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Le trésor d'un collaborateur gaulois

Par Memophis

Le chef d'une troupe d'auxiliaires gaulois de l'armée romaine avait caché la solde prévue pour sa troupe. On a retrouvé ce trésor, qui en dit long sur les rapports qui prévalaient avec les légions romaines.

François Savatier   Loïc de Cargoüet, Inrap

Les restes du trésor gaulois de Bassing. D'une valeur d'un demi-denier, ces quinaires frappés par diverses cités gauloises illustrent le mélange de thèmes celtiques et gréco-romains qui caractérise les monnaies de la fin de l'indépendance gauloise.

Loïc de Cargoüet, Inrap
Loïc de Cargoüet, Inrap

Véritable rareté, cette monnaie en argent du peuple des Ségusiaves (vivant près de Lyon) est gravée à l’effigie de la « Rome casquée », thème peu fréquent sur les monnaies gauloises (quatre ont été découvertes à Bassing). Elle illustre la romanisation déjà en cours chez les peuples du Sud de la Gaule, encore indépendante.

Loïc de Cargoüet, Inrap
Loïc de Cargoüet, Inrap

Le cheval est l'un des thèmes typiquement celtiques fréquents sur les monnaies gauloises.

Loïc de Cargoüet, Inrap

Pour en savoir plus

Le trésor d'un collaborateur gaulois
Dossier Pour la Science N°61
octobre - decembre 2008
Gaulois, qui étais-tu ?

L'auteur

Francois Savatier est journaliste àPour la Science.

Il faut payer la milice gauloise. En attendant le jour de solde, son chef cache l'argent chez lui. Mais il n'y reviendra sans doute jamais, et, 2030 ans plus tard, ce sont les archéologues de l'INRAP qui retrouvent ce trésor.

Une équipe lorraine de l'INRAP dirigée par Jean-Denis Lafitte et Laurent Thomashausen était venue à Bassing, en Moselle, sauver les restes d'une ferme aristocratique gauloise – ce que ces archéologues nomment une « ferme indigène ». Ce chantier d'archéologie préventive était prometteur. Occupé pendant 800 ans depuis le IVe siècle avant notre ère jusqu'au Ve siècle de notre ère, le site avait été entièrement enclos à l'époque laténienne (du IVe siècle à l'an 58 avant notre ère) par un large fossé doublé d'une palissade sur butte, structure défensive typique des résidences des aristrocrates guerriers gaulois, que César nommait chevaliers (equites). De plus de 3,5 hectares, la superficie de cette ferme aristocratique signait par ailleurs son importance, tandis que sa situation en territoire médiomatrique (Metz) promettait de nouvelles données sur l’élite de ce petit peuple coincé entre les Trévires (Trèves) et les Leuques (Toul).

D’origine rhénane, ces trois peuples gaulois appartiennent au groupe des Belges orientaux. Très tôt, ils furent en contact avec l’influence romaine qui pénétrait le long de la vallée du Rhin. Ils ne furent guère hostiles à César, et ne participèrent pas à l'armée gauloise qui vint au secours d’Alésia. Ils commercèrent activement avec les légions pendant la guerre des Gaules, sans doute pour leur fournir du blé (César le mentionne dans le cas des Leuques) et des chevaux, qu'ils élèvaient en nombre. En conséquence, leurs élites ont sans doute bien survécu aux vastes purges des partis antiromains à la suite de la victoire romaine d'Alésia. Certaines entrent de fait dans la clientèle des légions romaines pendant les dizaines d’années que durera encore la guerre jusqu'à la soumission complète des Gaules.

C’est un témoignage frappant de ce phénomène que les archéologues ont mis au jour à Bassing. Outre les vestiges d’exploitation agricole attendus dans une ferme aristocratique gauloise – outils de tonte des moutons, haches, etc.–, et les habituels témoignages de la vie quotidienne – céramiques gauloise et romaine, bijoux, monnaies d'or, couteaux, clés, etc, ce sont les témoignages de la présence d'une troupe militaire qui frappent le plus.

Ainsi, il semble qu'une fabrique de fibules et d'insignes (broches) à agrafer sur les habits militaires se tenait sur place, sans doute pour équiper les soldats d'une troupe auxiliaire gauloise. Les archéologues ont en effet retrouvé quelque 120 fibules et rebuts de production, ainsi que d'autres parties métalliques de l'équipement du soldat. Un tel nombre excède de loin les découvertes du même genre sur des sites gaulois comparables. Parmi ces vestiges, une rare fibule de manteau de légionnaire de 12 centimètres de long. Les fibules jouant un rôle important chez les Gaulois dans l'affichage du rang social, celle-ci n'a pu que servir de marqueur du rang militaire au sein de la troupe gauloise. Les archéologues ont aussi retrouvé un poignard de légionnaire romain, une de ces armes de prestige qui contribuait surtout à l’apparence que le guerrier romain aimait se donner. Tout aussi rare est la découverte de plusieurs embouts de trompettes de guerre, d'origine italique, semble-t-il.

Tout cela évoque une ambiance militaire, certes gauloise, mais sous forte influence romaine. La découverte de ce qui devait être la solde de la troupe confirme cette impression. L'équipe de J.-D. Lafitte a en effet rassemblé les restes d'un dépôt de monnaies, qui, bien que sans doute réduit par les trouvailles fortuites et les labours, comporte pas moins de 1165 pièces de monnaie ! Parmi elles, 1 111 sont des quinaires, une pièce d’environ 1,8 gramme d’argent, qui valait un demi-denier d’argent romain (denarius). Et 76 pour cent d'entre elles proviennent des puissantes cités gauloises du Sud (Éduens, Lingons ou de chez les Séquanes voisins), tandis que 14 pour cent proviennent des cités de l’Ouest ou du Centre (Carnutes, Senons, Bituriges, Ségusianes, Arvernes) et seulement trois pour cent de chez les Belges de l’Est que sont les Trévires, les Médiomatriques et les Leuques locaux. Plusieurs interprétations sont possibles : soit le commerce du blé avec les légions a enrichi les élites de ces derniers peuples en monnaies issues des autres cités, qui payaient des tributs aux Romains ; soit, en attendant de pouvoir diffuser les monnaies romaines romaines dans les Gaules pacifiées, les Romains avaient permis à des aristocrates gaulois de leur clientèle de battre monnaie pour payer des milices d'auxiliaires, qu'ils leur demandaient d'entretenir pour les aider à pacifier les campagnes gauloises.

Quoi qu’il en soit, une chose frappe dans ces monnaies : celles des peuples du Sud reproduisent davantage de thèmes grecs (vieille tradition gauloise), mais surtout romains, mêlés à des sangliers, des chevaux stylisés et autres motifs typiquement celtiques. C'est l’un des paradoxes de la guerre des Gaules : les peuples qui furent les premiers sous l'influence de Rome, mais aussi à la combattre, étaient aussi nettement plus romanisés que les peuples belges orientaux, encore très celtiques, bien qu'ils fussent presque alliés des légions pendant la campagne d'Alésia. Une fois que la paix a été établie dans le sang, ces derniers commencèrent eux aussi à subir l'implacable pression romaine, au point que dans les années 50 avant notre ère, les Trévires se sont rebellés.

Or selon le numismate Pierre-Marie Guihard, spécialiste des monnaies gauloises à l'Université de Caen, les pièces découvertes à Bassing ont été émises pour la plupart dans les années 50 à 30 avant notre ère, tandis que le trésor aurait été rassemblé et dissimulé dans les années 30 à 20. Il estime que ce dépôt monétaire représente de 3 à 5 ans de la solde d’un militaire romain. Si l’on suppose que les auxiliaires gaulois étaient moins payés que les légionnaires, qu’ils ne l’étaient qu'à mi-temps, pendant la saison de la guerre, et que le trésor était à l'origine probablement deux fois plus important, on estime que le dépôt initial représentait la solde pour une campagne d’une vingtaine d’auxiliaires gaulois (probablement des cavaliers, l’élevage de chevaux étant une spécialité médiomatrique). Ce chiffre est compatible avec les moyens d’un riche chevalier gaulois… à la solde des romains, qui participait peut-être à la stabilisation de la Belgique orientale après la révolte des Trévires.


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