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Alessandro Baricco | Vierge à l’Enfant

Publié le 24 décembre 2012 par Angèle Paoli


Mantegna, Madonna poldi pezzoli

Andrea Mantegna (1431–1506),
Vierge à l'Enfant, 1490-1500
Tempera sur toile, 45 x 36 cm
Milano, Museo Poldi Pezzoli
Source


[VIERGE À L’ENFANT]

[…] ce tableau représente une mère vierge et son enfant.

Disons qu’il le fait comme si une infinité de mères vierges d’une infinité d’enfants avaient été rappelés ici, du lointain où elles demeuraient, pour tendre vers une seule possibilité, en oubliant leurs négligeables différences et singularités — rappelées à une posture unique, d’une intensité condensée. Chaque mère vierge et chaque enfant, donc — ça aussi c’est important. Dans un geste tendre de la Madone, par exemple, se concentre toute la mémoire de chaque tendresse maternelle — la tête inclinée d’un côté, sa tempe touche celle de l’Enfant, la vie passe, le sang bat — dans la tiédeur.

L’Enfant a les yeux fermés et la bouche grande ouverte —  agonie, prophétie de mort, ou faim seulement. Sa mère vierge lui tient le menton avec deux doigts — un cadre. Blancs les langes de l’enfant, pourpre le manteau de la mère vierge — noir le voile, qui les couvre tous les deux.

Totale est l’immobilité. Il n’y a pas de poids susceptible de tomber, de pli prêt à s’effacer, ou de geste à achever. Ce n’est pas un arrêt dans le temps, une faille entre un avant et un après — c’est l’éternité.

Sur le visage de la mère vierge, une main invisible a gommé toute expression possible, laissant un signe qui n’a pas d’autre sens que lui-même.

Une icône.

Si on la fixe un long moment, le regard s’y abîme graduellement, suivant une trajectoire qui semble inévitable — presque hypnotisé. Ainsi chaque détail se dissout, et à la fin la pupille ne bouge plus, avec le regard, mais se focalise sur un point unique, où elle voit tout — le tableau entier, et chaque monde convoqué ici.

Ce point se situe au niveau des yeux. Les yeux, sur le visage de la Madone. C’était une norme de beauté qu’ils n’expriment rien. Vides —  en effet ils ne regardent pas, ils sont faits pour recevoir le regard. Ils sont le cœur aveugle du monde.


Alessandro Baricco, Emmaüs [2009], Gallimard, Collection Du monde entier, 2012, pp. 129-130. Traduit de l’italien par Lise Caillat.



ALESSANDRO BARICCO

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■ Alessandro Baricco
sur Terres de femmes

25 janvier 1958 | Naissance d’Alessandro Baricco




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