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Une longue histoire Uzun Hikaye

Par Memoiredeurope @echternach

Une longue histoire Uzun Hikaye

Chaque année, le cinéma Odyssée de Strasbourg organise une quinzaine du cinéma turc. C’est une chance puisque l’exploitation commerciale en France des films venus de Turquie est très restreinte, contrairement à l'Allemagne où il existe un public directement intéressé.

On a pu cependant découvrir Fath Akin depuis plusieurs années grâce à la projection de « Crossing the bridge – the sound of Istanbul » qui nous a donné en 2005 l’image d’une ville musicale en plein mouvement souterrain, ce qu’a bien confirmé au plein jour cette fois la capitale européenne de la culture. Nous avions organisé une avant-première de ce film à Luxembourg dans le cadre de la semaine du patrimoine des migrations. « De l’autre côté », du même auteur a continué quelques années plus tard à infiltrer les mémoires croisées de plus en plus intriquées entre l’Allemagne et la Turquie, mémoires auxquelles Ohran Pamuk a lui aussi rendu un hommage contrasté, en traversant les lignes du racisme ordinaire et du fondamentalisme grandissant dans plusieurs de ses romans.

Mais il existe également un cinéma turc qui regarde de près les grandes machines américaines et cherche à déjouer des complots internationaux, à la manière du septembre noir qui a déstabilisé l’Empire. Le « Labyrinthe » (Labirent) de Tolga Örnek est de cette veine et, avec un budget qui ne se compare même pas avec ses équivalents hollywoodien, il réussit à décrypter les manœuvres internationales qui se cristallisent dans l’œil du cyclone géopolitique que constitue la ville du Bosphore avec beaucoup de vraisemblance et de dynamisme.

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Et il existe surtout un cinéma turc qui joue le rôle de poil à gratter social en restant bien sagement dans la lignée d’une sorte de légende dorée où le mal et le bien s’affrontent en permanence comme dans les épopées vengeresses de Mémed le Mince ou de Mémed le Faucon de Yaşar Kemal qui sont parus en langue française juste au moment où j’ai découvert l’Anatolie au milieu des années soixante-dix, mais qui défie en permanence la ligne de démarcation des codes implicites.

Toute la déclinaison des méchants : les policiers véreux, les élus corrompus, les fonctionnaires peureux, les jaloux religieux de tous poils, côtoient la veuve éplorée et ses filles exposées au commérage, les amoureux contrariés et les jeunes gens courageux qui veulent travailler.

Les familles étouffantes se confrontent entre les traditions sociales laïques issues du Kémalisme, les traditions religieuses réinventées au profit d’un Islam politique et les légendes et contes sensuels venus des Mille et une Nuits, entre Orient proche et Orient fantasmé. On pleure et on rit, on se désire avec pudeur, mais avec des regards appuyés. On sait que les enfants doivent se couvrir les yeux pour respecter l'intimité fragile de leurs parents.

« Mes insomnies de la pleine lune » (Aybüyürken uyuyaman) de Serif Goren était de ceux-là, filmé dans une atmosphère qui pourrait faire penser, par le côté rêve aquarellé, avec toutes les distances temporelles et culturelles posées, aux « Nuits de la pleine lune » de Rohmer et d’autres comédies et proverbes que le cinéaste français a déclinés.

« Une longue histoire » d’Osman Sınav est aussi une « belle histoire » qui, durant deux heures, boucle un cycle de trente années entre fin de guerre mondiale et climax de la guerre froide, entre le couple du père qui fuit sa réputation sulfureuse de socialiste venu de Bulgarie et couple naissant du fils.

Un père éternellement souriant qui sait à quel moment il doit écrire sa révolte et qui a dû enlever sa femme pour restaurer l'honneur de l'amour dans la balance de l'honneur des traditions. Et le couple du fils qui ravit lui aussi une jeune femme à sa famille après l’avoir arrosée de pétales de roses et qui vient se réfugier avec elle dans le wagon désaffecté où toute l’histoire de la famille a commencé.

Une longue histoire Uzun Hikaye

Il n’y a plus aujourd’hui de Bulgarie communiste, mais une Bulgarie qui se cherche, comme se cherchent tous les orphelins. Il n’y a pratiquement plus de turcophones en Bulgarie. Il reste cependant une mémoire flottante de l’autre côté de la frontière et des villages abandonnés que j’ai visités il y a quelques années et qui sont eux orphelins de père et de mère.

Il y a des individus meurtris à qui on a montré les injustices au sein même de la morale officielle. Il y a enfin de plus jeunes générations qui disent qu’il faut parler et raconter et faire du cinéma, un cinéma fondateur.

Celui qui décline le début de l’histoire…Il était une fois un pays né d’un Empire où l’on savait raconter les légendes, entre Méditerranée et mers de l’Afrique et de l’Asie. Il y avait des Sultans qui avaient jeté leurs armées vers l'Ouest et vers le Sud...Il y a aujourd'hui des réfugiés qui passent la frontière, là où saint Paul est venu prêcher et il y a le sentiment qu'il va falloir raconter le cycle suivant et l'horreur qui tue les jeunes gens souriants.

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