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Penser le monde aujourd'hui avec Madame Bovary

Par Sergeuleski

   Nul doute, le XXe siècle aura été le siècle de Madame Bovary, roman prémonitoire paru en 1857 !

Siècle de toutes les ambitions démesurées que ce XXe siècle !  Siècle du bovarisme par excellence donc, siècle de la fuite en avant vers toutes les utopies, et par voie de conséquence, siècle de toutes les insatisfactions, de toutes les frustrations et autres névroses et dépressions sans nombre - dépressions à la fois économique et mentale, autre maladie de ce siècle.

Siècle des désillusions jusqu'à la déchéance, la banqueroute financière et la faillite de toutes les idéologies, des plus liberticides aux plus libérales...

 Madame Bovary de Claude Chabrol - 1991 : "Que celle ou  celui qui n'a jamais fauté, lui jette la première pierre !"

Siècle surréaliste, comme un fait exprès ! Siècle à peine remis de la révolution de 1789, se payant le luxe d'une autre révolution, celle de 1917 ! Siècle romanesque qui signera pourtant la mort du roman...

Siècle d'une fin de siècle pour une fin de l'Histoire et de toutes les histoires, même les plus saugrenues ou mensongères, et le début d'une autre... celle du mensonge de sa propre fin...

   Le bovarisme "en ces temps compliqués qui sont les nôtres, où les violences symboliques et les mensonges sociaux ont atteint de tels degrés de ruses que même les plus malins s’y laissent prendre, en ces temps paradoxaux où les utopies sont moribondes mais où les illusions sont reines, prendre un peu de temps pour relire tout ce que Georges Palante et Jules de Gaultier ont à nous dire sur le principe du bovarysme ne peut que nous être profitable."

  Stéphane Beau

 

***

 

Le terme de Bovarysme, contrairement à ce que l’on lit parfois, ne vise pas à dénoncer un quelconque « dérèglement » psychologique, un glissement pathologique dans le monde du fantasme ou du rêve, ou un refus du monde réel. Le bovarysme n’est pas une maladie : c’est un état de fait généralisé, propre à tous les humains, et au-delà à tout ce qui est, état de fait qui consiste à poser comme postulat que « toute réalité qui se connaît elle-même se connaît autre qu’elle n’est.»

Le Bovarysme a le vent en poupe. Cette résurrection est d’autant plus appréciable qu’elle génère du même coup un regain d’intérêt pour deux auteurs : Jules de Gaultier et Georges Palante.

Pour Jules de Gaultier, le problème majeur qui se pose à l’homme, c’est l’incapacité foncière qui est la sienne d’avoir une connaissance effective de la réalité. Selon lui, tout se joue au moment précis où le moi se tourne vers la réalité extérieure et entreprend de la caractériser : « L’acte premier par lequel l’esprit distingue le moi du monde extérieur est l’acte créateur essentiel. C’est lui qui, tirant de l’unité, du continu, de l’informe, de l’insaisissable cette dualité du monde et du moi, fait surgir le phénomène et s’avère l’auteur de toute diversité ».

Le problème, c’est que la réalité phénoménale ainsi générée n’est pas figée, donnée, invariable, mais perpétuellement réévaluée et reconstruite et toujours décalée par rapport à la volonté de connaître qui l’a instituée. C’est la raison pour laquelle « elle se dérobe aux mesures rigides qui la veulent fixer. Elle se meut, elle devient, cela signifie qu’elle est à tout moment autre qu’elle n’était, que c’est sa loi en quelque sorte, de se mentir éternellement à elle-même ».

Posant comme postulat que notre perception de la réalité repose nécessairement sur une illusion, Jules de Gaultier entreprend, tout au long de sa vie, de répondre à la question suivante : comment accéder au plus près de la vérité quand on sait que la logique même du fonctionnement de la conscience humaine participe à nous en écarter. Puisque le rationalisme n’est jamais rien d’autre qu’une illusion qui s’ignore.

Même s’il n’est pas à proprement parler l’inventeur du terme « bovarysme », Gaultier est celui qui lui a donné ses lettres de noblesse, et qui l’a défini comme suit : « faculté départie à l’homme de se concevoir autrement qu’il n’est ». Dans un premier temps, en 1892, dans Le Bovarysme, la psychologie dans l’œuvre de Flaubert (Réédité en 2007 aux éditions du Sandre), Jules de Gaultier, insiste plutôt sur le caractère « pathologique » du bovarysme, et sur le fait que le destin tragique d’Emma Bovary s’explique essentiellement par le décalage trop important que la jeune femme a créé entre la réalité idéale qu’elle s’est inventée et sa réalité propre. Mais cette explication contient déjà, en soi, les germes de l’évolution du sens qu’il donnera par la suite au bovarysme, et notamment en 1902, dans un nouvel ouvrage: Le Bovarysme, essai sur le pouvoir d’imaginer. En effet, plus que le principe bovaryque en lui-même, c’est l’excès d’illusion qui semble avoir été préjudiciable à Emma Bovary. Et cet excès ne doit pas faire oublier que, non seulement la faculté de se concevoir autre qu’on est, est universelle, mais qu’avant même d’être un principe « pathologique », c’est un principe essentiel à la vie et à son évolution. Et pour Jules de Gaultier, cette idée est vraie aussi bien au niveau individuel, qu’au niveau social ou même qu’au niveau « métaphysique ». L’illusion est la base même de toute connaissance : connaître, c’est reconstruire pour un « moi » inaccessible un double d’une réalité qui lui restera toujours étrangère. Et c’est cette logique de reconstruction qui pousse les individus, mais aussi les nations, l’humanité, à sortir de l’immobilité pour aller perpétuellement de l’avant.

Georges Palante, pour sa part, s’est moins intéressé au bovarysme en tant que tel qu’à la manière dont Jules de Gaultier le pense et le décrit. Ainsi à la lecture plutôt dualiste de Jules de Gaultier qui oppose, en quelque sorte, un « moi véritable » et inaccessible aux reconstructions bovaryque que l’on se fait de ce « moi », Palante défend plutôt l’hypothèse que ce clivage entre un « moi véritable » et un « moi illusoire » n’existe pas, et que chaque homme est en réalité constitué d’une multitude de petits « moi » qui ont plus ou moins conscience les uns des autres, et qui prennent le pouvoir en fonction des circonstances.

Pour Palante, le refus de la réalité, même s’il mène au tragique, est un acte de refus légitime, un devoir de résistance des individus confrontés aux violences et aux mensonges de la réalité sociale et économique.

   Stéphane Beau.

 

 

Pour prolonger...

   Cliquez http://calounet.pagesperso-orange.fr/resumes_livres/palan...


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