau-riche
Apprenez les bonnes manières
Car la fortune est peu de chose
à qui ne sait pas s’en servir

Vous voici fécondés

Travaillez façonnez polissez assemblez
Tous ces immatériels matériaux

Maintenant
Que vous avez reçu le monde en vous
Portez le monde qui va naître

Obéissez
Parfois aux lois des autres
Parfois aux vôtres
Parfois encore et surtout

à la Loi
Qui n’est ni des autres ni de vous

Et vous serez aimés
Des mots des sons des rythmes
Qui s’ordonneront pour vous plaire

Soyez triple comme un Dieu
Ou plutôt comme une mère
Et naîtra le poème

Mais j’aurais dû tout simplement vous dire
Copier copier
Religieusement
La vérité que vous êtes
Et vous ferez un poème

à condition que vous soyez poète.
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Arrivé à Paris en 1893, Pierre Albert-Birot pratique tout d’abord la peinture et la sculpture.

Il fonde en 1916 la revue SIC (Sons, Idées, Couleurs), qui se veut le creuset des avant-gardes littéraires et artistiques. Jusqu’en décembre 1919, la revue comptera parmi ses collaborateurs Guillaume Apollinaire, Louis Aragon, Max Jacob, Pierre Reverdy, Philippe Soupault, Tristan Tzara, Severini1… En 1918, il décide de se consacrer uniquement à l’écriture.

En 1933, paraît le roman Grabinoulor que son éditeur Robert Denoël n’hésite pas à présenter comme « un classique du surréalisme », alors qu’Albert-Birot n’a jamais fait partie du groupe, ni signé aucun manifeste et jamais participé à aucune des manifestations. Il suggéra cependant à Apollinaire de sous-titrer sa pièce « Les Mamelles de Tirésias », « drame surréaliste » plutôt que « surnaturaliste » et c’est bien ainsi qu’il est le réel « inventeur » du célèbre terme. En 1966, il déclare qu’il n’était pas « attiré par les arcanes et le fantastique du surréalisme, par ses visions freudiennes »2.

Albert-Birot laisse une œuvre très abondante rééditée par les Éditions Rougerie (poésie, théâtre), Jean-Michel Place (prose) et Gallimard (dans la collection Poésie).

La pièce majeure est l’épopée burlesque des Six livres de Grabinoulor, énorme somme écrite sur cinquante ans et achevée vers 1963, pour n’être publiée qu’en 1991 chez Jean-Michel Place, avec une réédition en 2007. La même année sont publiés huit des vingt-sept chapitres d’un autre ouvrage d’Albert-Birot, Mon ami Chronos, texte inédit écrit en 1935, dans lequel l’auteur disserte sur le Temps

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Œuvres

Poésie

Trente et un poèmes de poche, SIC, 1919
Poèmes quotidiens, SIC, 1919
La joie des sept couleurs, SIC, 1919
La Triloterie, SIC, 1920
Quatre poèmes d’amour, SIC, 1922
La lune ou le Livre des poèmes Jean Budry, 1925
Poèmes à l’autre moi, Jean Budry, 1927
Ma morte, 1931
Le Cycle des douze poèmes de l’année, Éditions des Canettes, 1937
Âmenpeine, Éditions des Canettes, 1938
La Panthère noire, Éditions des Canettes, 1939
Les amusements naturels, Denoël, 1945
Cent dix gouttes de poésie, Pierre Seghers, 1952
Poèmes à l’autre moi, Éditions Caractères, 1954
Dix poèmes à la mer, 1954
La Belle Histoire, Gaston Puel éditeur, 1966
Silex, poèmes des cavernes, Les Cahiers de la Barbacane, 1966
Poésie, 1916-1924 (Trente et un poème de poche, Poèmes quotidiens, La joie des sept couleurs, La Triloterie, La Lune ou Le livre des poèmes), préface d’André Lebois, Gallimard, 1967
Cent nouvelles gouttes de poésie, Les Cahiers de la Barbacane, 1967
Le Train bleu, Saint-Germain des Préx, 1970
Aux trente-deux vents, SIC, 1970
Fermeture hebdomadaire, SIC, 1970
Le Pont des soupirs, EFR, 1972
Six quatrains de Chantilly, SIC, 1973
Long cours, La Grande Couronnée, Rougerie, 1974
Les poèmes du dimanche, SIC 1977
Poésie I, 1916-1920 (Trente et un poème de poche, Poèmes quotidiens, La joie des sept couleurs, La Triloterie), avant-propos d’Arlette Albert-Birot, Rougerie, 1987
Poésie II, 1916, 1924 (La Lune ou le Livre des poèmes), présentation et notes d’Arlette Albert-Birot, Rougerie, 1992
Poésie III, 1927-1937 (Poèmes à l’autre moi, Le Cycle des douze poèmes de l’année), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1982
Poésie IV, 1931-1938 (Ma morte, Âmenpeine), Rougerie, présentation d’Arlette Albert-Birot, 1982
Poésie V, 1938-1939 (La Panthère noire, miniatures), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1983
Poésie VI, 1945-1967 (Les Amusements naturels, Deux cent dix gouttes de poésie), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1983
Poésie VII, 1946-1952 (Aux trente-deux vents, Le Train bleu), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1996
Poésie VIII, 1952-1966 (Dix poèmes à la mer, Tout finit par un sonnet, La Belle Histoire), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1985
Mon palais, Le Pavé, 1985
7 poèmes, Éditions Brandes, 1989
La Grande Vie, Ottezec, 1997

Prose

Cinéma, drames poèmes dans l’espace, SIC, 1920
Le Premier Livre de Grabinoulor, SIC, 1921
Le Catalogue de l’antiquaire, Jean Budry, 1923, puis Amiot-Lenganey, 1993
Grabinoulor, épopée, Denoël et Steele, 1933 (livre I et II)
Rémy Floche, employé, Denoël et Steele, 1934, puis Éditions de l’Allée, 1986
Les Mémoires d’Adam, suivis des Pages d’Ève, Éditions du Dauphin, 1948 puis Éditions de l’Allée, 1986
Grabinoulor Amour, Rougerie, 1955
Grabinoulor, nouvelle édition, extraits des livres I, II, III, préface de Jean Follain, Gallimard, 1964
Grabinoulor, livre III, chapitre deuxième, Éditions de la revue Strophes, 1965
Autobiographie & Moi et moi, La librairie bleue, 1988
Les six livres de Grabinoulor, postface d’Arlette Albert-Birot, Jean-Michel Place, 1991
Cinémas, préface d’Arlette Albert-Birot, Jean-Michel Place, 1995
L’homme coupé, postface d’Arlette Albert-Birot, La Barbacane, 1995.
Poèmes à l’autre moi, précédé de La Joie des sept couleurs, et suivi de Ma morte et de La panthère noire, Poésie/Gallimard, 2005.


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