Salomon Koninck (Amsterdam, 1609-1656),
Le peseur d'or, 1654
Huile sur toile, 75,7 x 64 cm, Rotterdam, Musée Boijmans Van Beuningen
Pour la troisième année consécutive, Passée des arts vous propose sa sélection des enregistrements incontournables qui ont marqué l'année qui s'achève. Comme à chaque reprise, il me semble nécessaire de préciser d'emblée que ce palmarès, même s'il a été établi avec tout le sérieux que je dois tant à vous, chers lecteurs, qu'aux artistes et à ceux qui éditent leur travail, est forcément partiel puisqu'il est le reflet des disques que j'ai été en mesure d'écouter et de chroniquer, et donc assujetti à mes goûts mais aussi aux contraintes matérielles avec lesquelles, comme tout un chacun, il me faut composer, qu'il s'agisse du temps nécessaire pour écrire une recension – je me refuse et me refuserai toujours à rendre compte d'une parution en dix lignes hâtives dont la seule justification tiendrait à des affaires d'accointances ou de bon plaisir – ou des questions liées à la mise à disposition des disques eux-mêmes.
Alors que nul ne songerait à nier la crise de la production discographique qui sévit partout, en dépit de quelques signes de reprise encourageants en Europe du Nord, et freine des projets passionnants au profit d'un tout-venant de plus en plus racoleur dont le vide du propos est souvent sidérant, 2012 a été une année riche en enregistrements passionnants et parfois audacieux ; ce blog vous en a proposé 44, un chiffre qui peut paraître faible mais qu'explique en partie un tri scrupuleux effectué en amont, et distingué 20 d'entre eux pour leurs qualités en leur attribuant un Incontournable de Passée des arts, matérialisé par le logotype ci-dessus. Parmi ces 20 réalisations, j'en ai retenu 12 et, nouveauté de cette année, j'ai élu parmi elles un disque de l'année ; si, en 2011, l'extraordinaire lecture des Musikalische Exequien de Schütz par Vox Luminis (Ricercar, voir ici) se serait imposée sans mal, les possibilités se sont révélées nettement plus ouvertes pour 2012.
Je vous invite maintenant à découvrir ce choix, accompagné, à chaque fois, d’un des extraits inclus dans la chronique originale qu’il vous est possible de lire intégralement en cliquant sur l’image de la pochette du disque concerné.
« Cet enregistrement immortalise la rencontre entre des pièces dont tout amateur mesure l’importance dans la littérature pour clavier du XVIIIe siècle et un instrument d’exception ressuscité, avec tout le talent qu’on lui connaît, par Laurent Soumagnac (…) Une des plus belles réussites de cette réalisation réside sans doute dans l’étonnante sensation de proximité, de familiarité qu’elle dégage, découlant non seulement d’un travail préparatoire de qualité ayant permis à [Violaine Cochard] de mûrir sa vision, mais aussi de sa volonté de faire vivre et de transmettre cette musique avec le plus de spontanéité et de naturel possible. »
Johann Sebastian Bach (1685-1750), Préludes et autres fantaisies. Violaine Cochard, clavecin Joannes Daniel Dulcken, c.1740. 1 CD agOgique AGO002. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Fantaisie en la mineur, BWV 922
« Ces œuvres dont on est heureux de saluer la sortie de l’ombre démontrent que Félicien David est un coloriste souvent inspiré et surtout un mélodiste d’exception, dont les thèmes réussissent à être originaux tout en semblant familiers et dont la simplicité souvent touche le cœur. (…) Tour à tour tranchants, volubiles, facétieux, tendres, éperdus, [les musiciens] offrent un reflet très émouvant, parce qu’à la fois respectueux et senti, d’un compositeur qui, au soir de sa vie, confie à ses quatuors comme on le ferait à un journal intime, les émotions contrastées qui ont façonné le cours d’une existence extrêmement changeante. »
Disque de l'année 2012
Félicien David (1810-1876), Quatuors à cordes. Quatuor Cambini-Paris. 1 CD Ambroisie/Naïve AM 206. Ce
disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Quatuor n°4 en mi mineur : [I] Allegro ma non troppo
« Ici, l’ennui ou la neutralité ne menacent jamais, les interprètent transmettant avec un égal bonheur l’élévation spirituelle naissant des lignes décantées de la Missa In illo tempore, la tendre ferveur des antiennes mariales et les sentiments d’angoisse ou de désolation des motets de Wert. Il convient également de saluer la qualité de la réalisation artistique signée par Jérôme Lejeune, qui a pris des risques importants en enregistrant ce programme dans l’acoustique réverbérante de la Basilique Santa Barbara de Mantoue ; les décisions à la fois pragmatiques et intelligentes ayant présidé à la disposition des musiciens et à la captation de leur prestation aboutissent à une image sonore pleine et lisible. »
Claudio Monteverdi (1567-1643), Missa In illo tempore. Odhecaton, Paolo Da Col, direction. 1 CD Ricercar RIC 322. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Claudio Monteverdi : Misso In illo tempore, Agnus Dei à 6 &7
« Un des points remarquables de la partition est sa variété car si Dubois offre, de bout en bout, une musique qui ne déroge jamais aux canons esthétiques de son temps (…), l’ennui ne menace pas un instant, la tension étant maintenue par d’incessants changements de registre (…) et par un sens dramatique très sûr. (…) Geoffroy Jourdain (…) semble avoir pris, avec autant d’humilité que de sensibilité, l’exacte mesure de la musique de Dubois, qu’il restitue avec une intelligence et un naturel absolument confondants, creusant les contrastes sans jamais les hypertrophier, offrant aux musiciens tout l’espace dont ils ont besoin pour s’épanouir sans que jamais le relâchement ou l’affadissement menacent la netteté de la ligne. »
Théodore Dubois (1837-1924), Le Paradis perdu. Solistes, Les solistes des Siècles, Les Cris de Paris, Geoffroy Jourdain, direction. 2 CD Aparté AP 030. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Deuxième partie : « Flammes toujours vivantes » (Les Damnés)
« Pour être tout à fait honnête, Hervé Niquet n’est pas le chef auquel on aurait pensé le plus immédiatement pour défendre une partition datant d’un siècle où il ne s’est pas souvent aventuré. (…) L’écoute du disque, grâce à un choix et à une disposition également judicieux des différentes pièces, captive immédiatement et retient durablement l’auditeur qui découvre sans cesse, au fil des écoutes, de nouvelles dimensions de cette musique, dont le Concert Spirituel rend avec un bonheur presque physique la monumentalité mais aussi la richesse kaléidoscopique née d’infinies variations de textures induites, entre autres, par les imitations ou les effets d’écho, ou le déploiement d’une très large palette de couleurs. »
Alessandro Striggio (c.1536-1592), Missa sopra Ecco sì beato giorno, à 40 et 60 voix, Le Concert Spirituel, Hervé Niquet, direction. 1 SACD Glossa GCDSA 921623. Ce disque peut-être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Alessandro Striggio, Missa : Sanctus
« Une des particularités de l’héritage de l’Italie du Trecento, et c’est ici celui qui nous intéresse, est qu’elle nous lègue, bien plus que tout autre foyer artistique à la même époque, un riche corpus de musique instrumentale, en particulier pour clavier. (…) [La] virtuosité jamais prise en défaut [de Corina Marti] est toute entière mise au service de l’expressivité et l’on reste admiratif devant la capacité d’une interprète qui, faisant fi de tout systématisme ou de tout rigorisme desséchants, prend un plaisir visible et communicatif à varier les climats, passant de la joie lumineuse d’un Saltarello à la mélancolie diffuse d’une chanson d’amour, et à faire de chaque morceau, aussi concis soit-il, un univers à part entière, pensé et ciselé dans ses moindres détails. »
I dilettosi fiori, musiques du Trecento. Corina Marti, clavisimbalum, flûtes à bec & flûte double. 1 CD Ramée RAM 1108. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Anonyme (Codex Faenza, f. 93r-94r), Pièce sans titre
« Plutôt qu’enregistrer une de ses œuvres, Antoine Guerber et ses chantres ont adopté une démarche originale en choisissant de l’évoquer de manière indirecte, au travers des hommages qui lui furent rendus par ses contemporains de son vivant et après sa mort. (…) Ce disque plein d’intelligence atteint son but : il rend sensible l’admiration que ses pairs portaient à l’immense compositeur qu’était Ockeghem comme la peine qu’ils éprouvèrent lorsqu’il mourut et cette sincérité perceptible dans les œuvres choisies atteint, comme un fil ininterrompu entre les horizons lointains de la fin du Moyen Âge et aujourd’hui, les chantres et l’auditeur. »
Plorer, gemir, crier… Hommage à la « voix d’or » de Johannes Ockeghem. Diabolus in Musica, Antoine Guerber, direction. 1 CD Æon AECD 1226. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Jacob Obrecht, Missa Sicut spina rosam : Sanctus
« Si [Onslow] n’est pas un révolutionnaire des formes et s’en tient toujours assez strictement à celles définies par les classiques viennois, il se montre, en revanche, très perméable aux avancées musicales de son temps, en particulier germaniques. (…) Sans l’ombre d’un doute, cette réalisation brillante et très équilibrée, toute entière placée sous le signe de l’intelligence et de la complicité, constitue non seulement un apport majeur à la discographie d’Onslow mais permet également de lever un peu plus le voile sur l’extraordinaire richesse de la production chambriste française, trop souvent ignorée, de la première moitié du XIXe siècle. »
George Onslow (1784-1853), Quatuors. Quatuor Ruggieri. 1 CD agOgique AGO006. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Quatuor en fa mineur op. 9 n°3 : [I] Moderato
« Armé de moyens techniques extrêmement solides et d’une imagination aiguisée, Christophe Rousset pétrit à pleines mains et avec une jouissance perceptible la pâte sonore qui s’offre à lui et lui insuffle une intensité vitale que l’on chercherait en vain ailleurs à ce degré d’incandescence. Mais là où d’autres se seraient laissés entraîner sur la pente d’une interprétation où seule prime le muscle, le musicien montre également qu’il sait user de toute la subtilité nécessaire pour croquer tel portrait ou suggérer telle atmosphère avec une indiscutable justesse de ton et de sentiment. »
Jacques Duphly (1715-1789), Pièces de clavecin. Christophe Rousset, clavecin Christian Kroll, 1776. 2 CD Aparté AP043. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : La de Drummond (Quatrième Livre, 1768)
« Les amateurs de folklore facile avec percussions tonitruantes et ou de versions certifiées Technicolor et carton-pâte en seront pour leurs frais ; Brigitte Lesne et ses compagnons, avec ce naturel désarmant qui ne s’obtient qu’au prix d’un véritable travail de fond, nous livrent un Thibaut débarrassé de tous les oripeaux inutiles qui, en tentant de la surligner, anéantiraient sa poésie, un Thibaut aux milles séductions, à la fois gouailleur, enamouré et parfois terrible, toujours d’une grande densité humaine et émotionnelle. »
Thibaut de Champagne (1201-1253), Le Chansonnier du roi, amour courtois et chevalerie au XIIIe siècle. Alla francesca, Brigitte Lesne, direction. 1 CD Æon AECD 1221. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Dou tres douz non a la virge Marie, chanson pieuse
« La gambiste Lucile Boulanger et le claveciniste Arnaud De Pasquale (…) signent ici un premier disque mieux que prometteur, déjà très maîtrisé et pleinement abouti. (…) Leur interprétation chante magnifiquement et si elle est déborde d’une sève vigoureuse, elle sait également prendre son temps pour permettre à la musique de s’épanouir pleinement et de développer des parfums souvent capiteux, loin de la chair triste des visions émaciées ou précautionneuses. Sans rien retrancher à la renommée des lectures qui ont, jusqu’ici, marqué la discographie de ces Sonates pour clavecin et viole de gambe de Bach, la spontanéité raffinée et l’intelligence pleine de fraîcheur de ces nouveaux venus font, à mes yeux, pencher la balance en leur faveur. »
Johann Sebastian Bach (1685-1750), Sonates pour clavecin et viole de gambe. Lucile Boulanger, basse de viole & Arnaud De Pasquale, clavecin. 1 CD Alpha 161. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Sonate pour clavecin et viole de gambe en sol mineur BWV 1029 : [I] Vivace
« Ce disque était attendu à la hauteur des espérances que pouvaient susciter la réputation des musiciens. (…) Elles ne sont pas déçues un seul instant et font de cette réalisation un moment à marquer d’une pierre blanche (…) Ceux qui connaissent le travail de Kristian Bezuidenhout se réjouiront de retrouver ici (…) son toucher qui équilibre idéalement puissance et finesse, son sens inné du détail et la justesse de son ornementation, toujours impeccablement dosée, son éloquence raffinée, et les familiers du Freiburger Barockorchester se régaleront du festin de couleurs qu’il propose, avec des vents charnus ayant conservé le très léger zeste de rugosité propre à mieux encore souligner leur caractère et des cordes sonnant à la fois avec densité et transparence, sans une once d’acidité. »
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Concertos pour piano n°17 et n°22. Kristian Bezuidenhout, pianoforte, Freiburger Barockorchester, Petra Müllejans, premier violon. 1 CD Harmonia Mundi HMC 902147. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extrait proposé : Concerto pour piano n°22 : [III] Allegro