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Bienvenue chez les Sharpies

Publié le 22 décembre 2012 par Hongkongfoufou

hkff logo Par Hong Kong Fou-Fou

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L'autre matin, je surveillais un examen à l'université et, en observant la cinquantaine d'étudiants que j'avais face à moi, je me suis fait cette réflexion : pourquoi se ressemblent-ils tous ? Et je me suis revu il y a une vingtaine d'années, quand j'étais de l'autre côté de la barrière, sur les bancs de la fac. Dans ma promo, même si la majorité des étudiants était déjà visuellement neutre, il y avait quand même l'inévitable heavy metal kid, l'incontournable baba cool, le type vaguement new wave, etc. Et puis moi, avec mes jeans "feu de plancher" et mon Harrington. Il y avait aussi ce mod arabe que je croisais au restau U. On échangeait un signe de tête, un salut discret, on se comprenait, on appartenait au même monde.

A Fury Magazine, nous cultivons une certaine nostalgie pour une époque où tous les jeunes n'adoptaient pas les mêmes codes vestimentaires et musicaux. Goudurix en a parlé avec ses mots à lui qui nous font mal à la tête à nous (A la recherche du temps perdu). Nous regrettons une époque bénie où tout le monde ne s'habillait pas de la même façon. Aujourd'hui, l'information circule trop et trop vite, les influences se mélangent à un point tel qu'il n'y a plus aucun style qui émerge de la masse. Avant, quand on entendait parler d'un groupe un peu obscur, c'était la croix et la bannière pour se procurer son disque. Mais quand on le tenait entre les mains, on appréciait vraiment l'instant. Aujourd'hui, on peut télécharger n'importe quoi en quelques clics. Un gamin ne peut plus avoir ce sentiment d'exclusivité, cette fierté d'appartenir à une bande avec ses rites et ses règles. Ou alors, une bande de plusieurs dizaines de millions d'individus avec lesquels on n'a forcément pas les mêmes liens qu'avec les copains du quartier où l'on a grandi. Partager une page sur Facebook, ce n'est pas pareil que partager un pack de bières dans un terrain vague.

Les mouvements de jeunes les plus connus sont, bien sûr, les teddy boys, les mods, les skinheads, les punks. Mais il y en a eu plein d'autres, plus ou moins répandus, plus ou moins éphémères. Parmi eux, les Sharpies, qui sont restés une spécificité australienne. Comme les kangourous. Ne pas confondre avec les Sharpei, ça c'est chinois. Il y a quelques années, notre très discret collaborateur Barbidule m'avait envoyé quelques photos de ces curieux individus, que je viens de retrouver.

 

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Les Sharpies et les Brushes (les filles) sont nés à Melbourne, dans les années 60. Une interprétation locale des mods et des skinheads, introduits par les émigrés anglais. A l'origine, ils s'appelaient "Sharps" et ils se frottaient aux mods, comme le montre cette vidéo. Le mouvement a vraiment explosé au tout début des années 70, et a perduré pendant toute la décennie avant de disparaître au début des années 80. Issus de la classe ouvrière, les Sharpies étaient extrêmement violents, déclenchant des bagarres dans les rames de métro, les stades, les festivals. L'un de leurs plus célèbres faits d'armes est d'avoir empêché un concert de Queen. Braves garçons. Une violence qui, comme souvent, n'était que le fruit d'un ennui chronique. Apparemment, Melbourne n'était pas une ville très animée. C'est Ava Gardner qui a dit, après le tournage du film post-apocalyptique "On the beach" en 1959, que "Melbourne était la ville idéale pour tourner un film sur la fin du monde".

Les Sharpies affectionnaient les pulls à rayures et les t-shirts qu'ils portaient trois tailles trop petites (pour se démarquer des hippies avec leurs vêtements amples), les platform boots à bout carré et une coupe de cheveux qui leur aurait valu un grand succès un samedi soir dans les tribunes du stade à Lille ou Valenciennes. Ce qui les caractérisait, c'est qu'ils personnalisaient leur look, en demandant à leur mamie de leur tricoter un cardigan aux couleurs de leur gang, en faisant floquer son nom (celui du gang, pas de mamie) sur leur t-shirt ("Broady Boys", "South Blackburn Sharps"). Ils faisaient même fabriquer leurs souliers selon leurs spécifications. Leur coupe de cheveux est un grand mystère. On part d'une "crop" classique à la skinhead et on laisse les cheveux longs sur la nuque, en décolorant souvent cette espèce de queue. Si ça se trouve, le premier Sharpie ne voulait pas ressembler à ça, mais la tondeuse de son coiffeur est tombée en panne avant d'arriver au bout... La mullet maudite... Ils ont été les premiers à porter des anneaux aux oreilles et, à une époque où on ne pouvait pas se faire tatouer si on était mineur, ils arboraient des tatouages approximatifs qu'ils se faisaient souvent entre eux. Niveau musique, les Sharpies écoutaient du glam rock, Slade en tête, puis des groupes australiens comme AC/DC, Lobby Lloyde and the Coloured Balls, Skyhooks, La Femme. Ils ont développé une façon de danser qui leur est propre, et qui justifie de perdre quelques minutes pour regarder la vidéo ci-dessous. Un Sharpie qui sortait du lot, tant sur une piste de danse que dans une bagarre, s'appelait un "top fella".

Les Sharpies ont disparu à cause de leur violence, qui les faisait interdire dans les discothèques ou les salles de concert. Et aussi parce que, selon le schéma habituel, ils ont été récupérés par les media, la société de consommation s'est emparée du phénomène, les magasins ont proposé des vêtements "sharps" tout faits, les mamies désespérées ont rangé leurs aiguilles à tricoter, etc. Dès qu'un mouvement qui se veut "hors norme" devient la norme, il est temps d'arrêter... Comment, Wally ? Les media ont mis les Sharpies en charpie ? Très bon, ça, tu n'oublieras pas de venir chercher ta prime de Noël.

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Un lien vers l'excellent site Crazee Kids, pour les fans de glam et autres, avec deux compilations "Sharpies" à télécharger : http://crazeekids-music.blogspot.fr/search/labe/*%20VA%20-%20Sharpies%20Attack%20-%2071-79 Et un lien vers un site australien sur les Sharpies : http://skinsnsharps.com Malheureusement, ils organisent des réunions d'anciens, ça devient tout de suite un peu pitoyable...


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